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Mais pourquoi donc la Suisse romande n'a-t-elle plus décroché le titre depuis 23 ans?

2 juin 1999, la joie des Servettiens, qui sont ce soir-là devenus les derniers champions de Suisse avec un accent romand. C'était il y a 23 ans... [Keystone]
2 juin 1999, la joie des Servettiens, qui sont ce soir-là devenus les derniers champions de Suisse avec un accent romand. C'était il y a 23 ans... - [Keystone]
Le championnat de Super League démarre ce week-end, avec deux favoris: Bâle et Young Boys. Si deux clubs romands, Servette et Sion, sont sur la ligne de départ, aucun des deux ne devrait finir par être champion. Cela fait maintenant 23 ans que notre région n’a plus mis la main sur le titre. Pourquoi? Comment? Tentatives d’explication dans Sport Première.

C’est une disette longue, trop longue sans doute, et qui devrait s’étendre encore un peu. Le football romand se goinfre de pain noir depuis 1999, alors qu’il avait vécu son âge d’or jusque-là. Songez en effet qu’entre 1985 et 1999, notre région a raflé 7 titres sur 15 et chacune des saisons durant ce laps de temps a vu au moins un club romand grimper sur le podium de ce qui s’appelait la Ligue nationale A. Depuis, seul Sion (2007) et Servette (2021) ont une fois fini dans le trio de tête. C’est dire à quel point le reste de la Suisse a pris l’ascendant. La question n'est pas nouvelle, mais pourquoi en sommes-nous là?

Bâle a été aidé par des mécènes et a pris le dessus. YB aussi a pu retrouver le devant de la scène grâce à des investisseurs. En Suisse romande, il y a une ferveur à retrouver

Johann Lonfat, ancien international suisse, champion avec Sion en 1997 et Servette en 1999

Champion avec Sion en 1997 et Servette en 1999, Johann Lonfat présente la particularité d’avoir remporté les 2 derniers titres romands. S’il se dit heureux de cette anecdote sur un plan personnel, le Valaisan regrette que personne n’ait succédé aux Grenat, sacrés le 2 juin 1999 à Lausanne. "On attend un renouveau, c’est clair, répond-il dans le cadre de notre émission radio Sport Première. Je me souviens qu’à mon époque, tant avec Sion qu’avec le SFC, notre titre était surtout la réussite d’un collectif, car je ne suis pas persuadé que nous étions la meilleure équipe sur le papier. Il faut se souvenir que Grasshopper était le gros club, la grosse armada. Chez nous, il y avait en revanche un bel état d’esprit, renforcé par l’apport ponctuel de bons joueurs étrangers. Cela nous avait suffi. Depuis, même si les Romands continuent de bien bosser avec les jeunes, Bâle a été aidé par des mécènes et a pris le dessus. YB aussi a pu retrouver le devant de la scène grâce à des investisseurs. En Suisse romande, il y a une ferveur à retrouver. Peut-être que la nouvelle formule du championnat nous en donnera l’occasion…"

Il faut dire qu’en 23 ans, tous les clubs romands ont connu leurs soucis, au moment où d’autres ont su emprunter le virage européen. C’est ce sur quoi insiste Christian Constantin, président du FC Sion: "Si Servette ou Lausanne avaient eu accès à la Ligue des champions, ils auraient eu l’argent pour avancer, mais il fallait aller chercher cette place. Le fait d’avoir davantage d’argent te permet d’attirer de meilleurs joueurs. Et sans les Coupes d’Europe, cet argent-là est difficile à trouver et les exploits compliqués à réaliser."

Si Servette ou Lausanne avaient eu accès à la Ligue des champions, ils auraient eu l’argent pour avancer, mais il fallait aller chercher cette place. Sans l'Europe, cet argent-là est difficile à trouver...

