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Carlos Varela: "Un soir de Ligue des champions, je me suis demandé ce que je foutais sur le terrain..."

Carlos Varela, bientôt 46 ans, a enflammé les stades dans son couloir à son époque de joueur, notamment sous les couleurs du FC Bâle en Ligue des champions. [Keystone - Peter Klaunzer]
Carlos Varela, bientôt 46 ans, a enflammé les stades dans son couloir à son époque de joueur, notamment sous les couleurs du FC Bâle en Ligue des champions. - [Keystone - Peter Klaunzer]
Ancien joueur de Servette, Bâle, YB ou encore Neuchâtel Xamax, Carlos Varela se livre dans ce nouvel épisode «Dans le rétro», alors que Grenat et Bernois s'affrontent ce week-end. Le Genevois au langage fleuri et délicieux se révèle fidèle à lui-même. Les anecdotes ne manquent pas!

Genevois, donc forcément grande gueule. Ailier percutant, donc "petit c.." aussi. Les raccourcis, les clichés, ont la vie dure. Et une fois que ceux-ci ont rangé les gens dans une case, difficile de s'en départir. Carlos Varela a connu cela et a dû y faire face. Il a su dribbler ces potentiels obstacles aussi bien que ses adversaires afin de signer une très belle carrière, dont le point de départ (Servette) a été suivi par de superbes étapes, au FC Bâle – avec lequel il a disputé la Ligue des champions – et aux Young Boys notamment. A l'aube de ses 46 ans, l'ancien joueur aux près de 400 matches dans l'élite helvétique revient sur son parcours, presque sans rien cacher et surtout sans langue de bois. Savoureux.

RTSsport.ch: Carlos Varela, commençons par la question que tout le monde se pose: Matias Vitkieviez, Sébastien Fournier et Johann Lonfat vous ayant tous trois classé parmi les joueurs les "plus fous" qu'ils ont côtoyés, êtes-vous "barré" à ce point?

CARLOS VARELA: (il se marre) J'ai lu leurs propos et je les accepte! Les gens qui me connaissent bien sont énervés de lire ça, mais moi ça me va, parce que je sais qu'il y a au moins 150 joueurs plus fous que moi! Leurs avis étaient d'ailleurs plutôt tournés sur l'aspect positif du qualificatif. Ce que je retiens de ma carrière, c'est que je n'ai jamais eu de problèmes ni avec mes employeurs ni avec mes entraîneurs ni avec mes coéquipiers. Cette étiquette, on me l'a collée de par mon jeu, de par mon style. Ailier, je devais percuter, mettre le bazar, mettre le feu et forcément que je me suis retrouvé dans des scènes litigieuses et qu'on a dit de moi que j'étais un provocateur. Mais cela aurait moins été le cas si j'avais joué milieu défensif. D'ailleurs, lorsqu'YB est venu me chercher, ses dirigeants m’ont clairement dit que je devais "bouger le club", amener quelque chose d'autre.

RTSsport.ch: Être classé comme "fou" permet donc de décrocher des contrats…

CARLOS VARELA: (sourire) Disons que ma manière de jouer était atypique en Suisse et peut-être que cela a séduit plus d'un technicien. Pour en revenir à ce qualificatif de "fou", je tiens à souligner que je n'ai jamais été une horreur sur le terrain, un salaud. Je n'ai jamais pris de carton pour voie de fait ou autre. Seulement, quand tu arrivais dans l'élite à 18/19 ans et que tu te retrouvais devant des mecs comme Yvan Quentin (ndlr: ex-international suisse, passé par Sion et Zurich), qui était peut-être parmi les plus fous d'ailleurs, tu n'étais jamais tranquille. Tu devais y aller avec le dentier, car tu te faisais déglinguer pendant 90 minutes! Face à lui, tu devais fermer ta gueule et encaisser au maximum. Avec le recul, je remercie Yvan pour nos duels, car il m'a fait mûrir. D'ailleurs, je l'apprécie beaucoup aujourd'hui. J'avais et j’ai toujours un profond respect pour les joueurs comme lui, qui défend(ai)ent leur maillot par tous les moyens.

