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Geoffrey Vauclair: "J'ai adoré jouer, mais j'ai tout autant aimé prendre ma retraite sportive"

Geoffrey Vauclair a revu nos images d'archives avec plaisir. [Lionel Küng]
Geoffrey Vauclair a revu nos images d'archives avec plaisir. - [Lionel Küng]
Après avoir rendu visite à Daniel Vukovic pour un 1er volet "dans le rétro" lié au hockey, RTSsport.ch s'est intéressé à un autre "retraité" ayant marqué l'histoire récente de la National League: Geoffrey Vauclair. L'ex-attaquant international, champion de Suisse en 1999 avec le HC Lugano, nous a reçus chez lui à Delémont. Le Jurassien de 46 ans s'est remémoré le bon vieux temps, avec l'humour et la gentillesse qu'on lui connaît.

Formée au HC Ajoie, la fratrie Vauclair a écrit l'histoire du hockey suisse. Julien (44 ans), l'actuel directeur sportif du HCA, est le plus connu. L'ex-défenseur a été double champion de Suisse avec le HC Lugano, médaillé d'argent et membre de l'équipe-type du Mondial 2013 avec l'équipe nationale. Il a en outre été le 1er Romand aligné en NHL (1 match avec Ottawa en 2003/04).

Finaliste du championnat avec Fribourg-Gottéron en 2013, Tristan (38 ans), désormais directeur du mouvement junior du HCA, a pour sa part patiné à plus de 700 reprises dans un rôle d'ailier défensif en National League.

Le fait d'armes le plus notable de Geoffrey (46 ans), enfin, est le titre acquis en 1999 avec le HC Lugano. Sans oublier sa participation au Championnat du monde du même millésime, à Oslo. A chaque fois en compagnie de Julien.

"Julien était le plus talentueux, Tristan le plus travailleur. Et moi, j'étais entre les deux", analyse l'ex-attaquant, désormais reconverti en expert au service de chaînes concurrentes. Lorsqu'il s'agit d'évoquer le passé avec l'ex-capitaine de Fribourg-Gottéron, le plaisir est garanti!

Jan Tlacil était le dernier et en même temps le pire coach de ma carrière

Geoffrey Vauclair

RTSsport.ch: Vous avez rangé vos patins en 2013/14 en Swiss League, au HC Ajoie. A-t-il été difficile de passer à autre chose?

GEOFFREY VAUCLAIR: Non, car je m'y étais préparé. Depuis toujours, mes parents m'avaient prévenu que ma carrière passerait vite. J'ai adoré pouvoir pratiquer ma passion durant plus de 20 ans. Mais j'ai tout autant aimé prendre ma retraite sportive. Cela m'a en effet permis de m'ouvrir à d'autres choses. Il m'a tout de même fallu plusieurs années pour trouver ma voie et devenir expert en hockey.

RTSsport.ch: Votre dernier entraîneur, le Tchèque Jan Tlacil, ne vous laissera en tous les cas pas un souvenir impérissable...

GEOFFREY VAUCLAIR: C'était le dernier et en même temps le pire coach de ma carrière. Je n'ai rien compris à ce bonhomme. Sa gestion humaine était catastrophique. Je n'ai d'ailleurs pas eu peur de le lui dire, devant toute l'équipe. Cela m'a coûté ma place, car je n'ai plus joué ensuite. En ce sens, je n'ai pas eu la fin que je voulais. Il m'a manqué de respect. En plus, le HC Ajoie avait besoin de récolter des points à ce moment-là et j'aurais pu apporter ma contribution. Il a donc fait passer sa propre personne avant le collectif, ce qui est très grave. C'était du jamais vu pour moi! Cela s'est finalement mal terminé, avec la non-qualification pour les playoffs et le licenciement de Tlacil. On aurait dû le virer bien avant...

RTSsport.ch: Remontons le temps jusqu'en 1999, une époque nettement plus joyeuse. Lors du 5e et dernier acte de la finale du championnat, vous ouvrez le score pour Lugano, qui finit par s'imposer 3-1 pour remporter son 5e trophée national. Votre meilleur souvenir?

