Sead Hajrovic: "Tu peux être le meilleur joueur à 16 ans et ta carrière se terminer à 20"
Sead Hajrovic n'a que 29 ans, mais il a déjà vécu 1000 vies. Champion du monde M17 avec l'équipe de Suisse, le défenseur central a connu Arsenal à l'âge de 16 ans avant de revenir en Suisse à Grasshopper, Winterthour et Wohlen, puis de retenter sa chance à l'étranger au Viktoria Cologne, en 3e Bundesliga. RTSsport.ch l'avait rencontré mi-septembre au Stade Municipal, où il a posé ses bagages en 2021.
RTSsport.ch: Yverdon Sport pointe au 4e rang du classement de Challenge League. Comment jugez-vous ce début de saison?
SEAD HAJROVIC: Je pense qu'on peut être vraiment content avec notre début de saison. On a gagné des matches, on en a perdu, mais on est sur la bonne voie. On a beaucoup de nouveaux joueurs et c'est bien d'avoir un état d'esprit comme on a maintenant.
RTSsport.ch: Il y a également eu l’arrivée d’un nouvel entraîneur avec Marco Schällibaum…
SEAD HAJROVIC: On a fait une bonne saison avec Uli Forte l’an dernier, on a fait de bonnes choses en Coupe jusqu’en demi-finales, mais chaque entraîneur est différent, chacun a ses idées. Marco Schällibaum sait comment il veut travailler avec les joueurs expérimentés et avec les jeunes. Je pense qu'on a un bon mélange.
RTSsport.ch: Comment vous sentez-vous dans cette équipe?
SEAD HAJROVIC: Je me sens vraiment bien. Ca fait plusieurs mois que je suis là. Au début, c'était un peu difficile avec la langue, mais maintenant ça vient. L'équipe a tout fait pour m’intégrer, on sort ensemble, on fait des "team events", ce qui permet de connaître les autres joueurs en privé. C’est très intéressant car il y a des joueurs célibataires, d’autres qui sont en couple, qui ont des enfants.
J’ai joué en Angleterre, en Allemagne, en Suisse allemande et maintenant en Romandie. C’est le même pays mais la culture est différente
RTSsport.ch: Vous êtes un cadre de l’équipe. Expliquez-nous votre rôle...
SEAD HAJROVIC: J’essaie de partager mon expérience avec les joueurs plus jeunes mais aussi avec ceux qui sont expérimentés car tu peux toujours apprendre quelque chose. J’ai joué en Angleterre, en Allemagne, en Suisse allemande et maintenant en Romandie. C’est le même pays, mais la culture est différente. C’est important de donner tout ce que je peux donner à l'équipe. Jusqu'à maintenant, je pense que je le fais bien.
RTSsport.ch: Quelles différences de culture notez-vous entre Suisse allemande et Suisse romande?
SEAD HAJROVIC: En Suisse allemande, c’est plus strict. Si l'entraînement commence à 09h30, tu dois être à l'heure précise. Il y a un côté "robot". Ici c'est un peu plus tranquille. Moi j’aime ça car je n'aime pas le stress. C’est intéressant de voir que c’est le même pays, mais avec des choses très différentes.
RTSsport.ch: Qu’est ce qui vous a convaincu de venir à Yverdon?
SEAD HAJROVIC: J’ai une femme, des enfants et je suis responsable de ma famille. A l'époque, j'étais à Cologne, à 4 heures de route. J'ai pensé que la meilleure chose pour ma famille était de revenir jouer en Suisse, les enfants allaient commencer l’école. J’ai vu comment ça fonctionne en Allemagne et comment ça fonctionne en Suisse et je peux dire que c’est beaucoup mieux en Suisse. On a regardé toutes nos options, on a parlé avec Yverdon. Je voulais voir comment c’était en Romandie car je n'y avais jamais joué.
