La commotion cérébrale semble devenir l'ennemie publique no1 en hockey. Cette saison, un nombre affolant de joueurs ont pâti de ce fléau de la LNA. Cas le plus grave, Chuck Kobasew se résignera sans doute bientôt à ranger ses patins au CP Berne, à 33 ans. L'attaquant canadien a été touché une fois de trop en octobre, la 4e depuis son arrivée en Suisse, après avoir heurté un arbitre.
Tristan Vauclair, désormais rétabli, fait partie de la dizaine de joueurs de Fribourg-Gottéron victimes en 2015/16 de cette blessure provoquée, suite à un choc, par la collision entre le cerveau et la boîte crânienne. "J'ai reçu un coup sur la mâchoire. J'ai continué à jouer. Mais plus tard, j'ai eu des vertiges et ma vision s'est troublée".
Une prise de conscience
"C'est triste qu'il y ait autant de cas cette année, poursuit l'ailier gauche. Mais au moins, il y a désormais une prise de conscience par rapport à la commotion. Les joueurs se renseignent, ils veulent pouvoir se rappeler du nom de leurs enfants quand ils auront 50 ans", assène le Jurassien de 31 ans.
Sandy Jeannin abonde dans le sens de son ancien coéquipier à St-Léonard. "Avant, on n'osait pas se plaindre, on serrait les dents et on continuait à jouer. Maintenant, on est plus attentif à cette blessure". L'ex-attaquant international a été contraint de prendre sa retraite au printemps dernier à 39 ans, à cause d'une commotion. "Aujourd'hui, je me sens assez bien, même si ma capacité de concentration a diminué".
De meilleurs staffs médicaux
S'il y a explosion du nombre de commotions, c'est donc aussi car celles-ci sont bien mieux identifiées qu'avant par les staffs médicaux des équipes.
"A mon époque, explique Didier Massy (53 ans), ex-défenseur de Lugano et actuel arbitre en LNA, on n'avait pas le même suivi qu'aujourd'hui. Les charges étaient pourtant tout aussi violentes. J'ai été frappé à la tête, contre la bande, lors du Mondial "B" à Megève en 1991, avec l'équipe nationale. Mais personne ne m'a interdit de rejouer".
"Lorsque je jouais, je n'ai bizarrement jamais été confronté à ce problème. Je n'ai jamais vu non plus de coéquipier se plaindre de maux de tête", raconte pour sa part Hans Kossmann (53 ans).
Vitesse et puissance
Le coach canado-suisse d'Ambri Piotta est d'accord avec tous nos interlocuteurs au moment de nommer les causes principales des commotions: la vitesse et la puissance des joueurs actuels.
"Il y a aussi moins de respect pour l'être humain en ce moment. Ca doit changer", clame Sandy Jeannin. Selon le Neuchâtelois, les arbitres, désormais pros et 4 par match, devraient aussi davantage prendre leurs responsabilités.
"Le problème est le même que pour la police après un accident de la route, rétorque Didier Massy. Quand on arrive après une charge incorrecte, le mal est déjà fait. On n'a pas le pouvoir de prédire l'avenir ni d'arrêter le temps. Ca va trop vite!", dit le Valaisan.
Une mauvaise pub
Tout le monde se rejoint également sur ce constat: les commotions ne contribuent de loin pas à donner une bonne image du hockey sur glace en Suisse.
Cela pourrait, à terme, faire peur à certains au moment d'inscrire leur enfant dans un club. "Autour de moi, beaucoup de parents sont un peu dégoûtés, c'est vrai. Ils ont l'impression que le hockey est une boucherie. C'est vraiment dommage, car ce sport ne m'a fait vivre que de bonnes expériences depuis mon enfance", dit Vauclair.
Massy, lui, tient à calmer le jeu. "Il ne faut pas non plus peindre le diable sur la muraille. Il y a des commotions graves provoquées par des agressions, mais pas mal d'autres sont légères".
Michaël Taillard
"Les casques devraient être faits sur mesure"
Quelles solutions imaginer pour réduire le nombre des commotions en LNA? Le point avec nos quatre interlocuteurs.
TRISTAN VAUCLAIR: D'autres clubs pourraient imiter Lausanne (réd: sans oublier Bienne et Zoug) qui a installé des bandes souples. Celles-ci diminuent considérablement les risques.
Un accident, ça peut arriver à tout le monde. Mais il faut punir plus durement les récidivistes, ceux qui écopent de 5-6 matches de suspension par année.
Au niveau du matériel, les visières, à taille unique, ne sont pas adaptées à tous les casques. Et ceux-ci devraient être fabriqués sur mesure. Dans mon cas, ma visière écarte trop mon casque!
Faire de la prévention chez les juniors? Oui, ce serait intéressant. Mais le risque zéro n'existera jamais. Prenez une superstar comme Sidney Crosby: il a aussi eu des commotions...
SANDY JEANNIN: Il faut des sanctions plus sévères. Sur la route, on double bien la punition quand vous commettez la même infraction pour la deuxième fois! Ce n'est pas le cas au hockey. Cela passe aussi peut-être par la création d'un comité spécial pour analyser ce type de faute, comme en NHL.
