Modifié

Voss-Tecklenburg a mené les Suissesses au succès

Martina Voss-Tecklenburg a permis à l'équipe de Suisse de franchir un cap. [Martial Trezzini]
Martina Voss-Tecklenburg a permis à l'équipe de Suisse de franchir un cap. - [Martial Trezzini]
J-100 avant le coup d'envoi de la Coupe du monde au Canada! Une Coupe du monde historique pour les Suissesses, qui participeront pour la première fois à un tournoi majeur. A quelques mois de cette aventure canadienne, la sélectionneuse Martina Voss-Tecklenburg s'est longuement entretenue avec RTSsport.ch.

L'équipe de Suisse fera son entrée dans la compétition le 8 juin contre le Japon à Vancouver. "Je pense quotidiennement au Mondial. Ces derniers mois vont passer très vite!", se réjouit Martina Voss-Tecklenburg, en poste depuis 2012.

L'ex-joueuse allemande (47 ans) nous a reçus à l'Académie de Bienne, lieu dédié à la formation des jeunes footballeuses du pays. C'est avec le sourire qu'elle est revenue sur son expérience, mais aussi sur les progrès accomplis par les Suissesses lors de ces dernières années.

"L'écart entre les différentes équipes s'est réduit"

RTSsport.ch: Au Canada, la Suisse participera à son premier événement majeur. Il y aura plus de sollicitations, de public, de pression...Comment gérer cela ?

MARTINA VOSS-TECKLENBURG: C'est évident qu'il y aura plus d’intérêt, notamment de la part des médias, des sponsors... Cela sera également une nouvelle expérience pour mes joueuses d'évoluer devant de nombreux spectateurs.

Les 2 stades à Vancouver et à Edmonton, où nous allons jouer, peuvent accueillir plus de 50'000 personnes. Seules Lara Dickenmann (Olympique Lyonnais), Ramona Bachmann (Rosengard/SWE) ou encore Ana Crnogorcevic (FFC Francfort) ont déjà évolué devant tant de public. Pour la plupart, cela sera nouveau. Mais mon travail et celui du staff est d'aider les filles à s’adapter à ces nouvelles conditions.

RTSsport.ch: En tant que joueuse, vous avez participé à 3 Coupes du monde avec l'Allemagne (1991-95-99). Qu'est-ce qui a changé depuis?

MARTINA VOSS-TECKLENBURG: Oh beaucoup de choses ! Sportivement, les joueuses présentes aux Coupes du monde fournissent des performances de haut niveau. Elles sont très bien entraînées. A mon époque, on avait seulement 3-4 entraînements. Aujourd’hui, elles s’entraînent 6 à 8 fois par semaine. Le rythme de jeu s’est accéléré. L'écart entre les différentes équipes s'est également réduit.

La présence des médias, l’attention est devenue plus grande. Aux Etats-Unis, j’avais joué devant plus de 80'000 spectateurs, mais aujourd’hui, l'intérêt pour le foot féminin est mondial. Beaucoup de gens savent qu’il va y avoir une Coupe du monde au Canada. En 1991, personne ou presque ne savait qu’il y avait une Coupe du monde en Chine (rires) !

"Mes joueuses ont maintenant confiance en elles"

RTSsport.ch: Depuis votre arrivée en février 2012, la Suisse a énormément progressé. Les joueuses disent que vous avez apporté une nouvelle mentalité à l'équipe...

MARTINA VOSS-TECKLENBURG: Quand je suis arrivée en Suisse, j’ai vu qu’il y avait une équipe talentueuse, mais j’avais le sentiment que les joueuses n'avaient pas vraiment cet esprit de vainqueur. Bien sûr, elles voulaient gagner, mais elles ne faisaient pas tout pour y arriver. J’avais aussi l'impression qu’elles n’avaient pas totalement confiance en leurs capacités.

J’ai donc essayé de voir où étaient nos points forts et notre force, c’est le côté offensif. Nous avons de très bonnes joueuses à ces postes. Nous avons donc misé là-dessus dans nos matches et cela a marché.

J’ai aussi expliqué ma philosophie aux joueuses, en leur disant: "j’aimerais que tu essayes. Si tu essayes et ça ne marche pas, ce n’est pas grave. Mais si tu n’essayes pas, si tu joues prudemment, alors tu n’es pas la bonne joueuse pour moi." Cela leur a donné confiance.

