On ne va pas aller dans le dithyrambe à tout-va ni se laisser emballer par la culture de l'instant, qui nous pousserait à dire que la qualification de Servette pour le 3e tour préliminaire de la Ligue des champions est l'exploit du siècle, car ce serait balayer tout ce que contiennent nos souvenirs, et encore plus ceux de nos aïeux, mais pour la jeune génération, la performance continentale des Grenat sur la pelouse du KRC Genk est assurément un immense moment. Parce que se sortir du piège incarné par le vice-champion de Belgique, en étant réduits à 10 contre 11 pendant 117 minutes, après avoir été par deux fois menés à la marque, constitue clairement une performance de choix et démontre les valeurs d'un effectif, d'un club.
C'est, on le sait, avec un cœur "gros comme ça", que les protégés de René Weiler sont brillamment allés chercher la poursuite de leur rêve européen, cette "qualif" aux tirs au but leur permettant quoi qu'il advienne désormais de s'assurer une participation à la phase de poules de l'Europa League. "Mais on aimerait aller encore plus loin et on ne doit pas s'interdire de rêver", ne cache pas Bojan Dimic, entraîneur-assistant au sein du plus prestigieux club romand, à la veille du déplacement à Glasgow pour y affronter les Rangers (mercredi à 20h40 sur RTS 2).
Au club depuis 2015, Dimic (47 ans) y a d'abord été manager des talents, puis assistant de Meho Kodro, avant de passer entraîneur principal ad interim au printemps 2018, puis fidèle bras droit d'Alain Geiger durant tout son mandat (2018-2023). Il est de ceux qui peuvent pleinement mesurer l'évolution vertigineuse connue depuis huit ans par le SFC. Il en a donc parlé à l'oreille de RTS sport.
RTSsport.ch: A peine l'exploit contre Genk réalisé, le Servette FC a dû se replonger dans la Super League avec un déplacement chez Stade Lausanne, puis la préparation du match face aux Rangers. Avez-vous tout de même pu savourer la réussite européenne?
BOJAN DIMIC: Pas vraiment, non. Tout le monde nous répète que c'est beau, et cela doit sans doute l'être, au vu du nombre de messages que nous avons reçus après le match à Genk, mais nous sommes focalisés sur notre boulot et ne sommes pas vraiment conscients de ce que nous avons réalisé. D'ailleurs, entre nous, on ne se dit pas que c'est beau, mais plutôt que c'est bien. Parce que oui, nous sommes contents du travail effectué, mais cette qualification ne doit pas être considérée comme une finalité. Nous demeurons la tête dans le guidon, avec l'envie de poursuivre notre route et d'être sérieux partout. Avant d’affronter le SLO, nous n'avons pas du tout évoqué les Rangers avec les joueurs. Nous étions d'abord concentrés sur Stade Lausanne, parce qu'on se doit d’être concentrés sur chaque objectif.
Entre nous, on ne se dit pas que c'est beau, mais plutôt que c'est bien. Parce que oui, nous sommes contents du travail effectué, mais cette qualification ne doit pas être considérée comme une finalité.
RTSsport.ch: L'Europa League est assurée pour le SFC, mais il y a encore concrètement autre chose en jeu, et pas n'importe quoi!
BOJAN DIMIC: Oui, et Servette doit justement continuer de rêver. Bien entendu, on sait que de toute manière cet automne européen sera beau et il n'y a qu'à voir les équipes que l'on pourrait par exemple affronter en C3 pour le comprendre (ndlr: Liverpool, AS Roma, Villarreal, Bayer Leverkusen…), mais le véritable songe pour nous serait d’entrer pour de bon en Ligue des champions. On sait toutefois combien cela sera compliqué! Notamment car avec les Rangers face à nous, ce sera encore deux crans au-dessus de ce que nous avons connu avec Genk. On mesure la difficulté de la tâche qui nous attend et, d'un autre côté, nous avons engrangé beaucoup de confiance. On a pu voir que même dans la tempête, dans l'adversité, notre équipe a du répondant, du cœur, qu'elle ne lâche rien. Servette a gagné en sérénité, ne panique pas. On sait que l'on peut réagir, même si l’objectif premier est d'abord d'agir. Donc j'ai envie de dire "Continuons à rêver!". Tout ce qui peut arriver désormais ne sera que du bonus.
