"L'Argentine ne présente pas un bon football", selon Nestor Clausen

Ex-joueur et entraîneur du FC Sion et ancien coach de NE Xamax, Nestor Clausen (49 ans) espère aujourd'hui retrouver de l'embauche en Suisse, après un passage dans le Golfe. L'ancien défenseur argentin, champion du monde 1986 aux côtés d'un certain Maradona, évoque l'état du football argentin.

tsrsport.ch: L'Argentine possède des joueurs de grande classe mais peine, depuis des années, à briller au plan international. Comment expliquer cela?

NESTOR CLAUSEN: Nous avons de bons joueurs, c'est vrai, mais pas une bonne équipe. Et sur le terrain, même si Messi joue, ce n'est pas du bon football. Au Barça, Messi est un véritable phénomène, qui fait ce qu'il veut. C'est pour cette raison que nos différents sélectionneurs, ces dernières années, ont voulu jouer comme le Barça. Mais c'est une grosse erreur, car la mentalité des Argentins n'est pas la même que celle des Européens. Le joueur argentin n'a pas l'habitude de jouer à 1-2 touches de balles comme peut le faire le Barça. Donc, en résumé, on est encore loin d'avoir trouvé le football d'une bonne équipe. Le jeu du Barça est compliqué à mettre en place...

tsrsport.ch: Depuis l'été dernier, la sélection argentine est dirigée par Alejandro Sabella, inconnu du public européen...

NESTOR CLAUSEN: C'est un bon coach, qui a eu de bons résultats avec Estudiantes La Plata. Mais s'il continue avec les mêmes joueurs et le même style de jeu que ses prédécesseurs, rien ne va changer. Le football argentin est une machine à produire de bons joueurs, donc les possibilités existent pour créer une nouvelle et belle équipe.

"On semble contrôler Messi plus facilement en Amérique du Sud"

tsrsport.ch: Mais comment expliquer que Messi ne parvienne pas à reproduire avec l'"Albiceleste" ce qu'il fait au Barça?

NESTOR CLAUSEN: Avec le Barça, il est juste incroyable, je l'ai encore constaté face à Leverkusen en Champions League. Mais avec l'Argentine, c'est tout simplement impossible. Avec l'Argentine, il n'a pas la même facilité qu'au Barça. En Amérique du Sud, quand on a Messi en face, le but est de lui laisser le moins d'espace possible. Au Barça, on a l'impression qu'il a beaucoup de temps pour réfléchir quand il reçoit le ballon. Et une fois qu'il a fait son choix, il devient très difficile à contrôler.

tsrsport.ch: Cela signifie-t-il que le marquage de Messi est plus serré en Amérique du Sud?

NESTOR CLAUSEN:

Je ne sais pas, mais on semble le contrôler plus facilement. Contre la Bolivie, une équipe pourtant faible, il n'avait d'ailleurs pas fait grand-chose car il était bien surveillé. Il faut aussi préciser que l'état d'esprit sud-américain est très différent, avec un jeu plus agressif. D'ailleurs, ici en Argentine, le football est devenu horrible à regarder. Il y a beaucoup de physique et d'agressivité, mais pas de jeu. Même Boca Juniors ne présente pas un bon football.

tsrsport.ch: Mais le Brésil continue de présenter un beau football, alors que ses joueurs évoluent aussi tous en Europe!

NESTOR CLAUSEN: La différence, c'est qu'au Brésil on a gardé un style de jeu très "brésilien", avec des ailiers et des latéraux qui montent. C'est beaucoup plus créatif, et toutes les équipes au Brésil produisent le même jeu. En Argentine, on n'a plus de défenseurs. C'est pourtant le poste le plus facile à créer! Dans notre championnat, chaque équipe présente un jeu différent, et chaque entraîneur est persuadé qu'il a inventé le football. Nous avons perdu notre identité footballistique!

"Nous n'offrons pas de situations de marquer à Higuain ou Aguero"

tsrsport.ch: Sélectionneur de l'Argentine, est-ce un poste qui vous intéresse?

NESTOR CLAUSEN: Tout le monde en rêve, évidemment. Mais beaucoup d'entraîneurs ont le palmarès pour briguer le poste. En Argentine, tout le monde voulait voir Carlos Bianchi à ce poste. Mais le président Grondona, pour couper court à toutes les discussions, a très vite choisi Alejandro Sabella, frais champion d'Argentine et qui venait pourtant juste de signer à Al Jazeera...

tsrsport.ch: Evoquons un peu ce Suisse-Argentine de mercredi. Que peut-on en attendre, d'un côté comme de l'autre?

NESTOR CLAUSEN: La Suisse ne joue peut-être pas bien en ce moment, mais mieux que l'Argentine (rires)! Je sais que Sabella est en train de chercher des solutions défensives, et qu'il va procéder à des essais. Devant, avec des Higuain ou Aguero, on ne devrait pas avoir de problème même si, avec le jeu proposé actuellement, nous n'offrons pas de situations de marquer à nos buteurs. C'est dommage, car j'aimais bien le jeu prôné par Marcelo Bielsa, par les côtés, avec de belles actions. Mais les résultats n'ont pas suivi...

Il est difficile de faire un pronostic pour Suisse-Argentine. Nous avons de grandes qualités individuelles, mais il faudrait que chaque joueur soit très inspiré ce jour-là, et que Messi soit illuminé par le Bon Dieu. Si tel devait être le cas, ce sera très dur pour la Suisse... Par contre, si les Suisses parviennent à montrer qu'ils sont là, bien organisés, l'Argentine va commencer à douter. Elle sait qu'elle ne traverse pas une bonne passe et qu'elle a une facture ouverte avec son public. N'oublions pas que la Suisse, jadis considérée comme le rigolo du foot mondial, a beaucoup progressé, notamment physiquement. Les matches sont très serrés maintenant.

tsrsport.ch: Vous, vous souvenez avoir joué un match Suisse - Argentine?

NESTOR CLAUSEN: Oui, en 1984 je crois. Mais je ne me souviens même pas du score! (réd: 2-0 pour les Argentins à Berne). D'ailleurs, je ne sais même plus si je jouais ou si j'étais remplaçant (réd: après d'intenses recherches, le nom de Clausen ne figurait pas sur la feuille de match...). Mais j'y étais, c'est sûr. D'ailleurs, on était ensuite parti jouer un autre match en Allemagne...

Propos recueillis par Daniel Burkhalter