"On m'avait prévenu que personne ne me ferait de cadeau dans le foot"
RTSsport.ch: Quel a été le plus grand moment de votre carrière?
SEBASTIEN FOURNIER: Il y en a deux, forcément, que je me dois de mettre en exergue: le titre national remporté le 2 juin 1999 avec le Servette FC à Lausanne, ainsi que la victoire en Coupe de Suisse 1996 avec Sion contre... Servette. Sur le plan émotionnel et avec un scénario incroyable, ces moments dépassent tout.
RTSsport.ch: Avant ces matches-là, un truc spécial vous habitait-il?
SEBASTIEN FOURNIER: Oui, sans doute. En tout cas, les deux fois une certaine magie s’est manifestée. En 1999, on sait que le vainqueur du derby lémanique gagne le titre. Mais on joue sans notre buteur Alexandre Rey et on commence mal (ndlr: but de Fabio Celestini pour le LS à la 9e). Puis en deux minutes, Edwin Vurens marque deux buts superbes (ndlr: dont un sur une longue transversale parfaite de Sébastien Fournier, qui par humilité ne le relève pas dans la discussion). Nous avons renversé le truc pour vivre un match incroyable (succès 5-2). Trois ans plus tôt, avec Sion, c’était tout aussi dingue, car on perd 2-0, Oliver Neuville a une occasion de mettre le 3e et de nous tuer, mais il la manque et on renverse la vapeur pour gagner 3-2. Contre Servette, en plus! Il n’y avait rien de plus beau pour les Valaisans.
RTSsport.ch: Plus beau que de décrocher le titre avec Sion sur la pelouse des Charmilles en 1992?
SEBASTIEN FOURNIER: Eh bien disons que le succès de 1999, je l’ai davantage apprécié, car j'avais 28 ans, déjà du vécu, de la bouteille, un bout de carrière derrière moi et j’étais un cadre du groupe servettien. L’émotion est encore plus grande lorsque tu décroches un trophée dans cette configuration-là. L’intensité du moment, la décharge émotionnelle… C’est un truc à vivre.
RTSsport.ch: Quelle a été votre plus grosse fête?
SEBASTIEN FOURNIER: Ca devait être l’un des soirs entre la Coupe 1996 et le championnat 1999. Parfois, les meilleures fêtes ne sont pas forcément les plus longues. Mais lorsque tu boucles un parcours sur un succès, que tu peux ensuite aller boire un verre avec tout le monde et/ou que tu retrouves des supporters, à Genève ou à la Place de la Planta de Sion, tu sais que tu vis un moment qui ne se représentera pas tous les jours.
Sébastien Fournier évoque ici les deux meilleurs souvenirs de sa carrière >>
RTSsport.ch: A quel moment de votre carrière vous êtes-vous senti le plus fort?
SEBASTIEN FOURNIER: Sans hésiter, durant la saison 1997/1998, ma première à Servette, à mon retour d’Allemagne. On termine 2es du championnat derrière GC, mais j’étais dans les meilleures dispositions possibles. Je me sentais bien physiquement, je n’avais pas encore ces problèmes récurrents au genou qui ont plombé ma fin de carrière. Oui, c’est là que j’étais le plus fort.
RTSsport.ch: A quel moment vous êtes-vous senti le plus seul?
SEBASTIEN FOURNIER: Justement lorsque les pépins physiques ont définitivement mis un terme à ma carrière. J’étais blessé, plus du tout impliqué dans le groupe… J’avais dû aller passer une scintigraphie et on m’a alors fait comprendre que je ne rejouerai plus jamais au foot en tant que professionnel. A ce moment-là, c’était impossible de ne pas gamberger; un grand moment de solitude, il faut bien le dire. Cela a toutefois peut-être été un mal pour un bien, puisque, par chance, j’étais encore sous contrat avec Servette et j’ai pu ainsi commencer à passer mes diplômes d’entraîneur, à penser aussi à une reconversion plus globale, en me tournant vers les langues et l'informatique. Je me suis également mis à faire beaucoup de vélo, parce que mon corps me demandait tout de même de vider l’influx. Et aujourd’hui, j’ai bientôt 52 ans et toujours pas de prothèse alors qu’on m’avait dit qu’avant mon demi-siècle j’en aurais une (rires).
