Johann Lonfat: "Les succès, j'ai toujours voulu les partager. Ils ne sont pas faits pour que tu les vives seul, dans ton coin..."
Johann Lonfat a raccroché les crampons il y a près de quinze ans déjà, mais il reste une figure marquante du football suisse. D'une part car il a marqué positivement les clubs par lesquels il est passé, mais aussi car il est aujourd'hui un consultant apprécié dans plusieurs médias. Son coup d'œil en fait une valeur sûre. Lui qui fêtera ses 50 ans (et qui ne les "fait" pas) le 11 septembre a bien voulu se prêter à notre rubrique "Dans le Rétro", sans omettre d'évoquer aussi l’actualité et les clubs qui lui sont chers.
RTSsport.ch: Johann Lonfat, vous avez définitivement raccroché vos crampons il y a déjà près de quinze ans. Avec le recul, que retenez-vous de votre carrière?
JOHANN LONFAT: Tout d'abord le fait d'avoir pu vivre des émotions et des moments incroyables au fil de celle-ci. Pour tout dire, je crois avoir eu la chance d'être toujours là, au bon moment, à savoir d'être dans des clubs qui, à l'époque où je portais leur maillot, étaient stables, bien organisés. J'ai pu avoir du succès partout où je suis passé, avec ce que j’appelle les "3 S", Sion, Servette et Sochaux. Imaginez: j'ai eu l'occasion de remporter à trois reprises la Coupe de Suisse avec les Valaisans, j'ai notamment gagné le dernier titre national d’un club romand avec le SFC, puis j'ai également enlevé la Coupe de la Ligue avec le club français; c'est beau!
RTSsport.ch: Le moment de dire stop n'a-t-il pas été trop dur?
JOHANN LONFAT: Non, car après une dernière saison à Sochaux, durant laquelle j'avais connu pas mal de pépins physiques, j'étais revenu à Servette, en Challenge League, ce qui m'a permis d'assurer gentiment ma reconversion. Je m'entraînais le soir et j'étais stagiaire dans une banque durant la journée. Je savais que je touchais à la fin de ma carrière sportive. La transition s'est faite en douceur, sans rien brusquer. En cela, mes blessures ont été un mal pour un bien.
RTSsport.ch: Quel est le club qui vous a le plus marqué?
JOHANN LONFAT: Je vais être franc avec vous: je n'ai pas aimé un endroit plus qu'un autre. Pour la simple et bonne raison que tous m'ont apporté quelque chose et tous ont été importants à des moments de ma vie. Que ce soit à Sion, Servette ou Sochaux, j'ai connu des instants très forts, de vrais moments de partage, et c'est ce que je veux en retenir. Parce que dans le football, lorsque tu gagnes quelque chose, tu ne gagnes pas pour toi, mais pour l'équipe, pour le club. C'est un sport collectif: les belles émotions, les succès puis les fêtes sont faits pour être partagés, pas pour les vivre dans ton coin. J'ai toujours eu envie de vivre le foot à travers le collectif.
RTSsport.ch: A l'image en réalité du joueur que vous étiez…
JOHANN LONFAT: J'étais un demi défensif besogneux, pas très spectaculaire, un joueur de labeur, de devoir, mais j'aimais ce rôle. J'aimais aller chercher en moi et au sein de mes équipes les ressources pour nous surpasser. Rarement nous avons été les favoris dans les compétitions que nous avons gagnées, hormis peut-être en finale de Coupe de Suisse 2001 avec Servette (ndlr: contre Yverdon, battu 3-0), mais nous nous en sommes toujours sortis grâce à notre état d'esprit, à notre tête. Si tu as le bon état d'esprit, tu peux réaliser des choses incroyables.
RTSsport.ch: Quelle a été la plus grande déception de votre carrière?
JOHANN LONFAT: C'est incontestablement d'avoir manqué l'Euro 2004. Je figurais pourtant dans la liste dressée par Köbi Kuhn! Mais deux jours avant l'envol pour le Portugal, je me suis bloqué le dos. Je ne pouvais plus bouger et j'ai dû renoncer au voyage. Quelle cruelle déception cela a été! Honnêtement, je suis tombé de très, très haut, à ce moment-là.
RTSsport.ch: A l'inverse, y a-t-il un moment où vous vous êtes senti plus fort que jamais?
