Bojan Dimic: "Dans ce Serbie-Suisse, l'aspect psychologique sera à prendre en compte"

RTSsport.ch: Bojan Dimic, on dit la Serbie changée par rapport à celle que l’on a vue en 2018. Vous confirmez?

BOJAN DIMIC: Oui, tout à fait. Cette Serbie-là s’appuie aujourd’hui globalement sur les jeunes qui avaient été champions du monde M20 en 2015 et champions d’Europe M19 en 2013. Cette génération arrive gentiment à maturité. L’équipe est talentueuse, expérimentée, car faite de nombreux éléments évoluant à l’étranger, dont certains dans les meilleurs championnats. C’est très intéressant. Avant cette Coupe du monde, je me disais que c'était le moment qu'elle fasse quelque chose de grand.

RTSsport.ch: Il y a aussi un homme-clé, le sélectionneur Dragan Stojkovic, ancien grand joueur, qui a fait des miracles avec son groupe…

BOJAN DIMIC: Oui, il est d’ailleurs pour beaucoup dans le fait que cette équipe a beaucoup d’ambition à présent. Stojkovic est quelqu’un de très positif, très optimiste, qui a une confiance incroyable. Il la transmet à ses joueurs et même à tous ceux qui entourent cette sélection. Emmenés par un tel personnage, charismatique, les internationaux tirent dorénavant tous dans le même sens. Avant le Mondial se dégageait le sentiment qu'il n’y avait plus d’histoires d’ego dans ce groupe, pas de chichis. C’est "à la vie à la mort". Stojkovic a su créer un véritable collectif, ce qui est très rare dans notre pays.

Il n’y a plus d’histoires d’ego dans ce groupe serbe, pas de chichis. C’est "à la vie à la mort". Dragan Stojkovic a su créer un véritable collectif, ce qui est très rare dans notre pays.

RTSsport.ch: C’est donc solide en dehors. Et sur le terrain?

BOJAN DIMIC: Sur le terrain, c’est également très équilibré. Avec son 3-5-2, parfois un 3-4-3, le coach veut une équipe dynamique, rapide et offensive. Elle est portée vers l’attaque, à l’image du joueur qu’était lui-même Dragan Stojkovic. Et puis, il s’appuie sur des pistons de qualité, avec aussi de grands gabarits dans l’axe. Ce qui change, c’est que la Serbie d’aujourd’hui n’est pas qu’un empilement de joueurs talentueux, mais qu’elle est désormais complétée par des "porteurs d’eau", ce que nous n’avions pas forcément par le passé. Un Maksimovic, qui fait par exemple des kilomètres et des kilomètres dans un match, est très précieux. C’est le genre de pièces qui ont peut-être manqué au puzzle ces dernières années.

RTSsport.ch: Comment le public serbe observe-t-il son équipe nationale?

BOJAN DIMIC: Il croit beaucoup en elle! Avant l’entame de la Coupe du monde, il y avait un réel engouement au pays, une ferveur partout dans les rues, dans la presse. On voyait des affiches partout, des pubs aussi. Il y a aujourd’hui une vraie ambition avec et au sein de cette sélection.

La Serbie d’aujourd’hui n’est pas qu’un empilement de joueurs talentueux, mais elle est désormais complétée par des "porteurs d’eau", ce que nous n’avions pas forcément pas le passé

RTSsport.ch: Ces dernières années, la Croatie, pays voisin, a, sur le plan du football, davantage fait parler d’elle que la Serbie. Existe-t-il une petite frustration?

BOJAN DIMIC: Oui, forcément, il y a un peu de frustration par rapport aux chemins qu’a empruntés la Croatie (ndlr: vice-championne du monde en 2018). Certes, nous restons meilleurs en basket, mais les Croates ont de vrais résultats en foot et ce serait bien que nous parvenions à les imiter, voire à inverser la tendance. Avec la création de notre centre national il y a quelques années et d’une vraie filière de détection et de formation, on commence à recueillir quelques fruits de nos efforts. Cela devrait aller de mieux en mieux à l’avenir. Il y a de quoi être confiant, là aussi.