GEOFFREY VAUCLAIR: Oui, l'un des plus beaux en tout cas. Je gagne le titre avec mon frère, dans ce qui était vraiment une équipe de potes. J'ai réussi des playoffs de feu, il faut l'avouer. En plus, je marque dans ce dernier match qui nous permet de nous imposer face à l'ennemi naturel de Lugano, Ambri. Je ne vous raconte pas la fête qui a suivi (rires). C'était l'apothéose, et ce dès ma 2e saison au Tessin. Car depuis mon enfance, Lugano était mon équipe de coeur. Malheureusement, on a perdu les 2 finales suivantes, contre Zurich...

Au Mondial 1999, j'ai encore dû me taper mon frère durant 3 semaines dans une chambre d'hôtel à Oslo

Geoffrey Vauclair

RTSsport.ch: Cette saison 1998/99 a-t-elle été votre meilleure?

GEOFFREY VAUCLAIR: Oui. On avait une formation soudée et bien équilibrée, avec pas mal de Romands. Les Suisses allemands se sont d'ailleurs adaptés aux francophones, étonnamment. Les Alémaniques sont donc peut-être plus souples que nous (rires)! Les Canadiens amenaient, eux, leur mentalité de gagneurs. J'adorais ça. Si quelqu'un prenait un coup, tous les autres le protégaient. Dans ma tête, il me semblait en fait que rien ne pouvait m'arriver. C'était aussi sûrement dû à mon jeune âge.

RTSsport.ch: A quel point les playoffs sont-ils éprouvants?

GEOFFREY VAUCLAIR: Avec 3 matches par semaine d'une grosse intensité, je ne dormais que 4 à 5 heures par nuit. Tu ressens une telle adrénaline et une telle pression... C'est d'ailleurs pareil pour tous les sportifs de haut niveau. Quand tout s'arrête, tu prends tes vacances dans un bel endroit. Mais là, tu n'as pas le temps de visiter: tu es tellement épuisé que tu passes ton temps à récupérer tes heures de sommeil.

Dans le rétro - Geoffrey Vauclair (1-2)
Dans le rétro - Geoffrey Vauclair (1/2) / RTS Sport / 4 min. / le 20 novembre 2023

RTSsport.ch: Dans la foulée de ce sacre avec les Bianconeri, vous avez été retenu pour le Championnat du monde 1999 en Norvège.

GEOFFREY VAUCLAIR: Oui, j'ai donc encore dû me taper mon frangin Julien pendant 3 semaines dans une chambre d'hôtel à Oslo (rires). La dernière semaine, on ne s'est plus tellement parlé. Il y avait une certaine pression et on était toujours ensemble, donc ce n'était pas forcément toujours facile. A ce moment-là, je ne m'attendais pas à être convoqué par Ralph Krueger, car je ne pensais pas avoir le profil requis. Avec le recul, c'est quand même sympa d'avoir un Mondial sur le CV, et les gens qui me reconnaissent dans la rue m'en parlent encore.

Mikael Renberg faisait une tête de plus que moi et avait le cou gros comme mes jambes

Geoffrey Vauclair

RTSsport.ch: N'est-ce pas frustrant d'en être resté à un seul Mondial?

GEOFFREY VAUCLAIR: Non. J'avais été rappelé en 2001 pour la phase de préparation, juste après la 2e finale d'affilée perdue contre Zurich. Ma déception était donc encore immense. Lors de mon 1er jour au camp, j'étais assis à côté de Michel Riesen dans le vestiaire. Je lui ai dit que je n'avais pas envie d'être là. Donc je suis allé voir Krueger peu après pour lui faire part de mon manque de motivation.

RTSsport.ch: Que vous avait ensuite dit le sélectionneur?

