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Raoul Savoy: "Il va falloir entrer dans le lard des Camerounais"

Fin connaisseur du foot africain, Raoul Savoy conseille à la Suisse de ne pas laisser jouer les Camerounais. [Imago/Raoul Savoy]
Fin connaisseur du foot africain, Raoul Savoy conseille à la Suisse de ne pas laisser jouer les Camerounais. - [Imago/Raoul Savoy]
L’entrée en lice de l'équipe de Suisse au Qatar, c’est jeudi à 11h00 (heure suisse) contre le Cameroun, un adversaire que notre équipe nationale n'a encore jamais affronté. L'occasion pour RTS sport de discuter avec le technicien vaudois Raoul Savoy, qui a travaillé à Yaoundé et connaît parfaitement les formations africaines.

Aujourd'hui sélectionneur de la République centrafricaine, Raoul Savoy (49 ans) a notamment accroché récemment le Ghana (1-1) et n'a pas particulièrement apprécié la performance de la Suisse contre les "Black Stars", jeudi dernier lors de son unique match de préparation à cette Coupe du monde 2022. Avant la rencontre face au Cameroun, lui qui travaille depuis 20 ans avec l'ancien "Lion Indomptable" Hans Agbo est bien placé pour donner son sentiment.

RTSsport.ch: Raoul Savoy, Suisse-Cameroun c’est jeudi. Que devra faire l’équipe de Murat Yakin pour empocher les trois points?

RAOUL SAVOY: La Suisse devra bien entendu respecter l’équipe du Cameroun pour ce qu’elle est, mais pas plus. Il va falloir, jeudi, afficher un tout autre état d’esprit que celui que l’on a vu contre le Ghana. Sur le terrain, les Helvètes n’auront aucune raison de regarder leurs adversaires. Je crois même qu’ils devront très vite leur entrer dans le lard et, si possible, rapidement trouver la faille. Il ne faut absolument pas laisser jouer cette équipe, ne pas la laisser prendre confiance, sous peine de s’exposer à la marée. En face, ce ne sera pas le Togo de 2006.

Il ne faut absolument pas laisser jouer cette équipe du Cameroun, ne pas la laisser prendre confiance, sous peine de s’exposer à la marée

Raoul Savoy, actuel sélectionneur de la République centrafricaine

RTSsport.ch: Il faudra aussi que ce ne soit pas la Suisse de jeudi dernier contre le Ghana…

RAOUL SAVOY: C’est clair! J’étais furieux après cette rencontre. Oui, c’était un choix logique que d’affronter le Ghana pour préparer le match contre le Cameroun. Encore aurait-il fallu y mettre de la motivation, de l’implication! Je n’ai pas aimé la mentalité affichée par les Suisses. Je ne vois en effet pas le but de disputer cette rencontre si personne ne va au duel, si chacun a peur de se blesser… Un match pareil doit être celui qui valide les automatismes, qui permet de soigner les sorties de zone, les remontées de ballon, etc; bref, de prendre confiance. Je n’ai pas compris l’attitude globale de notre équipe nationale!

RTSsport.ch: Vous qui avez souvent vu jouer et qui avez même affronté le Cameroun, que pouvez-vous nous en dire?

RAOUL SAVOY: Le Cameroun d’aujourd’hui est en quelque sorte une bête blessée. Ses joueurs ont envie de prouver qu’ils peuvent faire quelque chose dans cette compétition. Ils ont des qualités et ils ont faim. Mais c’est aussi une formation qui a des faiblesses, notamment sur les côtés, avec des latéraux et des pistons qui ne sont pas toujours fiables. J’espère juste que les Suisses se sont bien renseignés.

Cette sélection a aussi des faiblesses, notamment sur les côtés, avec des latéraux et des pistons qui ne sont pas toujours fiables

Raoul Savoy, actuel sélectionneur de la République centrafricaine

RTSsport.ch: Défensivement, ce Cameroun n’a pas non plus l’air des plus costauds…

RAOUL SAVOY: C’est une vieille rengaine européenne de croire que les Camerounais ne sont pas bons défensivement! Je vois à présent cette sélection comme plutôt solide dans ce domaine et surtout portée par un super gardien (ndlr: André Onana, Inter Milan, ex-Ajax). Mais c’est vrai, aussi, que c’est une équipe qui préférera toujours gagner 4-3 que 1-0 et, donc, sera susceptible de pas mal se découvrir. Reste qu’elle est globalement très intéressante et dispose de beaux atouts offensifs. Auxquels les Suisses ne devront pas laisser le moindre mètre!

RTSsport.ch: Doit-on davantage se méfier de Vincent Aboubakar (Al-Nassr, ex-Porto, ex-Besiktas) que d’Eric Choupo-Moting (Bayern Munich)?

RAOUL SAVOY: Clairement du premier cité! C’est lui le plus gros danger. Aboubakar est d’ailleurs souvent bon dans les grands rendez-vous et il aborde cette Coupe du monde le couteau entre les dents. C’est un joueur revanchard, qui a en travers de la gorge le fait de n’avoir jamais vraiment été considéré à sa juste valeur par les grands clubs européens. Il entend aujourd’hui leur démontrer qu’ils ont eu tort. Je le trouve bien plus menaçant que Choupo-Moting, qui est plus habitué à des buts de raccroc. Mais il est vrai que ce dernier est en pleine confiance et pourrait très bien mettre sa tête quelque part et trouver la faille.