RTSsport.ch: Vous parliez précédemment de la confiance engrangée, du répondant de votre équipe. Le match contre Genk semble être la rencontre parfaite pour continuer à bâtir, à avancer, le socle parfait pour cela…
BOJAN DIMIC: Il est évident qu'un match comme celui-ci, pour tout ce qu'il nous apporte dans tous les secteurs, peut nous faire gagner six mois. Comme vous le dites, c'est un socle pour la suite, qui nous permet de prendre conscience de ce que nous sommes capables de faire. Les gars comprennent qu'ils ne sont pas si loin du très, très haut niveau. Ils doivent avoir envie de foncer pour y arriver et nous, en tant que staff, devons être là pour les y aider, pour les guider, histoire que chacun grandisse encore…
On a pu voir que même dans la tempête, dans l'adversité, notre équipe a du répondant, du cœur, qu'elle ne lâche rien.
RTSsport.ch: Affronter les Rangers à Ibrox sera un moment mythique. D'aucuns pensent néanmoins que cela peut inhiber, mais n'est-ce pas au contraire la plus belle des motivations?
BOJAN DIMIC: Je suis d'accord avec vous, je pense que cela doit donner encore plus de hargne, de rage, d'envie de réussir. L’atmosphère du public écossais, l'ambiance, l'intensité; cela doit être tellement motivant! Une rencontre pareille doit te permettre de te transcender, de montrer encore davantage de caractère. Même si nous n'en manquons pas, peut-être que ces affrontements européens vont encore révéler d'autres leaders dans notre effectif, des gagneurs, des champions...
RTSsport.ch: On parle des Rangers, de l'Europe, mais il y a encore huit ans, Servette bataillait loin, très loin de tout cela. Mesurez-vous pleinement ce qui a été réalisé depuis 2015?
BOJAN DIMIC: Je crois qu'il est difficile de complètement s'en rendre compte aujourd'hui, d'autant plus que, comme je le disais, nous sommes la tête dans le guidon, mais il est clair que nous sommes arrivés dans un tout autre monde que celui d'il y a huit ans et c'est complètement dingue. Nous en parlions d'ailleurs avec certains anciens, juste après la qualification contre Genk. "Tu te souviens lorsqu'on devait aller à Cham? Tu te rappelles des matches à Rapperswil?..." Oui, c'est incroyable. Ce qui l'est plus encore, c'est que le Servette FC n'a pas effectué ce parcours sur 18-20 ans, mais sur huit petites années. Ce que je retiens surtout, c'est que c'est tout un club qui a grandi, pas seulement l'équipe-fanion. Si le Servette FC en tant que tel n'avait pas suivi à tous les niveaux, si tout le monde ne s'était pas adapté aux exigences, n'avait pas évolué ensemble, main dans la main, avec la conviction de pouvoir aller de l'avant, cela n'aurait pas eu le même retentissement ni la même crédibilité. Là, c'est tout un club qui s'est positionné. Alors oui, c'est beau.
En 8 ans, nous sommes arrivés dans un tout autre monde. Nous en parlions d'ailleurs avec certains anciens, juste après la qualification contre Genk. "Tu te souviens lorsqu'on devait aller à Cham? Tu te rappelles des matches à Rapperswil?..." Oui, c'est incroyable...
RTSsport.ch: Aussi beau que ce qui se présente: un Stade de Genève à guichets fermés le 15 août pour recevoir les Rangers, une première pour le Servette FC en dehors de l’ouverture contre Young Boys en… mars 2003…
BOJAN DIMIC: Il s'agira certainement d'un tout grand moment, qui nous donnera des frissons. Là nous pourrons vraiment mesurer ce qui a été accompli. Pour l'anecdote, dans le bureau que nous partagions avec Alain Geiger, nous avions au mur une photo de ce fameux match contre YB, il y a 20 ans. Au début de notre collaboration, on s'était dit que nous devions, à terme et par notre travail, nous rapprocher de cela. Nous avions ensuite accueilli 20'000 personnes pour la promotion contre Lausanne, en mai 2019. On se rapprochait du "truc" et nous avions de fait accroché une photo de cette soirée-là à côté de celle de 2003, comme une carotte pour avancer encore et atteindre un jour le stade plein. Si on y parvient le 15 août, ce sera une nouvelle page d'histoire du Servette FC et clairement une nouvelle photo à mettre au mur.