GEOFFREY VAUCLAIR: Il m'avait demandé de quand même jouer le match amical du lendemain contre la Suède à Zurich (réd: défaite 1-0 pour la Suisse le 11 avril 2001), en me promettant de me libérer juste après. Je me souviens qu'en face, il y avait de gros noms comme Mikael Renberg, l'ex-star des Philadelphia Flyers en NHL. Une vraie machine. Quand je suis arrivé vers lui à l'engagement, il faisait une tête de plus que moi et avait le cou gros comme mes jambes. Je me suis dit que c'était un autre monde. En réalité, j'avais d'autres priorités par rapport à l'équipe nationale à l'époque, dont Lugano.

RTSsport.ch: Certaines défaites du tour final en 1999 (8-2 face au Canada, 5-1 contre la Finlande et 3-0 face aux USA vous étaient-elles restées en travers de la gorge?

GEOFFREY VAUCLAIR: C'est vrai que ces claques m'avaient mis un coup derrière la nuque. Mais en ce temps-là, la Suisse était en phase d'apprentissage. Nous n'étions pas prêts physiquement à affronter de tels adversaires. Le jeu était beaucoup plus dur. Face aux Russes, aux Canadiens, aux Américains et à toute la smala, on n'était pas encore à niveau.

Julien est surtout une superbe personne. Et ça, c'est le plus important, à mon avis

Geoffrey Vauclair

RTSsport.ch: Comme vous l'évoquiez auparavant, votre frère Julien a participé à vos plus grands exploits. Avez-vous parfois été jaloux de sa réussite?

GEOFFREY VAUCLAIR: Non, jamais. Quand tu es la star d'un club, il y a énormément d'attente et de pression, aussi hors de la glace. Pour ma part, j'ai toujours bien aimé avoir ma petite vie à côté du hockey. Pour l'anecdote, en 1997, tous les clubs de l'élite me voulaient. Et j'étais à bout touchant de rejoindre Zoug. Mais le président et le coach du HC Lugano ont, eux, pris la peine de venir me rencontrer à Courtemaîche. En voiture, cela leur a fait un sacré bout, car il n'y avait pas encore la Transjurane. Cette démarche avait beaucoup touché mes parents.

RTSsport.ch: A l'origine, Lugano s'intéressait donc seulement à vous et pas à Julien?

GEOFFREY VAUCLAIR: Oui. Mais mon père leur a dit: "si vous voulez Geoffrey, vous devez aussi prendre Julien". Les dirigeants de Lugano pensaient le faire jouer seulement dans le mouvement junior. Mais à ce moment-là, il a explosé et a fait ses débuts en 1re équipe à 17 ans. Et alors que personne ne s'y attendait, il a ensuite fait cette carrière mirobolante. S'il avait 20 ans aujourd'hui, il jouerait sans doute en NHL. Mais je dois dire que Julien est surtout une superbe personne. Et ça, c'est le plus important, à mon avis.

Tristan a dû se battre bien plus que Julien et moi car c'était "le frère de"

Geoffrey Vauclair

RTSsport.ch: Julien ne vous a-t-il jamais demandé de l'épauler au HC Ajoie?

GEOFFREY VAUCLAIR: Il y a déjà 2 Vauclair dans le club... J'aime bien ma liberté. Et je n'hésite pas à dire ce que je pense. Je ne pourrais donc pas faire de la politique. A des postes comme celui occupé par Julien, on doit pourtant justement en faire... Je ne me vois pas non plus coacher. Je serais davantage intéressé à observer des jeunes talents en tant que scout. Au HCA, j'aurais de la peine aussi à gérer les attitudes du public. Car quand Julien est devenu directeur sportif, tout le monde a d'abord crié au génie. Et désormais, on ne comprend pas que les défaites s'enchaînent. Il fait pourtant un maximum avec les faibles moyens dont il dispose.

RTSsport.ch: Regrettez-vous de ne jamais avoir joué avec Tristan?