Quand tu arrivais dans l'élite à 18/19 ans et que tu te retrouvais devant des mecs comme Yvan Quentin, tu n'étais jamais tranquille, tu te faisais déglinguer.

Carlos Varela, ex-joueur de Servette, Bâle, YB et Xamax notamment

RTSsport.ch: C'était également un peu votre style, ce qui vous a notamment valu la haine des supporters du FC Sion après des matches chauds avec le SFC, puis ensuite tout au long de votre carrière. Pourtant, on a l'impression que vous auriez eu tout pour plaire au public valaisan!

CARLOS VARELA: Déjà, j'aimerais dire que je suis heureux qu'à Tourbillon les fans ne m'aient jamais ménagé. Si on m’avait enlevé la tribune nord, je n'aurais pas eu autant de plaisir à jouer là-bas. Le foot, ce sont les émotions et il y avait un vrai truc qui se dégageait à chaque fois que je jouais à Sion. Et je crois que vous avez raison: j'aurais tout à fait pu jouer pour ce club et m'y plaire. Simplement car je suis en réalité un fan de foot qui a eu la chance de faire de sa passion sa carrière. Et la passion des Sédunois pour leur club est juste incroyable. Avec le temps, j'ai appris à découvrir Tourbillon dans les coulisses, pas seulement en passant du parking à la pelouse comme lorsque j'étais joueur, et j'ai découvert les valeurs du club. Le fanatisme y est proche de celui du Deportivo La Corogne, mon club de cœur, dont je suis un fan absolu. Je sais que si tu te défonces pour l'équipe, le public valaisan t'adoptera. C'était la même chose à Bâle. Oui, Sion est un club qui colle à mes valeurs et au sein duquel j'aurais pu me plaire.

J'aurais tout à fait pu jouer pour le FC Sion et me plaire dans ce club.

Carlos Varela, ex-joueur de Servette, Bâle, YB et Xamax notamment

RTSsport.ch: Puisque nous devons jeter un oeil dans le rétro, de tous les matches de votre carrière, lequel vous a le plus marqué?

CARLOS VARELA: C'est incontestablement celui disputé à La Corogne avec le FC Bâle (ndlr: 25 février 2003, 1-0 pour les Espagnols), sur la terre de mes parents, contre le club qu'ils ont toujours soutenu. C'était qui plus est juste après le décès de ma maman... Elle qui avait toujours rêvé de me voir jouer là-bas, mais plutôt sous le maillot du Depor, n'a pas vécu cela, mais il y avait ma famille au Riazor et j'entendais mon nom être scandé depuis les tribunes. C'était incroyable. Pour moi, c'est un moment unique, bien au-dessus du reste. Moi qui ai toujours voulu rendre fiers les gens à travers le football y suis parvenu ce soir-là. Il n'y a rien de plus beau.

RTSsport.ch: Y a-t-il eu un but ou un match plus important qu'un autre?

CARLOS VARELA: En dehors de celle de La Corogne, unique, les soirées de Ligue des champions sortent du lot. La première fois que j'en ai vécu une, je me suis honnêtement demandé ce que je foutais là, sur le terrain, parce que ce que je vivais était plus qu'un rêve. Ca me paraissait tellement improbable, c'était magique. Tout simplement car je suis à la base un accro du foot et que normalement je passais les soirs de Coupes d'Europe sur mon canapé. Moi dont la seule ambition était d’arriver peut-être un jour en "espoirs" du Servette FC et qui donc n'avais jamais rêvé de faire carrière, je me suis retrouvé sur la pelouse, avec Bâle, à entendre l'hymne de la C1. Mais oui, qu'est-ce que je foutais là??? J'ai failli en chialer, car j'atteignais-là le Graal. C'était énorme. Il n'y a pas plus haut à viser pour un footballeur du championnat de Suisse. Pour le reste, je ne retiens aucun but en particulier, car je n'ai jamais joué pour ma gueule, encore moins pour me montrer ou pour me "casser" d'un club afin d'aller voir ailleurs. J'étais un joueur d'équipe, je faisais ce qu'on me demandait, donc tous les titres cueillis collectivement sont gravés en moi. Le plus important a été de pouvoir partager des moments de bonheur avec des gens qui me sont chers.

