Fribourg-Gottéron: "Je suis quelqu'un de très émotionnel", avoue Christian Dubé
Il range ses patins d'attaquant en 2015 et devient directeur sportif du club dans la foulée. Puis, en octobre 2019, il endosse encore le costume d'entraîneur. Ce cheminement atypique, c'est celui de Christian Dubé (45 ans) à Fribourg. Du côté de St-Léonard, les sceptiques ont d'abord été nombreux. Aujourd'hui, on ne les compte sans doute plus que sur les doigts d'une main...
Car les Dragons, qui font partie des formations prétendantes au titre, sont devenus une adresse intéressante en National League. Des joueurs suisses de premier plan, tels Reto Berra ou Raphael Diaz, ont en effet rejoint le HCFG ces dernières années. Et ce grâce à Dubé.
Double champion de Suisse avec le CP Berne (2004 et 2010), le Québécois est une célébrité du hockey suisse depuis 1999. Année où il a décidé de quitter les New York Rangers pour le HC Lugano.
J'étais venu à Lugano pour retrouver le plaisir de jouer
RTSsport.ch: Double champion du monde M20 (1996 et 1997), vous étiez un grand espoir du hockey canadien. En 1997, vous faisiez, ainsi, équipe avec Joe Thornton lors du Mondial M20 disputé à Genève.
CHRISTIAN DUBÉ: C'est comme si c'était hier! J'avais 19 ans, j'étais en NHL, et les New York Rangers m'avaient envoyé au Championnat du monde. On avait une excellente équipe. Joe, lui, avait 17 ans, il était tout jeune. A chaque fois qu'il est venu jouer au HC Davos (réd: 2004/05, 2012 et 2020), on reparlait ensemble de cette époque lorsqu'on se croisait. Je garde des souvenirs incroyables de ce tournoi.
RTSsport.ch: Plusieurs de vos coéquipiers dans les sélections juniors canadiennes, comme Thornton ou Jarome Iginla, ont ensuite brillé en NHL. Cela ne vous laisse-t-il pas un peu d'amertume?
CHRISTIAN DUBÉ: C'était mon choix de partir à 22 ans. J'évoluais le plus souvent en AHL car les Rangers, à l'époque, faisaient la part belle aux vétérans. Il n'y avait pas de plafond salarial, et beaucoup d'argent était investi dans les salaires de ces joueurs expérimentés. Je n'ai pas réussi à être échangé, j'ai donc fini par en avoir marre. Et je suis venu à Lugano, pour retrouver le plaisir de jouer.
RTSsport.ch: Aucun regret, donc?
CHRISTIAN DUBÉ: C'est sûr que j'aurais aimé que ça fonctionne en NHL, c'était mon rêve d'enfance. Mais je ne regrette rien. Ca fait 11 ans que je suis à Fribourg. Je suis directeur sportif depuis 8 ans, entraîneur depuis 4 ans. Si j'étais resté là-bas, je n'en serais pas là aujourd'hui.
Pour Gretzky, tout était inné et facile
RTSsport.ch: Et même si vous n'avez joué "que" 33 matches en NHL, vous avez quand même patiné aux côtés de Wayne Gretzky, le meilleur joueur de tous les temps. Peu de monde peut en dire autant!
CHRISTIAN DUBÉ: C'était mon idole. J'ai eu la chance de jouer quelques "shifts" avec lui. C'est d'ailleurs lui qui a fait la passe décisive sur mon seul but en NHL, en power-play. A la maison, j'ai une plaque commémorative de cette réussite. C'est quelque chose dont je me souviendrai toute ma vie.
RTSsport.ch: Il y a un domaine où vous êtes meilleur que le légendaire no99. Le coaching!
CHRISTIAN DUBÉ: Je ne peux pas vous dire que c'est vrai (rires)! Mais je resterai sans doute plus longtemps que lui derrière un banc (réd: Gretzky a entraîné Phoenix de 2005 à 2009 en NHL, ne hissant jamais les Coyotes en playoffs). Ce n'est pas parce que tu étais un bon joueur que tu deviendras forcément un bon coach. Et ce n'est pas facile non plus d'être un bon communicateur. Or, pour Gretzky, tout était inné et facile depuis toujours. Pour lui, ça n'a pas dû être simple de se mettre à la place de joueurs qui n'avaient ni son talent, ni sa vision de jeu.
RTSsport.ch: Vous avez évoqué l'importance de la communication. Comment s'était passée votre adaptation au rôle de directeur sportif en 2015 à Gottéron, alors que vous veniez de prendre votre retraite de joueur?
CHRISTIAN DUBÉ: Au début, ça n'a pas toujours été facile, et certains n'ont pas accepté la situation. Durant ma 1re année, j'ai par exemple dû annoncer au défenseur Joel Kwiatkowski, jadis mon meilleur copain dans le vestiaire, que je ne voulais plus de lui dans l'équipe. Idem avec Adam Hasani, qui avait été ailier sur ma ligne. Ou avec le gardien Benjamin Conz, dont j'étais proche. Mais ensuite, avec les années, les gars ont compris. Désormais, il n'y a plus de problèmes à ce niveau.
