Arnaud Bühler: "Nous sommes partis de nulle part pour finalement arriver au sommet"
RTSsport.ch: Arnaud Bühler, votre génération a marqué le foot suisse, en devenant la première à remporter un grand titre chez les jeunes. Ce sacre européen a-t-il changé votre vie?
ARNAUD BÜHLER: Je ne crois pas, non. Il faut se rappeler qu'en 2002, il n’y avait pas de réseaux sociaux, pas un monde connecté 24h sur 24. C’était une autre époque et ce succès n’a pas eu le retentissement qu’il aurait s’il avait lieu aujourd’hui. Et c’est mieux ainsi! Cela nous a évité des choses négatives. Ce que je retiens de ce titre M17, c’est d’avoir vécu une belle histoire d’adolescents. Nous étions allés au Danemark sans attente, mais un groupe s’était dégagé (ndlr: avec notamment Barnetta, Senderos et Ziegler), une cohésion avait été trouvée. Nous sommes partis de nulle part et avons fini au sommet.
RTSsport.ch: Repensez-vous souvent à ces moments-là?
ARNAUD BÜHLER: Non. Ca reste un agréable souvenir, c’est certain, mais le temps passe et c’est désormais loin, tout cela. Alors oui, parfois des potes retrouvent des images et me les envoient, notamment car j'avais un physique d'ado, et ça les fait surtout marrer…
RTSsport.ch: Dans la foulée de ce titre, vous aviez signé à… Liverpool!
ARNAUD BÜHLER: C’était particulier, car je n’avais que 17 ans, j’étais encore à l’école et je n’avais disputé que des bribes de matches en LNB. Je suis allé visiter le club, les installations, et je me suis entraîné quelques jours avec la réserve et les pros avant que l’on me propose de rentrer en Suisse pour m’aguerrir. C’était logique. Je n’ai finalement jamais porté le maillot des "Reds" mais je n’ai aucun regret, simplement car la marche était beaucoup, beaucoup trop haute. C’était mieux pour moi d’aller à Aarau.
RTSsport.ch: Vous êtes ainsi devenu un pilier en Super League. Quel est le meilleur souvenir de votre carrière?
ARNAUD BÜHLER: Il s’agit de la quête de la Coupe de Suisse 2011 avec le FC Sion! Ce triomphe m’a davantage marqué que la victoire dans la même compétition en 2009, car à l’époque je n’étais pas entré en jeu. Certes, le scénario fut dingue et imprégné par la véritable magie de la Coupe (ndlr: menés 2-0 par YB, les Valaisans avaient gagné 3-2), mais la finale 2011 a été beaucoup plus marquante pour moi. Je sortais d’une année incroyable, sans la moindre blessure, sans la moindre suspension. J’avais la confiance aveugle de Laurent Roussey. En finale contre Xamax, on avait été au-dessus du lot.
RTSsport.ch: On en déduit que ça reste la saison durant laquelle vous vous êtes senti le plus fort...
ARNAUD BÜHLER: Vrai! Durant cet exercice 2010/2011, mon corps était réglé comme du papier à musique et j’étais dans les meilleures dispositions physiques et mentales, en pleine confiance! Je regrette juste que Roussey ne m'ait pas fait entrer dans le dernier match de championnat, avant la finale de Coupe, car si cela avait été le cas, j’aurais disputé les 36 rencontres de la saison! Seulement, il a voulu me ménager. Dommage... Mais oui, j’étais vraiment bien. A cette époque, mon nom a un peu circulé en équipe de Suisse. Sauf qu’il y avait encore Ludo Magnin, Spycher, puis Rodriguez et Ziegler à mon poste. Je n’étais pas si loin de la sélection, mais je ne peux pas nourrir le regret de ne pas l’avoir connue, car j’ai le sentiment qu’il m’a toujours manqué quelque chose pour être appelé.
RTSsport.ch: Sur le plan personnel, y a-t-il un but qui a marqué votre esprit?
ARNAUD BÜHLER: Je n’ai pas beaucoup marqué, mais je me souviens d’avoir mis une fois un doublé alors que je traversais une période difficile avec Sion. Didier Tholot ne me faisait pas confiance. Sauf qu’une fois, contraint et forcé, et ce alors qu’il était sur la sellette, il m’avait fait jouer contre Bellinzone (ndlr: le 6 mars 2010). On avait gagné 2-1 et j'avais inscrit les deux réussites. J'ai sauvé sa tête! A la fin, il m'a mis une petite tape sur l’épaule. Mais il ne m’a pas fait davantage jouer ensuite (rires)…
RTSsport.ch: Quel est le joueur le plus fort que vous avez côtoyé?