Carlos Varela (à droite), avec les frères Yakin, ses grands potes, ainsi que Cantaluppi, Gimenez et Zuberbühler; la grande et belle époque du FC Bâle. [Keystone - Markus Stuecklin]
Carlos Varela (à droite), avec les frères Yakin, ses grands potes, ainsi que Cantaluppi, Gimenez et Zuberbühler; la grande et belle époque du FC Bâle. [Keystone - Markus Stuecklin]

RTSsport.ch: De tous les joueurs que vous avez côtoyés, lequel vous a le plus marqué?

CARLOS VARELA: Sans aucun doute les deux Yakin, Murat et Hakan, de vrais frères qui partagent tout entre eux. J'ai vécu 6 ans en collocation avec le cadet. Ce sont des mecs extraordinaires, qui ne sont pas du tout dans la vie comme les médias les représentent. Oui, ce sont des stars, connues partout, mais tous deux traînent une étiquette de divas qui n'est pas justifiée. Ils sont au contraire très famille, ont de vraies valeurs, ils détestent tout ce qui est VIP, etc... Je crois que c'est pour ça que ça a si bien collé entre eux et moi, car nous sommes pareils. J'admire surtout la capacité qu'ils ont à passer au-dessus des critiques, encore aujourd'hui. Cela m'a véritablement marqué. Ils n'en ont strictement rien à secouer. Ils ont le cuir si épais! Parfois, lorsque je lisais ou entendais ce qui se disait sur eux, ça me rendait fou, mais eux parvenaient à laisser couler. Ils s’en fichent de l'étiquette qu'on leur a collée… Il ne faut pas oublier qu'ils en ont bavé dans leur jeunesse, alors maintenant ils apprécient ce qu'ils ont, ils profitent. "Sois content de ce que tu as, pas mécontent de ce que tu n'as pas". J’applique moi aussi cette devise au quotidien.

RTSsport.ch: Quel a été le joueur le plus sous-estimé que vous avez eu comme partenaire?

CARLOS VARELA: J'avais lu vos entretiens précédents, avec Vitkieviez, Fournier et Lonfat, et me suis toujours dit que si vous m'interrogiez, la réponse était de mon côté toute trouvée: il s'agit d'Alexandre Quennoz, avec qui j'ai joué au FC Bâle! Pour moi, Alex était un défenseur central exceptionnel. J'en ai rarement vu d'autres à ce niveau. Il était robuste, imprenable, impossible à passer... Dans le foot d'aujourd'hui, il aurait tous les clubs à ses pieds! En plus, il faisait tout pour l'équipe, avec un super état d'esprit. Il était heureux au quotidien, content d'être dans le foot pro. Je me souviens en particulier d'un match à Liverpool, en Ligue des champions, où Zwyssig se blesse après 10 minutes. Quennoz entre en jeu, avec Michael Owen en face de lui. Le Ballon d'or n'a jamais réussi à le passer! Bref, Alexandre était un "king".

RTSsport.ch: Quel a été le joueur le plus drôle?

CARLOS VARELA: Je n'en ai pas un précis à citer, mais j'aimerais plutôt évoquer le côté "fascinant" de certains joueurs sud-américains que j'ai côtoyés et qui prenaient le foot avec une telle décontraction, voire parfois avec une telle déconnexion, que cela tranchait avec notre côté très "helvétique". Par exemple, plusieurs d'entre eux n'avaient aucune idée de quelle équipe nous allions affronter en fin de semaine. Ils ne pensaient pas au match avant d'être sur le terrain. Pour eux, ça pouvait être barbecue et bières jusqu'à 2h du mat’ la veille de la rencontre, tout en étant parfaitement à la hauteur au moment de jouer. Pour moi qui étais un accro de la sieste, c'était incroyable. J'ai essayé de leur prendre un peu de ce côté "bien-vivre", détendu... Jouer avec des types pareils, c'est le bonheur si tu veux éviter d'être trop nerveux. Ils ont une capacité folle à te tranquilliser, à t'enlever toute pression…

RTSsport.ch: Avez-vous le souvenir d'un joueur ou d'une équipe que vous n'aimiez pas affronter?