Dans le football, rien n'est impossible
RTSsport.ch: A titre personnel, quelles sont vos ambitions avec Yverdon Sport cette saison?
SEAD HAJROVIC: Comme tous les joueurs, je veux jouer tous les matches. Mais c'est le coach qui décide, c'est lui qui fait des choix et je les respecterai toujours. Je donne 100% chaque jour, je veux gagner tous les matches, parfois ça marche, parfois ça ne marche pas.
RTSsport.ch: Vous avez 29 ans. La Super League reste-t-elle un objectif pour vous?
SEAD HAJROVIC: Oui bien sûr! J'ai joué 2-3 matches avec GC (ndlr: en 2013-2014), mais ça ne compte pas. Ca compte quand tu joues beaucoup de matches. Il y a des gens qui pensent qu'à 29 ans, tu es déjà vieux. Mais on peut prendre l’exemple de Granit Lekaj (ndlr: défenseur de Winterthour), qui a 32 ans et qui n'avait jamais joué en Super League avant cette saison. Dans le foot, rien n'est impossible.
RTSsport.ch: Vous avez percé très tôt avec, notamment ce titre de champion du monde M17 avec la Suisse.
SEAD HAJROVIC: C'était incroyable. J’étais le joueur le plus jeune de l'équipe, c'était déjà un grand honneur pour moi d’être là. Je pense que personne ne nous voyait gagner à part nous. On avait de bons joueurs, une bonne équipe. On est resté un mois ensemble, on avait un état d’esprit incroyable. On a tout donné chaque jour, chaque match et on a gagné. Le match le plus difficile était le premier (ndlr: 2-0 contre le Mexique) à cause de la nervosité, mais après, tout s'est bien enchaîné. C’était incroyable de gagner ce titre. Ca sera peut-être la dernière fois que la Suisse gagne un titre mondial en football. D’un côté, j’espère qu'il y en aura d’autres, mais d'un autre côté j’espère que non, comme ça on sera les seuls (rires).
Tu dois donner chaque jour 100% mais ce n’est pas une garantie de devenir professionnel
RTSsport.ch: Comment êtes-vous parvenu à gérer ce succès?
SEAD HAJROVIC: Pour moi, c’était plus facile que pour les autres, je pense, car je jouais en Angleterre à Arsenal. Le club a tout géré, notamment les médias. Ils organisaient les interviews. J’avais 16 ans et c’était vraiment important d’avoir cette aide venant du club. Ils m’ont dit: "Tu as gagné le Mondial M17, mais reste tranquille. Ta carrière commence maintenant."
RTSsport.ch: Au final, assez peu de joueurs de cette équipe sont parvenus à s'imposer au haut niveau.
SEAD HAJROVIC: C’est le foot, il y a des blessures, des problèmes personnels, etc. Tu peux être le meilleur joueur à 16 ans et ta carrière se terminer à 20 ans. Tu dois donner chaque jour 100% mais ce n’est pas une garantie de devenir professionnel.
RTSsport.ch: Avez-vous encore des contacts avec des joueurs de l'équipe?
SEAD HAJROVIC: Si on se croise, on va tout de suite parler de ça, c’est normal. On a quelque chose en commun qui sera toujours là. Ce n'est pas un tatouage, mais presque. J’ai des contacts réguliers avec Haris Seferovic, on a la même histoire plus ou moins. J’ai moins de contacts avec les autres. Après, chacun a fait son chemin, certains ont arrêté, d’autres sont partis.
RTSsport.ch: Vous avez signé votre premier contrat pro avec Arsenal sans parvenir à jouer avec l’équipe première. Est-ce un regret?