Les filles s'entraînent également davantage. Beaucoup de joueuses sont parties à l’étranger. Tout ceci a permis à l'équipe de s'améliorer. Maintenant, elles savent qu’elles sont bonnes et elles ont confiance en elles.

"Toutes s'acceptent et se respectent"

RTSsport.ch: Vous pouvez aussi compter sur une génération dorée avec notamment Lara Dickenmann, Ramona Bachmann, Caroline Abbé (Bayern Munich)...

MARTINA VOSS-TECKLENBURG: Oui bien sûr, ce sont des joueuses qui sont depuis longtemps en sélection nationale et qui ont beaucoup d’expérience. Ce sont des leaders. Mais il y a aussi maintenant des jeunes joueuses, qui ont bénéficié d'une très bonne formation en Suisse.

Nous avons un bon mélange entre celles qui jouent à l'étranger et celles qui jouent en Suisse. Toutes s’acceptent et se respectent. Nous avons vraiment un super esprit d’équipe. Les joueuses qui évoluent en Suisse n’ont pas l’impression qu’elles sont moins importantes. Chacune profite de l'autre. Il y a un bon équilibre.

RTSsport.ch: Que manque-t-il encore à la Suisse pour se rapprocher des meilleures?

MARTINA VOSS-TECKLENBURG:  Nous nous sommes rapprochées, mais nous ne sommes pas encore dans le top-6 mondial, parce qu’il nous manque 30 à 40% de joueuses de haut niveau. En Allemagne, si 2 joueuses importantes sont blessées, il y en a d’autres qui sont tout autant bonnes pour les remplacer. De notre côté, si par exemple Lara Dickenmann ou Ramona Bachmann sont blessées, cela se ressent sur nos performances.

Nous manquons aussi d'expérience. Prenons la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Elles ont déjà participé à des Coupes du monde. Ces équipes ne sont pas meilleures que nous, mais elles ont plus d’expérience. Cela peut parfois faire la différence.

"On parle trop peu du foot féminin"

RTSsport.ch: On vous compare souvent à Ottmar Hitzfeld ou Lara Dickenmann à Xherdan Shaqiri. Cela vous dérange-t-il?

MARTINA VOSS-TECKLENBURG: Non, ce n’est pas grave. Les filles sont plutôt fières d'être comparées à de grands joueurs ! Fritz Walter (ex-joueur allemand, vainqueur de la Coupe du monde 1954) avait dit de moi lors d'un match en 1991: "la petite no7 dribble comme Pierre Littbarski"'. Littbarski était mon idole, alors j'étais fière d'être comparée à lui.

C'est sûr, je trouverais sympa que le Blick écrive une fois "Shaqiri a joué comme Dickenmann" et non l’inverse. Ça serait génial (rires) ! Mais cela n'arrivera sûrement jamais, car traditionnellement le football est un sport masculin. Les hommes sont davantage représentés que les femmes dans ce sport.

RTSsport.ch: Des progrès ont été réalisés, mais que faut-il encore améliorer quant à la situation du foot féminin en Suisse?

MARTINA VOSS-TECKLENBURG: On parle trop peu du foot féminin, notamment dans les médias. Nous avons 2-3 joueuses de classe mondiale et les Suisses ne le savent pas. J’aimerais que la Coupe du monde permette aux Suisses de se rendre compte que nous avons des footballeuses géniales. Ce sont des modèles, nous pouvons être fières d'elles.

Les performances que mes joueuses réalisent devraient davantage être respectées. Certaines d’entre elles étudient ou travaillent. Fabienne Humm, (milieu au FC Zurich), par exemple n’est pas professionnelle. Elle s’entraîne 6-7 fois par semaine, plus les matches et l’équipe nationale. Nous devons vraiment encourager ces joueuses.

Propos recueillis par Jennifer Blanchard -  @jenni_blanchard

Publié Modifié

"Les femmes sont plus critiques envers elles-mêmes"

RTSsport.ch: Vous avez entraîné en Allemagne et maintenant en Suisse. Y a-t-il des différences entre ces deux pays?
MARTINA VOSS-TECKLENBURG: Il n'y a aucune différence dans mon travail d'entraîneuse. Par contre, il y a des différences au niveau des structures, de la qualité de jeu. La LNA n’est pas encore au niveau de la Bundesliga, ça on le sait.