CARLOS VARELA: Pas spécialement, car j’étais toujours heureux de jouer, sincèrement. Il est toutefois clair que le Letzigrund n'a jamais été mon stade fétiche, car il n'y a aucune vraie ambiance de foot qui s'en dégage. Sinon, j'ai adoré tous mes matches, car c'était une chance que de pouvoir évoluer à ce niveau. J'ai conscience d'avoir été un privilégié. J'aimais particulièrement les matches de Coupe contre des formations de divisions inférieures, parce qu'il fallait enfiler le bleu de travail, y aller vraiment. Je me mettais parfois même davantage de pression pour ces rendez-vous que pour la Ligue des champions, car je voulais que les mecs d'en face se disent, au sortir de la rencontre, qu'ils comprenaient pourquoi je jouais dans l'élite.

RTSsport.ch: A quel moment vous êtes-vous senti le plus fort?

CARLOS VARELA: Cela doit être à mon arrivée aux Young Boys. Alors que certains ont déjà atteint leur maturité footballistique à 20 ans, ce qui est admirable, j'ai dû attendre d'en avoir 27/28 pour y parvenir. A Berne, je sentais qu'on pouvait me donner le ballon et que j'allais m’occuper du reste. Alors oui, j'avais vécu des trucs extraordinaires avec Bâle, peut-être mes plus belles années, mais j'y étais alors un joueur parmi d'autres, dans un superbe collectif. Avec YB, on attendait de moi que je tire l'équipe vers l'avant, que j'en sois l'une des locomotives. J'étais dans le costume d'un mec qu'on voyait comme un leader. La preuve, j'ai même eu parfois le brassard… (silence) Tu imagines, Varela avec un brassard de capitaine? (il se marre)… Mon niveau était solide et j'avais un réel impact sur l'équipe. Nous sommes passés près des trophées, mais hélas sans en décrocher.

Carlos Varela, ici avec YB devant son ancien partenaire bâlois Beni Huggel, ne s'est sans doute jamais senti aussi fort qu'avec les Bernois. [Keystone - PETER KLAUNZER]
Carlos Varela, ici avec YB devant son ancien partenaire bâlois Beni Huggel, ne s'est sans doute jamais senti aussi fort qu'avec les Bernois. [Keystone - PETER KLAUNZER]

RTSsport.ch: Quelle est la chose dont vous êtes le plus fier en vous retournant sur votre carrière?

CARLOS VARELA: Incontestablement d'avoir eu la confiance des gens avec qui j'ai travaillé et d'avoir été titulaire partout où je suis passé. Je n'ai jamais eu envie de me barrer de quelque part, jamais eu de conflit avec les gens que je côtoyais. Aujourd'hui encore, j'ai de vrais amis dans chaque ville par lesquelles je suis passé. Sur le terrain, j'étais conscient de mon rôle d'ouvrier dans un club, donc je pense rétrospectivement avoir été le genre de soldats que les entraîneurs aiment avoir sous leurs ordres. Avec le recul, on peut certainement dire aussi que j'avais certaines qualités sur le terrain, mais j'insiste sur le fait d'avoir eu globalement de très belles relations avec tout le monde, ce qui va à contre-sens de l'image que beaucoup de personnes ont de moi. Ma fierté réside aussi dans le fait que chaque week-end, il devait y avoir 100 mecs titulaires dans l'élite du pays et que je faisais généralement partie de cette catégorie. Encore une fois, cela dépasse tout ce que j'avais pu imaginer. J'ajouterai aussi que je suis fier d’avoir appris les langues et de maîtriser parfaitement le suisse-allemand. Je me suis imposé cette discipline dès mon arrivée à Bâle. C'était capital à mes yeux, afin de me rapprocher des gens. Le foot m'a permis d’évoluer sur ce plan-là. Car sans lui, je serai devenu électricien et je n'en aurais rien eu à carrer des langues…

RTSsport.ch: Quel entraîneur vous a le plus marqué?