Dans mon travail de coach des novices élites au HC La Chaux-de-Fonds, on apprend aux jeunes à bien encaisser une charge, à bien lever la tête, à anticiper les mouvements de l'adversaire.
DIDIER MASSY: L'abolition du hors-jeu des 2 lignes il y a quelques années a accéléré le jeu et rendu les matches plus fluides et plus spectaculaires. Mais cela a en même temps augmenté le risque de collisions. Ce serait dommage de ressusciter cette règle: la Fédération internationale y a pensé. Mais si c'est nécessaire pour améliorer la santé des joueurs, je signe en premier!
On pourrait imaginer aussi de donner des amendes au prorata du salaire. Et punir sévèrement les récidivistes. Mais la Fédération fait déjà un gros boulot, le juge unique sévit durement.
Chez les juniors, on devrait davantage inculquer le respect de l'adversaire, comme on le fait en rugby.
HANS KOSSMANN: Punir les récidivistes est sûrement une bonne chose. Mais alors il faudrait faire attention à définir correctement ce terme. Un joueur qui inflige deux commotions à 7 ans d'intervalle est-il un récidiviste? Ce cas est arrivé à Julien Sprunger à Gottéron, et ça ne fait pas de lui un hockeyeur méchant pour autant...
Au Canada, à l'entraînement, on donne des maillots portant le mot "STOP" dans le dos aux jeunes, pour les sensibiliser aux charges par derrière. Ce système fait débat et crée beaucoup de tensions. Mais de toute façon, on ne pourra jamais éliminer les mises en échec, elles font partie du jeu, tout comme les commotions cérébrales. C'est un risque lié à notre sport...
Docteur Grosclaude: "il ne faut pas être trop alarmiste"
Médecin du sport à l'hôpital de La Tour à Meyrin (GE), Maxime Grosclaude soigne les skieuses de l'équipe de Suisse et les hockeyeurs de GE-Servette II (1L). Il est lui-même gardien amateur.
RTSsport.ch: La situation est-elle vraiment préoccupante au niveau des commotions?
MAXIME GROSCLAUDE: C'est un sujet à la mode, dont tout le monde parle beaucoup. Du coup, on a l'impression qu'il y a de plus en plus de commotions. Mais en réalité, une étude nord-américaine démontre que, là-bas, les chiffres restent relativement stables. On possède surtout de meilleurs outils qu'avant pour diagnostiquer ces blessures, ce qui gonfle les chiffres par rapport à il y a 20 ou 30 ans en arrière.
Il faut aussi dire que l'augmentation de la sévérité de l'arbitrage depuis 2005 implique davantage de pénalités. Et qui dit davantage de situations spéciales, dit moins de contacts. De plus, avant 2002, les charges à la tête n'étaient pas systématiquement sanctionnées. Il ne faut donc pas être trop alarmiste.
RTSsport.ch: Comment s'y prend-on pour déceler une commotion lors d'un match?
MAXIME GROSCLAUDE: Les staffs médicaux soumettent le joueur à un questionnaire. En fonction de ce dernier, on arrive à déterminer si l'athlète est apte à rejouer, ou pas. Dans 80 à 90% des cas, le sportif récupère totalement de sa commotion dans les 7 jours.
RTSsport.ch: Si rapidement?
MAXIME GROSCLAUDE: Oui. Par contre, on demande au joueur de rester chez lui et on lui interdit toute stimulation cérébrale durant ce laps de temps (lecture, musique, écran). En gros, il ne peut rien faire... Il est aussi surveillé durant toute cette période avec des examens médicaux répétés, toutes les 24h si nécessaire. Parfois, un bilan neuropsychologique est demandé.
En revanche, subir des commotions à répétition peut s'avérer grave. On n'est pas encore très bien informé sur les dégâts cérébraux que cela provoque sur le long terme, comme par exemple des troubles de la mémoire. On sait qu'après avoir eu de nombreuses commotions durant leur carrière, certains anciens boxeurs sont atteints de ce que l'on appelle la "démence pugilistique".
RTSsport.ch: La commotion est-elle la blessure la plus fréquente en hockey?
MAXIME GROSCLAUDE: Non. Toujours selon la même étude, la commotion cérébrale constitue le 22% du total des blessures. Les blessures aux genoux sont les plus nombreuses, suivies par celles à la tête, puis aux épaules. La catégorie des 12-14 ans est la plus à risque, en raison de la différence de taille et de la maturation du squelette entre les joueurs.
On a aussi calculé le risque qu'un hockeyeur a de subir une commotion, en moyenne: on en compte 1,58 pour 1000 entraînements/matches.
RTSsport.ch: Pour terminer, quels sont les symptômes d'une commotion?
MAXIME GROSCLAUDE: Il y en a beaucoup! Le plus fréquemment: les vertiges, les troubles de la vision, la sensation d'être au ralenti, la fatigue, les pertes de mémoire et la difficulté à se concentrer. Il y a aussi, notamment, la sensibilité extrême au bruit et à la lumière. On voit que ces symptômes couvrent un champ assez vaste...