RTSsport.ch: Y a-t-il des choix de carrière que vous regrettez?
SEBASTIEN FOURNIER: Aucun! Je ne vis pas avec des regrets, car ils t’empêchent d’avancer. Alors oui, je pourrais peut-être dire que si je n'avais pas eu des soucis de genou, j’aurais pu jouer le tour préliminaire de la Ligue des champions contre Sturm Graz (août 1999) et vivre d'autres moments, mais j’assume tout ce que j’ai fait, tous mes choix et tout ce qui s’est passé au fil de ma carrière. Il n’y a ni regret ni goût de revanche chez moi. Les expériences, quelles qu’elles soient, heureuses ou malheureuses, font partie de ta vie, te forgent et te font grandir.
Il n’y a ni regret ni goût de revanche chez moi. Les expériences, quelles qu’elles soient, heureuses ou malheureuses, font partie de ta vie, te forgent et te font grandir.
RTSsport.ch: De tous les joueurs avec lesquels vous avez évolué, lequel vous a le plus marqué?
SEBASTIEN FOURNIER: Je retiens surtout les gens pour leurs qualités humaines. Donc je vais citer ceux avec lesquels j’ai encore pas mal de contacts, dont Stefan Wolf, aujourd’hui président du FC Lucerne, Eddy Barea, Patrick Girod, Piero Costantino, Patrick Müller, Massimo Lombardo, Blaise Piffaretti, Alexandre Rey, Johann Lonfat, Oscar Londono, Lionel Pizzinat ou encore Eric Pédat, même si je regrette de ne pas l’avoir vu depuis un petit moment. Il y en a d’autres également, sur le plan sportif, comme Jean-Paul Brigger, Nestor Clausen ou Beto Barbas, un Argentin qui avait débarqué à Sion en 1991 après avoir joué à Lecce et disputé la Coupe du monde 1982. Son arrivée avait tout changé pour nous. Il nous avait permis d’aller chercher le titre en 1992. Et le plus fort de tous ceux que j'ai entraînés reste Julian Esteban.
RTSsport.ch: Et quel a été le plus drôle de tous vos coéquipiers?
SEBASTIEN FOURNIER: Il y en a un qui sort du lot, c’est Franck Durix, qui a été mon partenaire au Servette FC. C’était un vrai chic type, qui avait d’immenses qualités humaines, dont celle de faire rire, mais aussi de nous permettre de dédramatiser les enjeux. Il ne prenait jamais les choses au sérieux et avait des sorties incroyables. Par exemple, lorsqu’on se déplaçait dans un stade en Suisse allemande, il venait toujours nous dire "Ce sera difficile, mais je n’ai jamais perdu ici, alors ce ne sera pas encore pour cette fois…" Or, on découvrait ensuite qu’il n’avait jamais joué à tel endroit. Ou alors, il venait vers les plus jeunes et disait: "C’est bon, ça va aller ce match, y a juste Türkyilmaz qui sera en face de toi, ce n’est pas vraiment un mariole, ni un joueur qui va trop vite, tu vas gérer…." (rires).
RTSsport.ch: Quelle anecdote vaut le coup avec Durix?
SEBASTIEN FOURNIER: Il y a celle vécue en Belgique en août 1998. Nous avions affronté Germinal Ekeren en tour préliminaire de la Coupe de l’UEFA. Le soir après le match, on buvait des verres avec notamment Durix et Pédat dans une chambre et, pendant la conversation, Eric remarque un tableau au mur de la chambre et nous dit qu'il le trouvait très joli. Sur le moment, personne n’y prête vraiment attention. Le lendemain, on prend l’avion pour, une fois à Genève, tout de suite aller faire le décrassage aux Evaux afin de gagner du temps. Je me retrouve dans le vestiaire à côté d’Eric et lorsque celui-ci ouvre son sac, il y découvre… le tableau de l’hôtel. Durix l'y avait caché avant de prendre l’avion!
RTSsport.ch: Quel a été le plus fou de tous vos coéquipiers?
SEBASTIEN FOURNIER: Je pourrai citer Carlos Varela. Mais c’était un "bon fou", dans le genre provocateur. Martin Petrov était aussi de cette trempe. Peut-être est-ce inhérent à leur poste de joueur de couloir. Varela était un bon type, qui mettait le feu dans le bon sens du terme. C’est le genre de gars dont tu as aussi besoin dans une équipe.