Vincent Aboubakar est un joueur revanchard, qui a en travers de la gorge le fait de n’avoir jamais vraiment été considéré à sa juste valeur par les grands clubs européens. Il entend aujourd’hui leur démontrer qu’ils ont eu tort

Raoul Savoy, actuel sélectionneur de la République centrafricaine

RTSsport.ch: Au Cameroun, le discours a changé depuis l’arrivée de l’ancienne star Samuel Eto’o à la présidence de la Fédération. Est-ce que cela peut directement influer sur ce qui se passe sur le terrain?

RAOUL SAVOY: Eh bien, disons au moins qu’en coulisses, cela a permis de changer certaines choses. Le Cameroun avait un peu cette "tradition" de débarquer en Coupe du monde avec pas mal de tensions, notamment entre les joueurs et la Fédération. On se souvient notamment qu’en 2014, l’équipe était arrivée en retard car elle tenait à régler ses problèmes de primes. Cette fois, Samuel Eto’o, pour avoir été joueur et avoir connu ces situations, a très vite mis les choses à plat pour éviter ce genre de désagréments. Ensuite, il faut reconnaître qu’en termes de mentalité, le Cameroun a pas mal changé, aujourd’hui. Son discours est moins complexé, davantage "va-t-en-guerre". Eto’o est d’ailleurs le premier à dire haut et fort que les Lions veulent gagner la Coupe du monde, que son équipe n’a peur de personne. Ce Cameroun de 2022 apparaît plus sûr de lui, du moins dans le discours. Après, reste à savoir si cela va payer…

RTSsport.ch: Surtout que tout n’est pas très serein autour de cette équipe…

RAOUL SAVOY: Effectivement! Il y a certaines tensions au pays, sachant que pas mal de gens n’adhèrent pas vraiment à la méthode et/ou au personnage Samuel Eto’o. Qui plus est, les derniers matches amicaux n’ont pas convaincu et certains choix du sélectionneur Rigobert Song ont surpris. Il a par exemple fallu une grosse pression populaire et médiatique pour que Zambo Anguissa, pourtant excellent avec Naples, soit appelé pour ce Mondial. Et ce alors que d’autres joueurs, qui auraient clairement mérité d’y être, n’ont pas été pris…

RTSsport.ch: On a aussi vu ces vidéos de Rigobert Song, pourtant sélectionneur, incapable de donner correctement le nom des joueurs qu’il a sélectionnés…

RAOUL SAVOY: Oui, j’ai vu ces vidéos. Ce ne sont d’ailleurs pas les seules qui circulent et sur lesquelles il a l’air "paumé". D’aucuns disent qu’il n’est qu’une marionnette de Samuel Eto’o. Mais faisons attention quand même à ces "on-dit", car son équipe est bien organisée et très motivée.

RTSsport.ch: Côté suisse, ce match sera particulier pour Breel Embolo, qui est né au Cameroun et a encore de la famille là-bas…

RAOUL SAVOY: Oui, ce sera très compliqué à aborder pour lui. C’est déjà arrivé à d’autres joueurs dans le passé et certains l’ont mieux géré que d’autres. Mais très honnêtement, je pense que ce sera très, très dur pour Embolo, qui ne semble pas avoir le mental d’un Xherdan Shaqiri ou d’un Granit Xhaka, qui eux avaient par exemple très bien su faire fi d’un contexte électrique il y a quatre et demi contre la Serbie. Je ne connais pas assez Breel, mais j’ai le sentiment que ce match constituera pour lui une sorte de "trop-plein" d’émotions et qu’il cherchera sûrement à trop en faire. C’est pourquoi, à la place de Yakin, j’alignerais Okafor.

RTSsport.ch: Pour finir, un petit pronostic?

RAOUL SAVOY: Je dirais 1-1. Mais un 1-1 tiré par les cheveux, pas un 1-1 où les Suisses auraient pu gagner 4-1.

Arnaud Cerutti - @arnaud_cerutti

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Victoire impérative pour la Suisse

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La sélection suisse pour la Coupe du monde au Qatar (20.11-18.12)

BUT (4): KOBEL/Dortmund, KÖHN/Salzburg, OMLIN/Montpellier, SOMMER/Mönchengladbach.

DEFENSE (7): AKANJI/Manchester City, CÖMERT/Valencia, ELVEDI/Mönchengladbach, FERNANDES/Mainz, RODRIGUEZ/Torino, SCHÄR/Newcastle, WIDMER/Mainz.

MILIEU ET ATTAQUE (15): AEBISCHER/Bologna, EMBOLO/Monaco, FASSNACHT/YB, FREI/Bâle, FREULER/Nottingham, JASHARI/Lucerne, OKAFOR/Salzburg, RIEDER/YB, SEFEROVIC/Galatasaray, SHAQIRI/Chicago, SOW/Frankfurt, STEFFEN/Lugano, VARGAS/Augsburg, XHAKA/Arsenal, ZAKARIA/Chelsea.

DE PIQUET: AMDOUNI/Bâle, IMERI/YB, ITTEN/YB, LOTOMBA/Nice, MBABU/Fulham, NDOYE/Bâle, PICKEL/Cremonese, SAIPI/Lugano, STERGIOU/St-Gall, VON BALLMOOS/YB, WÜTHRICH/Sturm Graz, ZEQIRI/Bâle, ZESIGER/YB