ARNAUD BÜHLER: Goran Obradovic (ndlr: coéquipier à Sion de 2007 à 2012)! Il était élégant, calme, serein, tellement régulier. Quelle classe il avait; un régal! J’ai aussi eu la chance, à Sion, de côtoyer d’autres "top joueurs", comme Olivier Monterrubio ou Gennaro Gattuso. Tu peux parfois te demander ce que ces mecs-là viennent faire en Suisse, mais une fois que tu les vois à l’entraînement, impliqués comme ils sont, prêts encore à faire des heures sup sur le terrain ou en salle, tu comprends pourquoi ils ont réalisé de telles carrières! Ces gars étaient humbles, bien plus que des types qui n’ont rien gagné. C’étaient des exemples, des gars simples, qui ne se prenaient pas la tête.
RTSsport.ch: Et quel joueur détestiez-vous affronter?
ARNAUD BÜHLER: Yassine Chikhaoui (ndlr: joueur de Zurich entre 2007 et 2015)! Il était fort, très, très fort. J’ai affronté des gars comme Xherdan Shaqiri, Mohammed Salah et d’autres et je peux vous dire qu’ils ne m’ont jamais fait peur. En revanche, Chikhaoui, c’était quelque chose! Il me mettait à chaque fois la misère et chaque veille de match contre lui, je savais que j’allais vivre un calvaire. Je prenais systématiquement le bouillon (rires).
RTSsport.ch: Quel est le joueur le plus fou à avoir croisé votre chemin?
ARNAUD BÜHLER: Carlos Varela (rires)! Comme vous l’ont dit plusieurs de vos précédents interlocuteurs, c’est un type génial, une crème, quelqu’un que j’apprécie beaucoup, mais sur le terrain, il devenait une autre personne. Méconnaissable. Comme si un bouton s’enclenchait dans sa tête une fois qu’il arrivait sur une pelouse! Il se muait en compétiteur et en provocateur incroyable. Mais c’était un superbe joueur. Serey Die était également particulier. Il avait beaucoup d’énergie, était très agressif… Et c’était un sacré farceur en dehors du terrain.
RTSsport.ch: Un match vous a-t-il particulièrement marqué?
ARNAUD BÜHLER: Celui contre le Celtic, à Glasgow, en éliminatoires de l’Europa League, en 2011! L’ambiance, là-bas, avec notamment le You’ll never walk alone, était hallucinante. Je crois que je regardais encore les tribunes dans les premières minutes tellement j’étais "pris" (rires). C’était dingue. J’aurais aimé pouvoir revivre de pareils moments. Que serait-il advenu de Sion, et de ma carrière, si on avait pu jouer l’Europe cette saison-là (ndlr: le club valaisan sera écarté de l’Europe sur le tapis vert)?
RTSsport.ch: Vos deux expériences à l’étranger, à Sochaux en 2006 puis en Hongrie, au Szombathelyi Haladas en 2015, ont été particulières…
ARNAUD BÜHLER: Je suis allé à Sochaux en pensant que mon bagage serait suffisant pour me permettre de m’y établir. A tort. A mon âge, il aurait fallu que je puisse vivre une étape intermédiaire entre Aarau et la Ligue 1. En plus, la période avait été compliquée pour le club, avec trois coaches dans la même saison. Pour la Hongrie, c’est une expérience sortie de nulle part. Je venais de quitter Sion et je pensais pouvoir vite retrouver quelque chose en Suisse. Mais les mois ont passé et, devant la crainte de vivre une saison blanche, j’ai bondi sur cette opportunité. Il ne restait que quelques mois à jouer, le club était en danger de relégation et, outre moi, il avait engagé 2-3 anciens joueurs italiens, dont Tommaso Rocchi, un vétéran de la Lazio, qui avait presque 40 ans. Cela avait suffi pour éviter la chute. J’aurais pu rester à Szombathelyi ensuite, mais j’avais déjà dit oui au LS pour l’exercice suivant.