GEOFFREY VAUCLAIR: Oui, j'aurais bien aimé... Mais il y a des choses plus graves dans la vie. Je l'apprécie beaucoup. Tristan est un mec qui a dû cravacher ferme pour réussir. Grâce à cela, il a développé un sacré caractère. Il a dû se battre bien plus que Julien et moi car c'était "le frère de". C'est en tout cas ce qu'il entendait à chaque fois qu'il arrivait dans un club. Au niveau de son éthique de travail, il m'a beaucoup appris. Ses ex-coéquipiers me disent souvent que c'était une machine de guerre. Je vous rassure, il est resté le même! En général, on se réserve une semaine par année pour pêcher avec mes 2 frères en Suède, en Norvège ou en Irlande, par exemple. Nos femmes sont au courant et elles ne nous appellent pas trop. On en profite pour parler du passé, du présent et du futur

Dans le rétro - Geoffrey Vauclair (2-2)
Dans le rétro - Geoffrey Vauclair (2/2) / RTS Sport / 4 min. / le 20 novembre 2023

Propos recueillis par Michaël Taillard, vidéo réalisée par Lionel Küng

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"Avant chaque match, je déconnais"

Un joueur actuel qui vous ressemble: J'aimais bien le jeu physique et je me faisais assez bien respecter. Le hockey, devenu plus rapide, a beaucoup évolué. Les règles sont désormais plus sévères. Aujourd'hui, on a donc de moins en moins besoin de joueurs de mon profil. J'étais en tout cas plus proche d'un Noah Rod que d'un Julien Sprunger ou d'un Denis Malgin.

Votre rituel d'avant-match: Je déconnais toujours avec 2-3 coéquipiers dans le vestiaire (rires). J'étais très sérieux une fois sur la glace, mais je n'oubliais jamais que ça restait un jeu.

"Avec Julien Sprunger, c'est comme si on se voyait toutes les semaines"

Un coéquipier perdu de vue que vous souhaiteriez revoir: Julien Sprunger. Je le revois 1-2 fois par an seulement. Mais à chaque fois, c'est comme si on se voyait toutes les semaines. Récemment, lors d'une émission TV, il a eu des mots touchants pour mes frères et moi. Je n'ai pas fait le malin, je ne m'y attendais pas. Il n'a pas parlé de moi en tant qu'hockeyeur, mais en tant que personne. Et j'ai trouvé cela super. Il pourrait très bien ne pas s'intéresser à moi, car c'est la star et une légende à Fribourg. En hockey comme dans la vie, tes meilleurs potes ne sont pas forcément ceux que tu croises tout le temps. Les bons amis, on les reconnaît quand ça va mal...

Shawn Heins étonné de sa "maigreur"

Une anecdote jamais racontée: Avant d'être mon coéquipier à Fribourg-Gottéron (réd: de 2006 à 2009), Shawn Heins jouait à Bâle. J'avais donc déjà eu affaire à lui 2-3 fois dans la bande. Si tu répondais physiquement, il te laissait tranquille. S'il voyait par contre que tu avais peur, il te courait après durant tout le match. Je me souviendrai toute ma vie de la première fois où il est arrivé dans le vestiaire à Fribourg. Il m'a regardé en train de m'habiller à côté de lui et m'a demandé: "c'est toi, Vauclair? Je suis étonné. Car quand je vois l'agressivité dont tu es capable, je ne pensais pas que tu étais aussi maigre que ça (rires)".

Un coéquipier marquant: Philippe Bozon, à Lugano. Il avait la rage de vaincre et donnait toujours le 110% sur la glace. Il était de cette génération qui appréciait des joueurs comme moi, totalement dévoués à l'équipe. Il aurait mérité qu'on gagne une de ces 2 finales contre Zurich. A Lugano, il y a aussi eu Peter Andersson. Un défenseur incroyable. C'était le meilleur joueur du championnat en 1999.

La carrière de Geoffrey Vauclair en bref

Né le: 8 mars 1977.

Taille / poids: 181 cm / 90 kg.

Ex-poste: ailier gauche.

Clubs pros: HC Ajoie (1993-1997), HC Lugano (1997-2002), HC Fribourg-Gottéron (2002-2009), HC Ajoie (2010-2014).

Palmarès:  Champion de Suisse avec le HC Lugano en 1999.

Huitième du Championnat du monde en 1999 avec l'équipe de Suisse.