RTSsport.ch: En parlant d'Alain Geiger, il serait fâcheux de ne pas le citer dans le parcours actuel du SFC...
BOJAN DIMIC: Effectivement, il ne faut surtout pas oublier Alain Geiger, puisqu'aujourd’hui l'équipe hérite de tout ce qui a été mis en place et concrétisé avec lui à sa tête. Je crois que chacun en est parfaitement conscient. Alain a placé la barre à un certain niveau et nous cherchons désormais à nous appuyer dessus pour aller la mettre à un autre étage encore. Alors certes, nous n'en sommes pas encore à soulever des trophées, ce qui est la chose qui valide pour de bon ton travail et te permet de marquer autant l'histoire que les esprits, mais on avance dans la bonne direction et nous ne voulons pas nous arrêter là.
Il ne faut surtout pas oublier de citer Alain Geiger, puisqu'aujourd’hui l'équipe hérite de tout ce qui a été mis en place et concrétisé avec lui à sa tête. Je crois que chacun en est parfaitement conscient.
RTSsport.ch: Avez-vous eu des nouvelles d'Alain Geiger après la qualification pour le 3e tour préliminaire de cette Ligue des champions?
BOJAN DIMIC: Bien sûr! Il m'a envoyé un message de félicitations. Il était très content pour nous.
RTSsport.ch: Mercredi soir, c'est donc un autre grand match qui attend le SFC. Que pouvez-vous nous dire des Rangers?
BOJAN DIMIC: Je les ai visionnés et je vois à quoi ressemble cette équipe, quel football elle recherche. Ce sera un jeu plus vertical que celui proposé par Genk, avec beaucoup d’allant offensif; une formation bien organisée, plus forte que les Belges.
RTSsport.ch: Avec notamment Ianis Hagi, le fils du légendaire Gheorghe, un très joli joueur qui évoluait à... Genk avant de rallier Glasgow…
BOJAN DIMIC: Il est clair que c'est un très beau footballeur, super technicien et bon manieur de ballons, ce qui peut dépareiller un peu dans une équipe écossaise. Mais il est justement là pour faire un bien fou aux Rangers. Reste que lorsqu'on affronte un effectif pareil, on ne peut pas en extraire une seule individualité. A ce niveau, tous les joueurs sont très forts. Pas un ne doit davantage être surveillé qu'un autre, puisque le danger peut surgir de partout. A nous d'être disciplinés, sérieux, solides pour faire un résultat chez eux afin que le Stade de Genève soit chaud le 15 août.
J'ai un peu le sentiment que Genk était venu à Genève en nous prenant un peu à la légère. Mais cela ne se reproduira pas avec les Rangers. Ce n'est pas le style de la maison.
RTSsport.ch: Grâce à son exploit du tour précédent, Servette gagne en respect. N'est-ce pas presque dommage, finalement?
BOJAN DIMIC: (il rit) Bien sûr, puisque l'effet de surprise n'existera plus et que plus personne ne nous prendra à la légère. Mais cela démontre aussi que le club se replace sur la carte de l'Europe et j'ai envie de croire que cela signifiera également que, dans les compétitions continentales, les arbitres nous prendront davantage en considération.
RTSsport.ch: Au fait, Genk n'a-t-il pas commis le tort de vous prendre un peu de haut voici deux semaines?
BOJAN DIMIC: J'ai en effet un peu le sentiment que le club belge était venu à Genève en nous prenant un peu à la légère. Mais cela ne se reproduira pas avec les Rangers, ni à l'aller ni au retour. Ce n'est pas le style de la maison. A nous donc d'élever encore notre niveau pour poursuivre notre rêve.
Arnaud Cerutti - @arnaud_cerutti