JOHANN LONFAT: Paradoxalement, c'était lors de la saison ayant suivi ma déception "portugaise"! J'étais tombé tellement bas que j'ai bossé comme un fou pour m'en relever. Je ne sais pas si c'est par réflexe ou quoi, mais j'ai ensuite livré ma meilleure saison, en 2004/2005. Nous avions enchaîné un autre beau parcours européen avec Sochaux, jusqu'en 16es de finale de la Coupe de l'UEFA (ndlr: éliminé d’un rien par l'Olympiakos, après que Lonfat a notamment marqué le but vainqueur sur la pelouse du Sporting en poules) et j'avais le sentiment de donner ma pleine mesure dans l'entrejeu. Oui, c'était certainement mon meilleur moment.
RTSsport.ch: Vous aviez même, à l’époque, retrouvé l'équipe nationale…
JOHANN LONFAT: Effectivement, mais mon histoire avec la Nati n'a pas été la plus belle. C'est une sorte de rendez-vous manqué. Certes, j'ai connu 24 sélections et c'est honorable, mais je n'ai pas souvent été à la hauteur lorsque j'ai été aligné sous le maillot rouge à croix blanche. Et mon malheur, c'est qu'en mars 2005, lorsque je la retrouve, je suis titulaire au Stade de France pour affronter les Bleus en éliminatoires de la Coupe du monde 2006. Pour moi qui évolue alors en Ligue 1, c'est une affiche de rêve, ça doit être un moment de bonheur. Sauf qu'après moins d'une demi-heure, je me prends un doigt dans un œil et je ne vois plus rien. Je suis alors contraint de sortir… Et dire que c'est Benoît Pedretti, alors mon coéquipier à Sochaux, qui m'avait blessé! Décidément…
RTSsport.ch: De tous les joueurs avec qui vous avez évolué, lequel vous a le plus marqué?
JOHANN LONFAT: J'ai connu pas mal de bons footballeurs, mais j'ai beaucoup aimé Frédéric Meyrieu, à Sion. Il était venu nous renforcer pour six mois, lors de la saison 1996/1997, et je ne sais toujours pas comment ni pourquoi il était arrivé à Tourbillon, en provenance de Lens, mais il était diablement fort! C'était un gars pétri de talent, doté d'un formidable pied gauche, avec lequel il pouvait tout faire. Je jouais en no 6, lui en no 10 et je me régalais de l'avoir devant moi. Il a porté l'équipe quasiment à lui tout seul pour amener le FC Sion au doublé Coupe-championnat. Meyrieu, c'était un phénomène!
RTSsport.ch: Lequel de vos coéquipiers vous a semblé le plus sous-estimé?
JOHANN LONFAT: Pour moi, il ne fait aucun doute qu'il s'agit de Mickaël Pagis, que j'ai eu comme partenaire au FC Sochaux. Lui aussi, qu'est-ce qu'il était fort! C'était un talent fou, plein de finesse, et surtout une machine à marquer, impitoyable devant le but. J'ai rarement vu ça ailleurs. A mes yeux, il aurait dû, à un moment ou à un autre, être appelé en équipe de France. Mais "Micka" (ndlr: passé ensuite par l'OM et Rennes notamment) avait un caractère fort, était un peu sanguin, et je pense que cela l'a desservi. C'est vraiment dommage.
RTSsport.ch: Quel entraîneur vous a le plus marqué?
JOHANN LONFAT: Je suis obligé de citer Gérard Castella (ndlr: son coach à Servette de juin 1998 à octobre 1999). J'ai adoré évoluer sous ses ordres. Surtout que c'est lui-même qui était venu me chercher à Sion. Il avait fait le déplacement chez moi pour m'expliquer pourquoi il me voulait à Genève, comment il entendait construire l'équipe, avec moi notamment. C'était une incroyable marque de confiance. Il en fallait pour qu'un Valaisan aille aux Charmilles (rires). Ensuite, ce que nous avons vécu avec lui reste un merveilleux souvenir. Ca ne pouvait que "matcher" entre Castella et cette équipe. En dehors de Gérard, j'ai aussi apprécié Guy Lacombe, à Sochaux. Il avait cette capacité folle à tirer le maximum de son groupe, à savoir parfaitement comment gérer chaque élément du vestiaire.