CARLOS VARELA: Il y en a plusieurs, mais je vais premièrement mentionner Umberto Barberis, qui m'a lancé en première équipe du Servette FC alors que je n'avais aucune ambition pro et que j'étais en apprentissage d'électricien. L'histoire est d'ailleurs totalement dingue, car il m'a à l'époque sorti des juniors pour me faire monter. Le SFC pouvait sauver sa saison grâce à la Coupe et s'en allait disputer une demi-finale à Neuchâtel. Il y avait pas mal d'absents et le coach cherchait alors un mec qui avait du courage, qui était rapide et qui savait centrer. Les gens lui ont dit "On a bien ça, mais il est en Juniors A et n'a pas le passeport suisse (ndlr: c’était avant l’arrêt Bosman)". Barberis a répondu "Peu importe, amenez-le moi". Je suis alors parti avec le groupe puis me suis retrouvé titulaire contre Xamax. Et l'anecdote, c’est qu'avec les juniors A, nous étions censés aller soutenir la 1re équipe à la Maladière, mais j'avais répondu que je n’allais pas me "niquer" une soirée pour aller faire ça. Arrivés à Neuchâtel, mes coéquipiers m'ont vu sur le terrain et m'en ont voulu car ils croyaient que je m'étais foutu d'eux. Mais pas du tout! Même mes parents, à la TV, n'en ont pas cru leurs yeux. Ma mère a entendu que "le jeune Varela sera titulaire". Elle l'a dit à mon père, qui lui a répondu: "Mais non, mais non, tu confonds. C'est Barea, pas Varela…" Ensuite, ils m'ont vu à l’écran (rires).

Mon père a répondu à ma mère: 'Mais non, tu confonds, c'est Barea, pas Varela...' Puis ils m'ont vu à l'écran...

Carlos Varela, ex-joueur de Servette, Bâle, YB et Xamax notamment

RTSsport.ch: Et les autres entraîneurs?

CARLOS VARELA: Gérard Castella a été un papa, aussi. Il nous a appris des choses tous les jours. J'ai appliqué ses conseils au fil de ma carrière. Puis il y a eu Christian Gross, un vrai Monsieur, qui m'a fait comprendre mon métier. Il était très rigoureux, mais savait aussi mettre l'ambiance. Il était plein de qualités humaines et gérait son groupe comme personne. Ca m'a fait du bien de l'avoir à ce moment-là de ma carrière. Il a été grand, aussi, au moment du décès de ma maman. Il l'a appris en plein entraînement, a stoppé l'activité et m'a pris dans ses bras. Pour moi, le monde entier s'effondrait sous mes pieds. Gross l'a compris et m'a dit: "Prends le temps qu'il faudra et tu reviens quand tu t'en sens capable". Je suis allé en Espagne, puis suis tout de suite revenu pour me remettre dedans, aussi pour lui montrer que je ne lâcherai pas. J'ai énormément d'estime pour lui.

RTSsport.ch: Y a-t-il un choix de carrière que vous regrettez?

CARLOS VARELA: A 32 ans, je suis parti aux Etats-Unis, à DC United. Pour moi, c'était le vrai rêve américain. En tant que fan de sport en général, je me régalais à jouer en MLS et à aller voir de la NBA, de la NHL, de la NFL. J'étais comme un gosse à Disneyland! Puis Servette, avec Majid Pyshiar, m'a fait une belle offre, avec possibilité de reconversion. J'ai pesé le pour et le contre. Je n'étais pas vraiment chaud pour rentrer à Genève, mais je me suis dit que c'était Servette, le club de ma ville, avec peut-être quelque chose pour l'après-carrière, alors j'ai fait le choix de revenir en Suisse. Oui, nous avons retrouvé la Super League avec le SFC, mais tout est ensuite parti en cacahuète. Je n'aurais jamais dû interrompre mon séjour américain à ce moment-là. Ma femme m'en veut encore, d'ailleurs.

Carlos Varela, ici en finale de Coupe de Suisse 2009 contre Sion: sa défaite la plus dure à digérer. [Keystone - Patrick B. Kraemer]
Carlos Varela, ici en finale de Coupe de Suisse 2009 contre Sion: sa défaite la plus dure à digérer. [Keystone - Patrick B. Kraemer]

RTSsport.ch: Et y a-t-il eu une défaite plus dure à encaisser que les autres?

