"Le Neuchâtel Xamax de Chagaev, franchement, c'était une équipe de dingue", rappelle Vullnet Basha
RTSsport.ch: Vullnet Basha, s'il n'y avait qu'une seule image à garder de votre carrière, quelle serait-elle?
VULLNET BASHA: Celle de mes débuts en Challenge League, à 16 ans, avec le Lausanne-Sport. Tout paraissait normal pour moi, mais quand j'y repense, je me dis que cela ne l'était pas du tout, de commencer à cet âge (rires). C'était incroyable, en réalité! Oui, je m'entraînais déjà un peu avec la 1re équipe, mais tout à coup il y a eu des blessés, des suspendus, et on m'a appelé. Je n'avais aucune pression. Je suis monté à Neuchâtel (ndlr: le 14 avril 2007). On m'a donné 10 minutes de jeu (ndlr: 7, en réalité). J'ai su saisir ma chance et j'ai pu y rester afin de lancer ma carrière.
RTSsport.ch: A quel moment de celle-ci vous êtes-vous senti le plus fort?
VULLNET BASHA: Au Real Saragosse, lors de la saison 2014/2015. Même si j'y ai connu pas mal de blessures, comme d'ailleurs tout au long de ma carrière, j'avais une confiance incroyable. A chaque fois que j'entrais sur le terrain, je savais que j'allais bien jouer. Saragosse, c'était de la folie! Comme à Cracovie, il y avait de la pression, de la passion, tout ce qui m'a toujours aidé à me transcender. Et comme à Cracovie, les gens vivent pour le foot. Le club et le coach croyaient en moi. J'y ai notamment inscrit un superbe but de 30 mètres... L'expérience a été incroyable. Hélas, nous avons manqué la promotion sur le dernier match, alors que mon contrat aurait été prolongé en cas de montée. C'est clairement le plus gros regret de ma carrière.
RTSsport.ch: Quel a été le moment le plus compliqué de votre vie sportive?
VULLNET BASHA: Sans conteste, ma période à Grasshopper, durant laquelle j'ai souffert et j'ai vraiment songé à arrêter le foot. J'étais tout seul à Zurich, loin des miens, je ne comprenais rien à l'allemand, je jouais peu et j'avais du mal à m'adapter avec toutes ces stars autour de moi, comme Cabanas, Calla, Lulic, Smiljanic... J'ai résilié mon contrat pour rentrer à la maison. C'est alors que Neuchâtel Xamax, qui voulait des joueurs suisses, est venu me chercher. Ca m'a sauvé!
Durant ma période à Grasshopper, j'ai beaucoup souffert et j'ai vraiment songé à arrêter le foot. Mais Xamax est venu me chercher. Ca m'a sauvé!
RTSsport.ch: C'était le Xamax de l'ère Bulat Chagaev, qui allait finir par couler...
VULLNET BASHA: Oui, mais à la base, le cadre était parfait pour moi; j'étais revenu chez mes parents, je faisais les trajets chaque jour et tout se passait super bien. Mentalement, cela m'a remis dans le droit chemin. Surtout, j'étais entouré de merveilleux joueurs. Les gens ne s'en souviennent peut-être pas, mais ce Xamax-là, franchement, avait une équipe de dingue pour jouer le haut du tableau! Qu'aurions-nous pu faire sans les soucis?
RTSsport.ch: Ces soucis extrasportifs ne vous ont-ils pas personnellement affecté?
VULLNET BASHA: A l'âge que j'avais (ndlr: 21 ans), tu ne réfléchis pas beaucoup, tu ne te rends pas vraiment pas compte de ce qui se passe. Oui, on n'était pas payés, mais moi je vivais chez mes parents, je n'avais pas les mêmes soucis que d'autres. Ce qui m'intéressait alors, c'était de jouer, de prendre des minutes, de faire le boulot, de grandir... J'évoluais aux côtés de Victor Sanchez dans l'entrejeu. Je lui mettais des passes à la gorge et le gars les contrôlait sans problème. Il a fait de moi un meilleur joueur, comme tous mes coéquipiers de cette époque! L'aspect financier ne me touchait pas. C'est plus tard, maintenant que j'ai 4 enfants, que j'ai compris...