RTSsport.ch: Et si on parlait du plus fou de vos anciens coéquipiers?
JOHANN LONFAT: Je sais que Matias Vitkieviez et Sébastien Fournier vous ont parlé de Carlos Varela. C'est clair qu'il était particulier sur le terrain, mais c'est un vrai bon mec. Si on l'a comme coéquipier, c'est un régal, car il faut des joueurs avec cette mentalité, qui peuvent rendre fous les adversaires. Mais je suis conscient que Carlos était détesté notamment par les supporters du FC Sion. Sauf que ceux-ci disent aujourd'hui qu'il est excellent comme consultant, que c'est un gars qui ose dire les choses, etc. C'est à son image; franc et direct! Il faut le connaître, c'est tout. Après, je vais vous dire que Séb (ndlr: Fournier) n'était pas un cadeau non plus (ndlr: l'intéressé l'admettait lui-même dans son interview). C'était un gagneur mais surtout un ronchon, pas facile à vivre...
RTSsport.ch: Mais comme vous le dites, ne faut-il pas en avoir des gars comme ça, dans une équipe?
JOHANN LONFAT: Ah mais oui, clairement! Ils sont un peu fous, mais ce sont des crèmes en dehors. Sauf que sur le terrain ils défendent leur "bifteck" et veulent gagner. Ils sont très exigeants avec eux-mêmes, donc naturellement aussi avec les autres. Je pense sincèrement que toutes les équipes doivent pouvoir se reposer sur des mecs pas trop lisses, qui ont du caractère, qui savent se muer en leaders. Je me souviens qu'à Sion, à l’époque, nous avions notamment Dominique Herr et Yvan Quentin; ils n'étaient pas les plus talentueux, mais ils avaient cette capacité folle à "tirer" l'équipe dans les moments les plus difficiles, cette capacité à se rebeller, à créer l'union sacrée. Cela n'est pas donné à tout le monde. C'est d'ailleurs ce que je déplore un peu en voyant le foot actuel, dans lequel il manque des joueurs de caractère. C'est ce que j'ai notamment dénoncé tout au long de la saison passée au sujet du FC Sion, qui n'avait plus rien, plus d'âme, mais qui semble heureusement aller vers le mieux, désormais.
RTSsport.ch: Et quel joueur ou entraîneur n'aimeriez-vous pas spécialement revoir?
JOHANN LONFAT: Ciriaco Sforza (ndlr: ancien capitaine de l’équipe de Suisse)! Je l'ai certes revu dans des matches d'anciens de la sélection, mais il n'y a pas de relation. Ca reste quelqu'un de très difficile à cerner, qui donne l'impression de toujours prendre les gens de haut, de se croire au-dessus, sur une autre planète. Il a toujours eu un rapport distant avec nous qui étions en équipe nationale à ses côtés. Il nous prenait pour de petits minets. Je n'ai jamais eu d'atomes crochus avec lui et je crois savoir que je ne suis de loin pas le seul…
RTSsport.ch: Y a-t-il un adversaire que vous détestiez affronter durant votre carrière?
JOHANN LONFAT: Je ne crois pas qu'il y avait un joueur en particulier, mais je détestais aller à Lugano, par exemple. Attention, je n'ai pas de problème avec les Tessinois ni avec ce club, c'est juste qu'on se retrouvait souvent dans des matches compliqués, face à pas mal de joueurs "sanguins", des équipes vraiment "chiantes" à jouer, plutôt défensives, qui rendaient les matches tendus. C'étaient tous des roublards, en face. Donc c'était hargneux, à chaque fois. Reste que pour avoir croisé plusieurs anciens Luganais en dehors des terrains, ça a toujours été un plaisir de les revoir. Eux aussi savent faire la part des choses entre ce qu'ils sont pendant nonante minutes et ce qu'ils sont ensuite, en dehors du temps de jeu. Je relève au passage qu'Oscar Londono était aussi de cette trempe. Je ne pouvais pas le voir lorsque je l'affrontais quand il était à Lausanne. Puis on s’est retrouvé à Servette et on est devenus potes!