RTSsport.ch: Reste que pour cet automne, il y a eu de gros doutes autour de deux des hommes-clés de cette sélection, Vlahovic et Mitrovic.

BOJAN DIMIC: Oui, on pouvait se demander juste avant ce tournoi si les deux allaient être à la hauteur, et qui plus est en même temps. Le gros doute concernait surtout Mitrovic, davantage que Vlahovic. Il y en avait aussi autour de Kostic. On voit d'ailleurs maintenant que sur les 3, il n'y en a que "un et demi" qui tient la route (sourire). Même si, à mon sens, il y a d’autres leaders dans cette équipe pour aller de l'avant…

RTSsport.ch: Vous pensez à Sergej Milinkovic-Savic de la Lazio?

BOJAN DIMIC: Non, pas forcément! Lui est précieux, bien sûr, mais je pense que Tadic (Ajax) l’est davantage. Beaucoup de choses peuvent dépendre de sa créativité et de sa capacité à faire jouer les autres qui sont devant lui. Les Suisses devront s'en méfier.

RTSsport.ch: Avec ce Serbie-Suisse, on ne peut s’empêcher de penser à celui de 2018, avec la victoire 2-1 des Helvètes et l’histoire de l’Aigle. Les Serbes sont-ils habités par une vraie rage, une vraie envie de revanche aujourd’hui?

BOJAN DIMIC: Honnêtement, je n’ai rien lu ni entendu en ce sens avant le Mondial. Je ne crois pas que les gens ou les joueurs veulent engager ce duel de décembre 2022 sur le terrain politique. Cela doit rester du football. Je rappelle d'ailleurs que Stojkovic avait été interrogé là-dessus à l’époque du tirage au sort et il avait répondu qu’il ne parlerait pas de ça, car il n’était pas là en 2018. Il avait dit qu’il allait se focaliser sur un adversaire coriace, ambitieux, et qu’il faudrait certainement le battre pour aller plus loin. C'est le cas aujourd'hui. Et j'espère vraiment que malgré l'immense enjeu, ce ne sera qu'un combat sportif.

Je ne crois pas que les gens ou les joueurs veulent engager ce duel de décembre 2022 sur le terrain politique. Cela doit rester du football.

RTSsport.ch: Et alors, qu’est-ce qui fera la différence, vendredi à 20h00 (sur RTS2)?

BOJAN DIMIC: Eh bien, je constate que ces deux équipes se ressemblent pas mal et ont encore de la peine à s’adapter à une tactique surprise de leurs adversaires. Elles ne sont pas forcément les plus aptes à modifier quelque chose d’un coup, en cours de route, à s’adapter à un adversaire qui changerait ses plans. Alors, avec deux stratèges comme Stojkovic et Murat Yakin, on peut s'attendre à beaucoup de choses, mais celui qui gagnera est celui qui, avec son groupe, saura le mieux répondre à ce qui est proposé en face. Je dirais que l’attaque suisse est moins forte que celle de la Serbie. Et à l’inverse, le milieu de terrain helvétique est plus expérimenté, la défense suisse est plus costaude, comme elle l'a prouvé contre le Brésil. Dans le match de vendredi, le paramètre psychologique sera aussi à prendre en compte. Ceux qui résisteront le mieux pourront gagner.

RTSsport.ch: Alors, Bojan Dimic, un pronostic?

BOJAN DIMIC: Il n’y a pas, pour moi, un pronostic du cœur ou un de la raison. Je serai supporter jusqu'au bout de celle de ces deux équipes qui sortira de ce groupe. Parce qu’il faut rappeler que malgré mes origines, je suis un vrai Genevois, du genre qui râle quand il fait beau et qui râle quand il pleut (rires). Mais je suis honnête, alors je vais avouer que je vois la Serbie s’imposer 2-1.

Arnaud Cerutti - @arnaud_cerutti