Carlos Varela était un "bon fou", dans le genre provocateur, le genre de gars dont tu as besoin dans une équipe. C'était un bon type, qui mettait le feu dans le bon sens du terme.
RTSsport.ch: Quel a été le plus méchant de tous vos coéquipiers?
SEBASTIEN FOURNIER: Eh bien, je dois reconnaître que le plus méchant c’était peut-être… moi-même. Franchement, j’étais limite parfois. J’étais en tout cas très engagé. Fou? Peut-être aussi. Mais oui, j’étais trop extrême à certains moments. Cela n’était pourtant pas dans mon caractère au début de ma carrière. Mais lorsque je jouais à Sion, j’avais eu de grandes discussions avec mon partenaire argentin Nestor Clausen (ndlr: champion du monde en 1986), qui était un joueur très engagé, dans le plus pur style sud-américain. Il m’avait dit que j’étais un bon joueur mais que j’allais devoir durcir mon jeu si je voulais réussir, car on n’allait me faire aucun cadeau dans ce monde du foot pro. Il n’avait pas tort.
RTSsport.ch: Quel a été l’adversaire qui vous a le plus impressionné?
SEBASTIEN FOURNIER: Je retiens surtout un joueur que j’avais affronté avec la Suisse chez les jeunes: le Portugais Paulo Sousa, qui faisait partie de cette génération qui allait remporter le Mondial M20 en 1989. Avant que les Lusitaniens ne gagnent ce trophée, j’avais trouvé Sousa incroyable dans l’entrejeu. Il avait une telle facilité! Ce n’est d’ailleurs pas pour rien s’il a ensuite porté les maillots de la Juventus et du Borussia Dortmund notamment, remportant même à deux reprises la Ligue des champions.
RTSsport.ch: Quel entraîneur vous a le plus marqué?
SEBASTIEN FOURNIER: Je garde globalement de bons souvenirs des coaches que j’ai eus, mais celui avec lequel les échanges ont été les plus intenses, les plus complices, reste Gérard Castella, avec lequel nous avons remporté le titre servettien en 1999. Mais je pourrais vous en citer d'autres: Yves Débonnaire, qui m’a lancé en LNA, Boubou Richard, Enzo Trossero, Roy Hodgson, etc. Sinon, j’ai également apprécié Joachim Löw, avec lequel j’ai passé une saison au VfB Stuttgart, victoire en Coupe d’Allemagne à la clé. Il débutait dans le métier et était vraiment très à l’aise. C'était un chic type. A Servette, j’ai en revanche eu moins de complicité avec Lucien Favre, mais je reconnais que sur le plan technique c'était du très bon niveau. Durant notre épopée en Coupe de l'UEFA 2001/2002, on se posait parfois après les matches avec Oscar Londono et ceux-ci étaient tellement aboutis qu’on se disait que c’était pour vivre des moments comme ceux-là qu’on faisait du foot. J’avais eu la même sensation lors du 1er tour du championnat 1997/1998, avec Castella aux commandes. Au niveau du jeu pur, on se régalait.
VIDEO 2 - Sébastien Fournier revient ici sur sa saison en Allemagne >>
Sébastien Fournier évoque sa saison en Allemagne
RTSsport.ch: Une fois les crampons rangés, il y a eu moins de bons moments…
SEBASTIEN FOURNIER: Lorsque je dis que chaque expérience te nourrit, les années en coulisses au Servette FC, sur son banc puis sur celui du FC Sion ont été tout autant enrichissantes, même si moins positives. Lorsque le SFC a fait faillite en 2005, on s’est retrouvé à 6 personnes seulement pour sauver le club. On s’est tous regardé dans les yeux et on s’est dit: "Bon, on fait quoi maintenant?". C'était irrationel. Il fallait aller de l’avant, d’abord maintenir l’équipe en 1re Ligue puis sauver les jeunes. Humainement, cela a été très fort... Les personnes qui étaient avec moi à ce moment-là, je ne les oublierai jamais. Ca a été la période la plus harassante de ma vie. De l'extérieur, et même encore maintenant, je pense que les gens ne se s’en sont pas rendu compte de ce que nous avons fait. Il y a ensuite eu mon mandat d’entraîneur, en 2012/2013, lorsque je reprends une équipe qui est littéralement morte mais que j’arrive à réanimer et qui ne passe finalement pas si loin de se maintenir en Super League. Le tout alors que, faute d’argent, nous n'avions pas pu recruter les joueurs ciblés et que le seul arrivé, Omar Kossoko, n’était pas qualifié pour les deux premiers matches... Cela a failli être un miracle.