CARLOS VARELA: Oui, la finale de la Coupe de Suisse 2009, avec YB contre Sion. Ma femme m'a dit m'avoir surpris pleurant dans mon sommeil… Déjà trois ans auparavant, nous avions perdu contre le même adversaire aux tirs au but. Mais en 2009, je fais un grand match et on mène 2-0 à la 36e. Sauf que Vladimir Petkovic me sort à la pause, de peur que je prenne un deuxième avertissement. Puis on s'écroule et on perd 3-2. J'aurais tant aimé ramener au club et à la ville un trophée qu'ils attendaient depuis plus de 20 ans. Je donnerais plusieurs de mes sacres pour n'en récupérer ne serait-ce qu'un seul avec YB…

RTSsport.ch: Y a-t-il une anecdote que vous n'avez jamais racontée?

CARLOS VARELA: Il y en a plein, dont certaines que je ne peux pas dévoiler. Mais je vais vous en livrer deux. La première, d'abord, un soir de Coupe d'Europe avec Bâle contre Heerenveen, aux Pays-Bas (ndlr: 21 juillet 2001, en Coupe Intertoto). Nous nous qualifions pour le tour suivant et décidons de sortir pour fêter un peu cela. Pour certains, la soirée traîne plus que prévu, alors que nous devions partir à 6h du matin pour l'aéroport. Dans la nuit, le compagnon de chambre d'un joueur que je ne nommerais pas (ndlr: mais qui plus tard deviendra international suisse) se rend compte vers 3h du mat qu'il n'est pas rentré. Il appelle alors la chambre que je partageais avec Hakan Yakin en nous disant qu'il manque untel et qu'il faudrait s'en inquiéter. Alors nous descendons à la réception avec Hakan et on se rend compte qu'au moins 15 coéquipiers y sont aussi, pour partir à la recherche dudit joueur, qui n'était pourtant pas un titulaire indiscutable. Nous sommes tous allés en ville pour tenter de retrouver notre partenaire, ce que nous avons fait vers 5h du matin. Il était sur un banc, avachi, sans montre, ne savait plus où il en était. Bref, vous voyez l'état… Mais nous avons réussi à le ramener à l'hôtel juste avant le départ, sans que quiconque du staff ne l'ait vu. Cela illustre très bien le formidable esprit d'équipe qui nous animait à Bâle, où une équipe entière pouvait aller en pleine nuit chercher un joueur pour éviter les embrouilles et que cela sorte sur la place publique.

Notre coéquipier était sur un banc, avachi, sans montre, ne savait plus où il en était. Bref, vous voyez l'état…

Carlos Varela, ex-joueur de Servette, Bâle, YB et Xamax notamment

RTSsport.ch: Et l'autre anecdote?

CARLOS VARELA: C'était aussi à mon époque bâloise (rires)! Nous étions sortis très tard, 48 heures avant un match, et nous étions fait choper dans une "Beach Party" par quelqu'un du staff, très très proche de Christian Gross, aux alentours de 4h du matin. Les Yakin et Eric Rapo étaient aussi dans l'histoire. Alors imaginez: deux Genevois et les frangins Yakin… Le lendemain à l'entraînement, le coach nous place devant l'équipe et demande à Murat où il se trouvait la veille et à quelle heure il est rentré. Lui déballe tout sans problème. Hakan répond à son tour qu'il était avec son frère. Moi je pensais alors passer entre les gouttes, sauf que Gross m'interpelle: "Carlos, t'étais où?". Je réponds "Je ne sais pas". Puis il me demande à quelle heure je suis rentré et là je réponds également "Je ne sais pas", au lieu de "Je ne sais plus", car je ne parlais pas encore très bien allemand… Tout le monde s'est marré, sauf l'entraîneur qui a dit qu'il allait y avoir de grosses sanctions, car même s'il n'y avait rien eu de grave, on ne pouvait pas se le permettre en jouant tous les trois jours. Alors il a convoqué Murat, le capitaine, dans son bureau et lui a dit que le club allait "taper" dans le porte-monnaie des joueurs ayant été surpris à la soirée... à moins que nous gagnions le tournoi prévu à l'entraînement matinal.

RTSsport.ch: Dites-nous que vous l'avez gagné, ce tournoi?

