Les amoureux du football suisse s’en souviennent comme si c’était hier. C’était il y a 19 ans, pourtant. En avril 2001, à la suite d’un premier match arrêté après qu’Eric Pédat, gardien du Servette FC, eut été visé par un pétard au Stade de Tourbillon un mois auparavant, le FC Sion et le club genevois durent disputer une autre rencontre, à huis clos. Aujourd’hui, alors que la Super League discute toujours d’une reprise du championnat devant des tribunes vides en raison du coronavirus (hypothèse toutefois de moins en moins probable), l’ancien portier du SFC et Gregory Duruz, alors défenseur valaisan, reviennent sur un événement qu’ils n’ont pas vraiment apprécié.
"Ca remonte un peu et la situation était différente de celle d’aujourd’hui, car cela n’avait rien à voir avec une maladie, mais c’était effectivement très particulier, commence Eric Pédat. Les premiers souvenirs qui remontent sont ceux d’un grand vide en pénétrant dans le stade. On se retrouvait privés de repères. Les sens s’en retrouvaient biaisés."
"Une ouïe d'animaux"
A tel point que même en nonante minutes, chaque joueur semblait devoir se transformer pour s’adapter à ce curieux élément. "On évoluait différemment, observe Duruz, car tout était exacerbé. On en a presque développé une ouïe d’animaux sur le coup. C’était déstabilisant."
Dès leurs premiers pas sur la pelouse, Valaisans et Genevois avaient compris que ce 19 avril 2001 serait un moment pas comme les autres. "A l’échauffement, déjà, tout était différent, car on entendait tout ce que disait l’adversaire, ce qui nous poussait à parler à voix basse entre nous, se remémore Eric Pédat. Cela ressemblait presque à une partie de cache-cache." Gregory Duruz fut pour sa part davantage plongé dans ce… néant une poignée de secondes avant le coup d’envoi.
"Dans le vestiaire, on ne pouvait pas vraiment percevoir de différence, mais une fois que nous sommes sortis du tunnel pour entrer sur le terrain, alors là, c’était terrible, dit le défenseur sédunois. Tu te retrouvais avec les deux équipes alignées pour l’avant-match devant tout simplement personne. C’était vraiment étrange."
Difficulté émotionnelle
Le déroulement du match, soldé sur le score de 1-1, confirma cette impression de grand vide. "On était pris entre deux sentiments, lâche Pédat. Le match était presque "sourd", mais en même temps la résonnance était impressionnante. On entendait davantage le bruit du ballon, des frappes, des transversales, des contacts entre les joueurs, aussi. Les tacles semblaient plus violents, ce qui pouvait aussi perturber l’attitude et les décisions de l’arbitre." Tout était devenu compliqué pour les vingt-deux acteurs.
"La gestion émotionnelle était très dure, rappelle Gregory Duruz. On avait le sentiment d’être dans une opposition sans enjeu alors qu’il y en avait un. Ce n’était pas un match de préparation sur un terrain de campagne, mais une vraie rencontre dans un grand stade. Alors certes, Tourbillon n’est pas le Parc des Princes, mais tout de même, c’était très, très bizarre. Il n’y avait plus d’atmosphère, plus d’animation, plus rien d’attrayant. Sans ce public qui, quand il est là, est une force, il n’y a plus rien pour te pousser. Cela se sentait encore plus dans une affiche telle qu’une rencontre Sion-Servette…"
Et Eric Pédat de conclure: "Ce huis clos nous avait ramené à une immense impression de fragilité. On se sentait perdus, fragiles, sans soutien, comme fébriles. Au moins, lorsque les fans sont là, tu sens quelque chose derrière toi qui te rend solide ou qui te donne le sentiment de l'être. En réalité, au coup de sifflet final, nous étions tous contents que cela soit terminé." Un sentiment partagé par Gregory Duruz: "Moi aussi, j’étais très heureux que ces nonante minutes soient derrière moi."
Arnaud Cerutti, @arnaud_cerutti