Les conseils de mon père, Normand, sont toujours précieux
RTSsport.ch: Tout comme votre homologue Jan Cadieux à GE-Servette, vous êtes le fils d'un ancien joueur et entraîneur québécois ayant évolué sous nos latitudes. Parlez-vous régulièrement de votre job avec Normand Dubé, qui avait fait les beaux jours de Sierre et de Martigny en LNB?
CHRISTIAN DUBÉ: Mon père a été mon modèle toute ma vie, autant comme joueur qu'au quotidien. Je lui ai demandé beaucoup de conseils, au début de ma reconversion. Il n'approuvait pas vraiment que je prenne le poste d'entraîneur de Fribourg en plus de celui de directeur sportif. Selon lui, je me mettais dans une situation compliquée. Ses conseils sont toujours précieux, car il est resté longtemps dans le milieu du hockey. Ca m'aide parfois aussi de me rappeler comment il se comportait en tant que coach, dans telle ou telle situation. Mais en fin de compte, je fais les choses à ma manière.
RTSsport.ch: Autre parallèle avec GE-Servette, Fribourg-Gottéron dispose de la meilleure équipe de son histoire, sur le papier. Mais en réalité, avec le passage à 6 étrangers, de nombreux autres clubs peuvent en dire autant, non?
CHRISTIAN DUBÉ: Exactement. Alors oui, on a la meilleure équipe de tous les temps à Fribourg. Mais tous les clubs sont meilleurs qu'avant! Avec 6 étrangers, la hiérarchie des joueurs est en train de se redessiner en National League. Cela implique, pour moi, de devoir consacrer beaucoup de temps aux relations humaines. Il faut expliquer à certains pourquoi leur temps de jeu diminue, et ce n'est pas toujours facile. J'essaie d'être le plus honnête possible.
Notre but, c'est le titre. On n'est pas ici pour faire du surplace!
RTSsport.ch: Rien à voir, donc, avec le coaching que vous aviez connu en tant que joueur?
CHRISTIAN DUBÉ: Non. A mon époque, on marchait à coups de pieds au derrière. Si on nous disait de tourner à droite, on le faisait sans broncher. Aujourd'hui, un joueur veut savoir pourquoi il doit tourner à droite, et pas à gauche. Dans le hockey, comme partout ailleurs, les jeunes ont besoin de tout comprendre. Il y a par exemple des journées où je m'assieds tour à tour avec 4-5 joueurs pour leur donner des explications. Je ne peux pas être un mur avec eux. Au contraire, je suis quelqu'un de très émotionnel.
RTSsport.ch: Etes-vous satisfait de la saison en cours?
CHRISTIAN DUBÉ: On a eu un départ un peu difficile. Mais là, on s'est bien replacé. On répète d'année en année que cette ligue est serrée, mais c'est vraiment la réalité. On grimpe ou chute vite de 2-3 places. Ca sera tendu jusqu'à la fin de la saison régulière.
RTSsport.ch: Gottéron est engagé dans un long processus qui doit le mener au 1er titre de son histoire.
CHRISTIAN DUBÉ: On a fait un bon pas en avant ces dernières saisons. Le challenge est immense. Car depuis 25 ans, le champion a toujours été l'un des 4 clubs les plus riches de la ligue. Et on ne fait pas partie de ce cercle. C'est la réalité. Mais notre but, c'est le titre. On n'est pas ici pour faire du surplace! Tout est possible, on a une nouvelle patinoire extraordinaire, et une bonne équipe.
Propos recueillis par Michaël Taillard / Vidéos réalisées par Miguel Bao
"On jouera avec Connor au but jusqu'à Noël"
RTSsport.ch: Votre gardien no1 Reto Berra, blessé, ne reviendra pas au jeu avant fin janvier. Comptez-vous disputer les playoffs, le cas échéant, avec Connor Hughes devant le filet?
CHRISTIAN DUBÉ: Jusqu'à présent, Connor a prouvé qu'il peut faire le job. L'équipe joue solidement devant lui. Mais si Reto ne devait pas être apte à temps, on prendra une décision adéquate. On jouera en tous les cas avec Connor jusqu'à Noël, et on verra pour la suite.
"L'équipe de Suisse? Je ne voulais pas jouer un Mondial"
RTSsport.ch: Vous n'avez jamais évolué avec l'équipe de Suisse quand vous étiez joueur, même si le sujet avait été sur la table à un moment donné. Rappelez-nous pourquoi?
CHRISTIAN DUBÉ: Je voulais retourner au Canada chaque été, car c'était important pour moi de revoir ma famille. Je ne voulais donc pas être convoqué pour un Championnat du monde. Par conséquent, je trouvais que ce n'était pas correct de prendre la place d'un autre joueur aux Jeux olympiques, puis de ne pas venir aux autres tournois. J'avais été clair sur ce point avec Ralph Krueger (réd: sélectionneur national de 1997 à 2010), et il avait respecté mon choix.