RTSsport.ch: S'il fallait ne retenir qu'un match de votre carrière…
JOHANN LONFAT: Oh la la, question piège! (Après une longue réflexion) Je crois qu'à choisir, je mettrais tout de même en exergue les finales de Coupe, parce que tout se joue sur un match, les émotions y sont amplifiées et parce qu'on connaît l’importance de cette compétition, notamment pour les Valaisans, avec lesquels j'en ai gagné trois. Quand tu portes ce maillot du FC Sion, remporter ce titre est le point culminant de ta saison, peut-être de ta carrière pour certains. Ce qui les a rendues encore plus savoureuses, ces finales, pour moi, c'est que nous étions à l'époque plusieurs Valaisans dans l'équipe et que les attentes semblaient encore plus fortes autour de nous. Ainsi, avoir pu en enlever trois (ndlr: en 1995 contre GC, en 1996 face à Servette et en 1997 devant Lucerne) reste un privilège pour moi.
RTSsport.ch: Quelles ont été vos plus belles rencontres grâce au football?
JOHANN LONFAT: Il y en a eu plein, mais je vais citer essentiellement quelques-uns de mes anciens partenaires au FC Sion, dont certains étaient aussi avec moi à Genève: Alexandre Rey, avec lequel j'allais aux entraînements à Servette, Sébastien Fournier, Christophe Bonvin, Olivier Biaggi, Fabrice Borer… Ce sont de vrais amis. D'ailleurs, je pars bientôt en vacances avec les deux derniers cités.
Arnaud Cerutti - @arnaud_cerutti
"Si triste pour Sochaux"
Johann Lonfat ne cache rien de sa tristesse au vu de la situation du FC Sochaux, récemment rétrogradé sur le tapis vert, de L2 en N3. "C’est terrible de voir ce qui s’y passe, déplore le Valaisan. Comment a-t-on pu en arriver là, avec ces investisseurs chinois, qui étaient si loin du Doubs, et qui ont pu passer entre les gouttes plusieurs saisons avant que le scandale n’éclate? C’est incompréhensible pour moi. Il y a eu un incroyable laisser-aller de la part des instances. C’est tellement injuste et cruel pour les employés, les fans, les joueurs, les jeunes du centre de formation… Pour tout dire, ce qui se passe est dramatique. Je suis en pensées avec tous ces gens de ce magnifique club. Maintenant, j’ai entendu dire que l’ancien président Plessis tente de faire maintenir le club en N1 plutôt qu’en N3. J’espère que ça va marcher. Tant qu’il y a de la vie…"
"Peut-être Cognat..."
Lorsqu’on lui demande si un joueur de Super League d'aujourd'hui lui fait penser au "lui" de l’époque, Johann Lonfat hésite, puis finit par dire qu’il se retrouve quelque peu en Timothé Cognat, le pilier du Servette FC. "Disons qu’il est beaucoup plus offensif que moi, mais je me retrouve un peu dans son style, ce petit gabarit qui se bat sur chaque ballon. Mais la comparaison s’arrête là, le football ayant évolué.."
Qu'est-il devenu?
Une fois la page "carrière" tournée, Johann Lonfat n’a pas choisi de mettre les mains dans le cambouis, ou plutôt les pieds dans la pelouse. L’ancien milieu de terrain est désormais gestionnaire de fortune à l'UBS. Le football, il y goûte en tant que consultant pour Blue et comme intervenant régulier auprès des médias, notamment valaisans. "Je n’ai jamais été attiré par le fait d’être entraîneur, explique-t-il. Je n’ai pas ce côté meneur d’hommes. Même les juniors, ça ne m’aurait pas vraiment intéressé... En plus, à la maison, je suis entouré de quatre femmes, qui ne sont pas vraiment intéressées par le foot (rires). Mais je suis content d’avoir pu conserver un lien avec le terrain en allant voir des matches dans la peau du consultant. J'apprécie ce rôle-là."
Johann Lonfat, en bref
Naissance le 11 septembre 1973, à Martigny.
Clubs successifs (joueur): 1991-1992: Martigny-Sports; 1992-1998: FC Sion; 1998-2002: Servette FC; 2002-2007: FC Sochaux; 2007-2009: Servette FC.
Poste: milieu de terrain.
International suisse à 24 reprises, 1 but inscrit.
Rôle actuel dans le football: consultant pour divers médias.
Palmarès: 2 Championnats de Suisse (1997 et 1999); 4 Coupes de Suisse (1995, 1996, 1997 et 2001), 1 Coupe de la Ligue (2004).