Christian Constantin, président du FC Sion

Au fil des années, le patron de Tourbillon a vu les disparités se creuser. "Jusqu’à la fin des années 80, les joueurs étaient encore semi-pros, les budgets étaient proches, les stades vieillissants un peu partout. Le cadre général était plus ou moins similaire pour tout le monde. En 1994 par exemple, nous étions encore l’un des clubs, avec Barcelone et Milan, qui avaient 7-8 joueurs à la Coupe du monde. Nous pouvions aussi disputer des affiches européennes extraordinaires, la débrouillardise permettait encore de faire des coups."

Sion et les autres Romands ont donc vu à la fois le train de l’Europe et le train suisse allemand leur filer entre les crampons. "L’arrêt Bosman, intervenu en 1995, n’a pas non plus aidé, reprend Johann Lonfat. Il a petit à petit empêché les jeunes du cru de s’ouvrir les portes de la première équipe de leur club. C’est devenu délicat." Un discours auquel acquiesce Raffaele Poli, docteur en sciences humaines au CIES et responsable de l'observatoire du football: "Bosman a tiré le niveau du championnat vers le bas. Les meilleurs joueurs n’y restent plus vraiment et au début des années 2000, Bâle s’est installé seul en CL. Il a ainsi eu les moyens que les autres ne pouvaient plus avoir."

L'arrêt Bosman a tiré le niveau du championnat vers le bas. Les meilleurs joueurs n’y restent plus vraiment et, au début des années 2000, Bâle s’est installé seul en CL. Il a ainsi eu les moyens que les autres ne pouvaient plus avoir.

Raffaele Poli, responsable de l'observatoire du football

Les Romands n’ont plus vu la rémunératrice Europe, ont sombré dans les soucis manageriaux et ont navigué à vue. "Ça a été un cercle vicieux, ajoute Poli. Il n’y a plus eu de stabilité, donc moins de projets sportifs. Malgré de bons jeunes, Servette et Lausanne n’ont plus pu agir en locomotives et leurs pépites sont soient allées à l’étranger, soit en Suisse allemande, car elles ne pouvaient plus reposer sur une planification à long terme. Alors qu’avec l’argent, Bâle et YB ont pu anticiper, planifier, etc.»

On l’a compris: la Suisse romande est encore loin des cadors. Mais de là à ne plus y croire, il y a un pas que nos interlocuteurs ne franchissent pas. "Au contraire, il y a toujours une lueur d’espoir, car dans chaque club romand travaillent des techniciens confirmés pour s’occuper des jeunes, intervient Claude Ryf, membre de l’ASF. Mais on peut encore faire mieux! Il faut de la motivation et des compétences, le tout multiplié par les moyens financiers. Et puis, souvenez-vous que Bâle a passé 5 ans en LNB, qu’YB a mis plus de 30 ans à regagner un titre."

Il y a toujours une lueur d'espoir! Mais il faut de la motivation et des compétences, le tout multiplié par les moyens financiers. Et puis, souvenez-vous que Bâle a passé 5 ans en LNB, qu’YB a mis plus de 30 ans à regagner un titre...

Claude Ryf, entraîneur à l'ASF

Au vu des graines semées en Suisse romande, il n’y a pas de raison pour que l’un de "nos" clubs ne retrouve pas le sommet. "En équipe nationale, on a notamment 4 joueurs formés au SFC, analyse Gérard Castella, aujourd’hui à YB. Cela veut dire qu’on a les joueurs, mais qu’ils doivent ensuite pouvoir évoluer à un certain niveau. Ce que le SFC n’avait pas pu offrir à l’époque à un Denis Zakaria."

Le mot de la fin revient à Christian Constantin: "Servette a la chance d’avoir la Fondation Rolex derrière lui et Genève a aussi un potentiel qui peut permettre au SFC de redevenir un jour champion de Suisse si toutes les étoiles s’alignent. A Sion en revanche, nous sommes la guérilla et les autres sont des armées… Mais comme dit Michel Blanc (ndlr: incarnant son personnage de Jean-Claude Dusse dans "Les Bronzés font du ski"), sur un malentendu on peut le faire..."

Mathieu Germanier, adaptation web Arnaud Cerutti

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