RTSsport.ch: Y a-t-il un choix de carrière que vous regrettez?
VULLNET BASHA: En dehors du fait que j'ai été parfois trop gentil, il y en a deux, pour être franc. Le premier: j'ai 17 ans et Lucien Favre vient me chercher pour que je le rejoigne au Hertha Berlin. Je dis non, car je pense sur le moment qu'il vaut mieux engranger de l'expérience à Lausanne et du temps de jeu en championnat de Suisse. Rétrospectivement, je crois que c'était une mauvaise réflexion... Deuxième mauvais choix: en 2011, Pescara, alors en Serie B m'a proposé un contrat...
RTSsport.ch: Le Pescara de Marco Verratti et Zdenek Zeman?
VULLNET BASHA: Oui, tout à fait, avec également Lorenzo Insigne et Ciro Immobile. Le coach Zeman me voulait absolument après un essai d'une semaine. Mais je sortais alors de ma période zurichoise et je ne "la" sentais pas. Enorme regret, car mon frère Migjen évoluait alors au Torino et deux équipes sont montées en fin de saison en Serie A: Torino et... Pescara. A l'inverse, Wisla Cracovie a été un très bon choix!
Coach d'un Pescara où évoluaient Immobile, Insigne et Verratti, Zdenek Zeman me voulait vraiment. Mais je sortais de ma période zurichoise et je ne "la" sentais pas...
RTSsport.ch: Ce n'est pourtant pas ce que certains vous avaient "promis"...
VULLNET BASHA: J'avais signé pour une année en 2017 et ils étaient plusieurs à me dire: "Mais pourquoi tu vas t'enterrer en Pologne?". En Suisse, on n'a pas beaucoup d'infos sur ce pays, sur son football, mais j'ai été totalement adopté par les gens, par le club, par les supporters! Tout ce que j'ai vécu et ce que je vis encore avec Wisla, malgré les deux dernières années difficiles, est magnifique. L'ambiance et les matches sont incroyables. Comme à Saragosse, ça vit foot, ça respire foot. Les stades sont pleins, les derbies sont fous. Ca "pue" la passion. L'opportunité qui m'a été offerte de rester (lire encadré) nous a comblés, ma femme et moi. Bref, il faudrait juste venir ici une fois pour comprendre pourquoi je suis encore là. Le Wisla a peut-être été mon meilleur choix de carrière!
RTSsport.ch: De tous les joueurs avec lesquels vous avez évolué, lequel vous a le plus marqué?
VULLNET BASHA: J'ai eu la chance de côtoyer énormément de bons joueurs. Pêle-mêle, je vais citer Gennaro Gattuso, Yann Sommer, Yassine Bounou, Ricardo Cabanas, Jesus Vallejo, qui était déjà notre capitaine à 18 ans à Saragosse. C'est fou d'être un leader pareil à cet âge-là! A Sion, Oussama Darragi était techniquement au-dessus du lot. Et Jakub Blaszczykowski, qui est venu terminer sa carrière à Wisla, vient d'un autre monde!
RTSsport.ch: Et quels adversaires vous ont le plus impressionné?
VULLNET BASHA: Avec les M21 suisses, je me suis retrouvé devant Thiago Alcantara et Isco. C'était juste quelque chose d'incroyable. Ce sont ceux qui m'ont fait la plus forte impression. Eden Hazard, aussi, c'était très fort.
RTSsport.ch: Quel a été l'adversaire le moins sympa?
VULLNET BASHA: J'ai le souvenir d'un joueur de Servette, Ndiassé Ndiaye, qui avait tout fait pour me chauffer lors d'un derby lémanique, au début de ma carrière. Il m'écrasait les pieds, me disait des choses dingues. Bref, il faisait tout pour me sortir de mon match. Même si je suis quelqu'un de calme et que je suis resté concentré, purée ce qu'il a pu me faire ch...
Gattuso a balancé: 'Hey, coach, j'ai couru pendant 14 ans pour Andrea Pirlo, parce que c'était Pirlo, mais je ne vais pas courir pour Basha...!' Ca m'a marqué et ça m'a surtout fait marrer.
RTSsport.ch: Y a-t-il une personne croisée dans ce monde du foot que vous ne souhaiteriez jamais revoir?