RTSsport.ch: Miracle il n’y a pas eu lorsque vous avez repris Sion en 2017 pour la finale de la Coupe de Suisse. N’était-ce pas un pari totalement fou?
SEBASTIEN FOURNIER: Peut-être, mais même conscient du danger de perdre la première finale de Coupe de l’histoire du club, je ne pouvais pas refuser. J’étais responsable technique du FC Sion, il était impossible de dire non. Mais oui, la défaite contre Bâle (3-0 au Stade de Genève) a été très difficile à digérer. Parce que même si c’était un très bon FCB, il y avait encore 0-0 à la mi-temps et le sentiment qu’il pouvait encore se produire quelque chose. Sauf que Moussa Konaté avait déjà la tête à Amiens, où il venait de signer, que Chadrac Akolo avait 39 de fièvre et que Carlitos avait une déchirure. Non, ce ne sont pas des excuses, mais c’est pour situer le contexte. Ca aurait été davantage qu’un miracle que de nous imposer ce jour-là.
RTSsport.ch: Enfin, existe-t-il une personne croisée dans le monde du foot que vous n’aimeriez pas revoir?
SEBASTIEN FOURNIER: Non, aucune. Je n’ai pas d’ennemis. En revanche, j’ai une fois lu une interview de l’ancien arbitre Urs Meier, dans laquelle celui-ci disait que j’avais été le pire joueur à arbitrer de toute sa carrière. Si c’est vraiment le cas, je souhaiterais m’en excuser aujourd’hui. Je reconnais que je n’étais pas simple à gérer et que dans l’émotion mes mots dépassaient parfois mes pensées. Mais j’étais aussi étiqueté "Fournier, il gueule tout le temps", donc les arbitres ne m'écoutaient pas, ne m’écoutaient plus. Alors que je pense avoir parfois dit des choses sensées (rires).
Arnaud Cerutti - @arnaud_cerutti
QU'EST-IL DEVENU?
Depuis 2018, Sébastien Fournier est responsable technique de l’Association cantonale genevoise de football (ACGF). Un travail prenant et passionnant, qui le pousse à gérer tous les aspects du ballon rond du bout du lac, du football des enfants au foot féminin en passant par la formation des entraîneurs. Les tâches ne manquent pas et son emploi du temps est très chargé. Le Valaisan relève que "le week-end autour des terrains genevois se massent environ 100'000 personnes. Même si les gens ne viennent pas forcément au stade, Genève est un canton de foot. Il y a un véritable vivier de footballeurs, avec des profils très différents."
Dans son travail, où son labeur est unanimement reconnu depuis sa prise de fonction, l’ancien milieu de terrain a déjà beaucoup oeuvré pour rapprocher l'ACGF de tous les clubs du canton. Il a aussi dynamisé la base du foot genevois. Sébastien Fournier se plaît énormément dans cette fonction. "C’est valorisant de soutenir les gens, de dialoguer avec eux, d'échanger, de les accompagner, de les valoriser", témoigne-t-il.
SEBASTIEN FOURNIER, en bref
Naissance le 26 juin 1971, à Nendaz.
Clubs successifs (joueur): 1987-1996: FC Sion; 1996-1997: VfB Stuttgart; 1997-2004: Servette FC.
Poste: milieu de terrain.
International suisse à 40 reprises, 3 buts inscrits.
Carrière de technicien: 2009-2012: Servette II; Juin 2012-Septembre 2012: Sion; Septembre 2012-Août 2013: Servette; 2014-2017: FC Sion (jeunes); Avril 2017-Juin 2017: FC Sion; 2017-2018: FC Sion (jeunes); depuis 2018: responsable technique de l’ACGF.
Rôle actuel dans le football: responsable technique de l'ACGF.