L’intérêt des médias et des spectateurs est bien sûr moins élevé qu’en Allemagne. Mais le plus important pour moi est de pouvoir faire correctement mon travail de sélectionneuse nationale, d'avoir les moyens de faire progresser mon équipe. Et cela marche plutôt bien pour le moment.

RTSsport.ch: Beaucoup d'hommes entraînent des femmes, mais encore peu de femmes entraînent des hommes. Il y a notamment Corinne Diacre à Clermont, mais on voit que ce n'est pas forcément facile...
MARTINA VOSS-TECKLENBURG: J’ai entraîné pendant 2 ans une équipe masculine en Allemagne (réd: SV Straelen, avec qui elle a fêté une promotion en 4e Division allemande). Il n’y avait aucun problème. Ce n’est pas une question de sexe, mais de qualité. Si tu fais des entraînements de qualité, il n’y a pas de problème. Le problème vient plutôt de l’environnement, de certains médias, qui réduisent les entraîneuses à leur sexe.

RTSsport.ch: Entraîne-t-on différemment des hommes et des femmes?
MARTINA VOSS-TECKLENBURG: Pour l’entraînement en tant que tel, il n’y a pas tellement de différences, mais au niveau mental, oui. Les femmes sont notamment plus critiques envers elles-mêmes, se posent plus de questions. Un homme a son ego, mais s'il loupe un geste, il va passer à autre chose plus rapidement, aller plus loin.

"Notre objectif minimal est d'atteindre les 8es"

RTSsport.ch: Que pensez-vous de votre groupe (Japon, Cameroun, Equateur)?
MARTINA VOSS-TECKLENBURG: C’est un bon groupe. Lors de notre premier match contre le Japon, la pression sera sur elles et pas sur nous. En tant que tenantes du titre, elles ne peuvent pas perdre contre la Suisse, qui dispute sa première Coupe du monde !

Quant au Cameroun et à l’Equateur, ce sont 2 équipes dont on connaît peu de choses. Le dernier match contre le Cameroun sera probablement décisif. Le Japon est le favori de notre groupe et les 3 autres équipes lutteront pour la deuxième place. Je suis convaincue qu’on peut battre le Cameroun et l’Equateur. On a, je pense, une bonne chance de passer en huitièmes. C’est notre objectif minimal.

Martina Voss-Tecklenburg en bref

Née le 22 décembre 1967 à Duisbourg (GER)

Parcours en tant que joueuse:
1982–1989 KBC Duisbourg
1989–1994 TSV Siegen
1994–2003 FCR Duisbourg

6x vainqueur du championnat d'Allemagne et 4x vainqueur de la Coupe d'Allemagne

125 sélections et 27 buts en équipe d'Allemagne entre 1984 et 2000

Finaliste de la Coupe du monde 1995, vainqueur de l'Euro 1989, vainqueur de l'Euro 1991, vainqueur de l'Euro 1995, vainqueur de l'Euro 1997

Élue footballeuse allemande de l'année en 1996 et en 2000

Parcours en tant qu'entraîneuse:
2008-2011 FCR 2001 Duisbourg
2011-2012 FF USV Iéna
2012- ??? Sélection suisse

Vainqueur de la Coupe de l'UEFA 2008-2009 avec le FCR 2001 Duisbourg
Vainqueur de la Coupe d'Allemagne en 2009 et en 2010 avec Duisbourg

Pourquoi avoir choisi le football?

MARTINA VOSS-TECKLENBURG: C'est une longue histoire ! La maison de mes parents se trouvait à côté d’une école et d'un terrain de foot. J'allais toujours jouer au foot avec mes frères.

Quand j'avais 10-11 ans, un entraîneur d'une équipe de filles m’a vue jouer au foot à la piscine. Il m'a alors dit: "tu joues si bien au foot. Tu dois rejoindre une équipe". Ma mère ne voulait pas que je fasse du foot, elle pensait que j'étais trop mince, trop fragile pour jouer.

J’ai donc pratiqué d'autres sports comme du ping-pong, de l'athlétisme, du handball... Mais je voulais toujours jouer au foot. A 15 ans, à l'école secondaire, mon professeur de gym m'a dit: "Martina, tu es trop forte, tu dois jouer au foot". Il m’a alors emmené faire un test à Duisbourg et ils ont voulu me garder.

C’était en décembre 1982. En mars 1983, j’ai joué mon premier match et un an plus tard, j’ai reçu ma première convocation nationale.