RTSsport.ch: Où vous avez vécu une très belle saison…
ARNAUD BÜHLER: Oui, celle de la montée en Super League, en 2016. Les dirigeants avaient bâti un "projet vaudois" et c’était autre chose que tout ce que j’avais connu jusque-là. Nous n’étions à mon avis pas les plus forts, mais l’alchimie qui se dégageait dans le vestiaire se retrouvait sur le terrain. On sortait souvent ensemble, on ne se prenait pas la tête, on rigolait beaucoup et cela a rejailli sur nos résultats. Il y a eu tant de moments sympas cette saison-là! Ca reste sans doute la plus agréable de toute ma carrière sur le plan collectif.
RTSsport.ch: En près de 20 ans de carrière, avez-vous été marqué par des entraîneurs?
ARNAUD BÜHLER: Il y a eu Bernard Challandes, chez les jeunes en équipes de Suisse. Un motivateur hors-pair, un mec qui sait galvaniser ses joueurs comme personne! Avec lui, une fois sorti du vestiaire, tu avais l’impression de pouvoir aller à la guerre. Il arrivait à tirer de nous des choses insoupçonnées. Laurent Roussey a également été très important pour moi, car il m’a fait confiance à 200%. Enfin, il faut évoquer Fabio Celestini. Je l’ai à un âge (31 ans) auquel on commence à penser à la suite. A l’époque, je passais mes diplômes d’entraîneur et j’apprenais à préparer des séances. Sous ses ordres, j’ai commencé à vraiment apprécier ce que je faisais à l’entraînement, à comprendre pourquoi et dans quel but je le faisais. Avant, quand tu es plus jeune, tu vas sur le terrain et tu fais ce qu’on te demande. Là, avec Fabio, j’ai "capté" pourquoi il décidait de bosser ça le mardi, puis ça le jeudi, etc… Et puisqu’en plus les résultats étaient au rendez-vous…
Arnaud Cerutti
Trois liens conservés
Carrière terminée, Arnaud Bühler ne cache pas que les amitiés footballistiques demeurent rares. "On voit passer des flopées de joueurs au fil d'une vie sportive, mais au final n'en restent que peu, constate l'ancien défenseur. Donc parmi les potes que j'ai conservés, je vais citer Didier Crettenand, Jocelyn Roux et Xavier Margairaz. Lui et moi avons quasiment grandi ensemble, venant du village voisin. On s'est presque suivis tout au long de nos carrières. C'est rare de voir deux joueurs du même coin effectuer le même parcours."
Crampons rangés voici un an
Une dernière pige à Bavois, en Promotion League, puis basta. Ainsi s'est arrêtée la vie de footballeur d'Arnaud Bühler. "Je m'étais juré d'arrêter lorsque ma fille cadette entrerait à l'école, explique le Vaudois. Evoluer à ce niveau, en ayant une vie professionnelle et une vie de famille à côté, devenait compliqué. Cela n'a toutefois pas été si simple d'arrêter, car l'esprit d'équipe, la camaraderie, le fait de fournir des efforts tous ensemble manquent vite..."
"Ma reconversion? Une réussite et un bonheur"
Actif depuis 2018 dans une entreprise de régulation de chauffage bien connue, Arnaud Bühler a réussi sa reconversion. "Je me plais beaucoup dans ce que je fais et je vois cette "nouvelle vie" comme une réussite et un bonheur, relève-t-il. Au début, j'ai dû faire mes preuves et, en ce sens, je remercie le sport de haut niveau de m'avoir inculqué des valeurs que je garde encore et qui me servent aujourd'hui. J'ai ainsi une jolie place dans une belle entreprise, avec beaucoup de défis à relever."
Arnaud Bühler, en bref
Naissance le 17 janvier 1985 à Baulmes.
Clubs successifs (joueur): 1994-1997: Baulmes; 1997-2001: Yverdon; 2001-2003: Lausanne (après un passage par les jeunes de Liverpool); 2003-2005: Aarau; 2005-2007: Sochaux (avec un prêt à Sion); 2007-2014: Sion; 2015: Szombathelyi Haladás; 2015-2016: Lausanne; 2016-2017: Wil.
Poste: défenseur.
Palmarès: Championnat d'Europe M17 en 2002; 2 Coupes de Suisse (2009 et 2011)