CARLOS VARELA: Nous nous retrouvons alors sur le terrain et Christian Gross fait les équipes en leur donnant des noms. Il y avait le FC Cameroun, avec Atouba, Tum et les autres Africains, le FC Suisse, le FC Sud-America avec Gimenez, Rossi et Cie, puis enfin les... Beach Boys, avec les "coupables". Alors évidemment, le nom de l'équipe a fait marrer tout le monde, mais il n'y a que nous qui savions que nous devions gagner pour échapper à la sanction. Ce que nous sommes effectivement parvenus à faire! Ensuite, devant l'équipe, le coach a révélé que nous allions échapper à la sanction car nous avions rempli la mission qu'il nous avait assignée, expliquant que c'était pour nous faire comprendre que oui, il faut bien sûr savoir vivre, mais que nous étions des professionnels et qu'il fallait également savoir assumer le lendemain. Là aussi, cela démontre pour moi à quel point Christian Gross est un grand Monsieur, car au lieu de partir directement dans des sanctions, il a réussi à préserver cela à l'interne, avec un vrai message délivré à travers cela.

Arnaud Cerutti - @arnaud_cerutti

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"Il y a eu un malhonnête"

Carlos Varela a longtemps réfléchi à la question de savoir s’il y a une personne du monde du foot qu’il n'aimerait pas revoir, avant de sortir le nom d’Urs Schönenberger, entraîneur qu’il a connu en fin de carrière à Wohlen. "C’était quelqu’un de malhonnête, de manipulateur, un menteur", déplore le Genevois. Avant de reprendre: "Il est possible que tout le monde ait connu une fois cela dans le monde professionnel, mais pour moi c’était la première, et heureusement unique, fois. Quoi qu’il se passait, ce n’était jamais de sa faute. Il faisait des théories d’après-match d’une heure et demie en demandant aux joueurs de justifier leurs choix. C’était hallucinant. Il y avait vraiment un truc qui clochait chez lui! Il disait par exemple à untel qu'un autre avait dit telle ou telle chose sur un autre, etc, comme s’il n’imaginait pas que les joueurs parlaient entre eux. Non, y a rien qui allait!»

Une transition facilitée

Le Genevois est parfaitement conscient de la chance qu’il a eue de pouvoir raccrocher ses crampons en douceur. "J’ai encore disputé quelques superbes saisons avec Köniz, en ligues inférieures, jusqu’à mes 38 ans et c’était génial, dit-il. Je n’ai pas dû m’arrêter sur des pépins physiques. Là encore, j’ai été un privilégié. La transition a été simple pour moi, surtout que j’ai gardé un pied dans le foot à travers différentes activités (ndlr: consultant pour la RTS puis pour Blue, recruteur au Servette FC jusqu’en 2021…)." Varela évolue encore en Seniors, au CF Espana-Italiana, à Berne.

Et aujourd'hui?

Consultant très agréable chez nos confrères de Blue – "J’aime avoir un pied dans le foot et donner mon avis, tout comme j’apprécie aussi d’avoir des retours des gens, de pouvoir argumenter, débattre…" - Carlos Varela, papa de deux filles, est surtout coordinateur national chez Otis, fabricants d’ascenseurs et d’escaliers mécaniques. "J’ai voulu me rendre utile pour autre chose que du foot, expose-t-il. Parce que pendant la période Covid, j’ai vécu une vraie phase de déprime. Je n’avais plus de foot, plus de matches, plus mes petits jeux Fantasy, plus la moindre réjouissance. Alors que la vie, tu l’apprends en allant au contact des gens, en rencontrant les gens, pas dans les livres… A ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait m’impliquer dans autre chose. Je suis fier de ce que je fais."

Carlos Varela, en bref

Naissance le 15 septembre 1977 à Genève.
Clubs successifs (joueur): 1995-1998: Servette FC; 1998-1999: FC Bâle; 1999-2000: Servette FC; 2000-2005: FC Bâle (avec un prêt à Aarau); 2005-2009: BSC Young Boys; 2009-2010: Neuchâtel Xamax; 2010: DC United (MLS); 2011: Servette FC, puis ensuite Wohlen et Köniz en fin de carrière.
Poste: ailier.
Rôle actuel dans le football: consultant pour Blue Sport; joueur senior au CF Espana-Italiana Bern.
Palmarès: 2 Championnats de Suisse (2002 et 2004); 2 Coupes de Suisse (2002 et 2003).