SEAD HAJROVIC: J’ai été convoqué une fois dans le groupe, c'était en Ligue des champions contre l'Olympiakos. Rien que d’y être, c’était incroyable. J’ai côtoyé des joueurs comme Fabregas ou Van Persie à l'entraînement, ça apporte beaucoup d’expérience. Beaucoup disent qu'il vaut mieux rester en Suisse, jouer et ensuite partir. Je ne suis pas d’accord. C’est toujours plus facile de revenir en Suisse après voir joué à l’étranger car on te connaît. L’expérience que j’ai emmagasinée là-bas, je ne l’aurais pas eue en Suisse. Je suis content d'avoir fait ce choix.
RTSsport.ch: Parlez-nous de cette convocation pour la Ligue des champions.
SEAD HAJROVIC: J’avais signé mon contrat à l’âge de 16 ans. Et déjà à cet âge, on vivait comme des professionnels: on s’entraînait à la même heure chaque jour, on mangeait ensemble, etc. Là-bas, si un joueur de la 1re équipe se blesse, il est remplacé par un joueur de la 2e équipe. Cela signifie qu'on te prépare très tôt pour le moment où tu seras convoqué avec la 1re équipe. Tu sais comment ça fonctionne. C’était une surprise pour moi, mais j’étais prêt.
RTSsport.ch: Avez-vous été déçu de quitter Arsenal et l’Angleterre?
SEAD HAJROVIC: Oui et non. C’est la vie. Pour moi, ça a toujours été clair que dans le foot, tout peut changer très vite. Dans ma tête, j’étais déjà prêt depuis longtemps à évaluer toutes les options. Après 4 ans, j’ai décidé de revenir en Suisse, où j’ai eu la chance de jouer avec mon frère. Il y a eu un peu de déception, mais aussi une joie de pouvoir jouer avec mon frère à GC. Dans le foot, on n'a pas le temps d’être triste. Tu tournes la page et tu en commences une autre.
Sans mon épouse, jamais je ne serais là où je suis maintenant
RTSsport.ch: Qu’est-ce qui fait la différence pour jouer à haut niveau?
SEAD HAJROVIC: Il faut de la chance, c’est certain. Il y a des joueurs incroyables techniquement, mais pas au top mentalement. Il y en a d’autres limités techniquement, mais qui ont un cœur, un leadership et un mental énormes. Quand tu n’as pas la technique d’un Neymar ou la tactique d’un Van Dijk, tu dois miser sur le mental. Si tu as le mental, tu dois améliorer la technique, la tactique. Il faut de la discipline, travailler encore et encore. Tu vas avoir des jours sans et des jours où tout te réussit. Il faut être prêt mentalement à toujours tout donner.
RTSsport.ch: Avec le recul, y a-t-il un quelque chose que vous regrettez dans votre parcours?
SEAD HAJROVIC: Non, pas du tout. Dans le foot, tout va très vite. J’ai d'abord dû faire des choix pour moi, puis ensuite j’ai fait des choix avec ma femme, mes enfants, faire le mieux possible pour ma famille. C’est une grande responsabilité. Donc, non je n’ai aucun regret.
RTSsport.ch: Arrivez-vous à concilier vie de footballeur et vie de famille?
SEAD HAJROVIC: Ma femme m’aide énormément. Je ne peux que lui dire merci pour tout ce qu'elle fait. Sans elle, jamais je ne serais là où je suis maintenant.
RTSsport.ch: Votre frère Izet joue en Grèce, à l'Aris Salonique. Quelle relation entretenez-vous avec lui?
SEAD HAJROVIC: J’ai une relation incroyable avec lui. On parle presque chaque jour ensemble même s’il est en Grèce et que je préfère lui parler en direct. On discute de tout, même de rien. Je parle aussi chaque jour avec mes parents, c’est vraiment important. Quand on était jeunes, mes parents ont fait énormément pour nous. Ils ont fait des sacrifices. Je ne peux que leur dire merci! J’espère que je pourrai en faire autant avec mes enfants.
Propos recueillis par Axel David / Vidéos réalisées par Miguel Bao
RTSsport poursuivra la tournée des 2 autres clubs vaudois de Challenge League dès la semaine prochaine.