VULLNET BASHA: Oui, une seule: Peter Hyballa, un Allemand qui a été mon coach au Wisla Cracovie. Un fou! J'étais blessé et il m'a demandé de serrer les dents, de prendre des médicaments, afin de jouer les matches importants. Je me suis entraîné comme un dingue, mais cela a aggravé mes blessures. J'en ai ensuite souffert durant 15 mois et lui m'a mis la misère. Il m'a accusé d'être un tricheur, de ne pas vouloir jouer pour lui, etc... Il est ensuite parti au Danemark et s'est fait virer direct. Sa dernière expérience, en Afrique du Sud, n'a duré qu'un mois car il a été mêlé à un scandale sexuel. Un fou, je vous dis!
RTSsport.ch: Quelle anecdote n'avez-vous jamais racontée?
VULLNET BASHA: Nous étions en stage en Italie avec le FC Sion. Avant un match amical contre la Reggina, l'entraîneur Victor Munoz révèle son système, avec un 6 et deux 8. Moi en 6, puis Gennaro Gattuso et Gelson Fernandes en 8. Là, Gattuso balance: "Hey, coach, j'ai couru pendant 14 ans pour Andrea Pirlo, parce que c'était Pirlo, mais je ne vais pas courir pour Basha! Donc on va changer les positions..." Et on a effectivement changé les positions. Ca m'a marqué et ça m'a surtout fait marrer.
Arnaud Cerutti
Une opportunité qui tombe à pic
Sa reconversion en tant que directeur sportif de Wisla Cracovie, Vullnet Basha l'a presque vue tomber sur son nez. "En dehors de quelques semaines en Grèce, cela faisait 6 ans que j'étais au club et je pensais à devenir coach de foot plus tard, explique-t-il. Mais en fin de saison passée, le président m'a demandé de rester au Wisla, sans savoir à quel poste. Je lui ai dit que j'allais observer en coulisses durant 2 semaines. Le 1er juillet, il m'a dit: 'Je vois et j'aime ce que tu fais. Es-tu prêt à devenir notre directeur sportif?' Wisla, c'est une sorte de FC Bâle ou d'YB, qui cherche à retrouver l'élite du foot polonais, un club mythique. Alors non, je ne pouvais pas laisser passer une telle opportunité!"
"Aller chercher quelque chose..."
Vainqueur de la Coupe de Pologne la saison dernière ("Quel moment génial", savoure Basha), le Wisla Cracovie a craqué en barrages européens cet été, ce qui a hypothéqué son départ en D2 polonaise. "Ici, on n'a pas le temps de construire, pas le temps de penser, chaque match que tu joues, tu dois le gagner, relève le Vaudois, qui dit viser la promotion. Nous avons un peu galéré en début d'exercice, mais on se remet petit à petit dans le bon sens (ndlr: 4 victoires sur les 5 derniers matches). Il y a moyen d'aller chercher quelque chose, car nous jouons la montée. Nos supporters ne veulent pas nous entendre dire autre chose!"
"Les joueurs deviennent des machines"
"Le foot, il a changé", a un jour dit le grand penseur Kylian Mbappé. Vullnet Basha, lui, pose un regard un peu différent. "Ce sont les générations qui changent, souffle l'homme à 1 sélection en équipe d'Albanie. Aujourd'hui, le foot a énormément évolué. Mentalement, techniquement, tactiquement, physiquement, les joueurs deviennent des machines. Même les petits jeunes qui n’ont aucune expérience! C'est surtout en cela que le foot a évolué. Les jeunes sont déjà ultrapréparés et très, très forts, ce qui n’était pas le cas à mon époque."
Vullnet Basha, en bref
Naissance à Lausanne le 11 juillet 1990.
Nationalités: suisse et albanais.
Clubs successifs: Lausanne (2007-2009), Grasshopper (2009-2011), NE Xamax (2011-2012), Sion (2012-2014), Real Saragosse (2014-2015), SD Ponferradina (2015-2016), UCAM Murcie (2016-2017), Wisla Cracovie (2017-2021), Ionikos Nikaia (2021), Wisla Cracovie (2021-2024).
Poste de joueur: demi défensif.
Poste actuel: directeur sportif du Wisla Cracovie.
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