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Marc Ristori revient sur le jour où sa vie a basculé

Marc Ristori aux côtés de ses potes Julien Bill et Mat Rebeaud.
Marc Ristori aux côtés de ses potes Julien Bill et Mat Rebeaud.
30.11.2007, Supercross de Genève: Marc Ristori chute et perd l'usage de ses jambes. Le pilote genevois accepte de revenir sur le passé et d'évoquer le futur.

Marc Ristori vivait de sa passion: le motocross. Une motivation,
une rigueur et une discipline qui l'ont amené à décrocher plusieurs
titres de champion de Suisse et à gagner notamment deux Grands Prix
du championnat du monde 2006. Sa vie a basculé le 30 novembre 2007
lors du Supercross de Genève. Une chute. "J'ai l'impression que
mon corps est séparé en deux... Je sais, j'ai compris"
. Marc
Ristori, 3 semaines avant de fêter ses 26 ans, perd l'usage de ses
jambes.

Ristori, un champion déterminé

A quelques semaines du Supercross de Genève (5 et 6 décembre) où
il retrouvera ses amis de la moto, le Genevois a accepté de nous
rencontrer. "Ce n'est pas simple mais il faut avancer",
explique le Genevois, qui a conservé la détermination et la
franchise d'un champion.



tsrsport.ch: Vendredi 30 novembre 2007. Vous
effectuez votre dernier tour de piste au Supercross de Genève. Et
puis la chute. Que vous reste-t-il de ce moment?




MARC RISTORI: J'ai revu des images de la course
jeudi passé. C'était un sentiment bizarre. On ne voit pas la chute
mais le début de l'action. Cela m'a donné des informations sur la
raison de ma chute. C'est important pour moi de comprendre. C'était
une chute parmi tant d'autres sauf que, contrairement à ce que
certains ont pu dire, celle-là a été très violente. Je suis tombé
sur la tête de la pire des façons.



tsrsport.ch: Avec le recul, cet accident
est-il dû à la fatalité?




MARC RISTORI: Jusqu'à jeudi dernier c'était de la
fatalité. Mais après avoir revu les images, il semblerait que j'aie
commis une petite erreur. Ce qui est bizarre, c'est que je n'ai pas
du tout cette image en tête. Une erreur de 10 centimètres me coûte
les jambes. Ca fait mal de payer l'addition aussi cash.



tsrsport.ch: Vous êtes-vous dit,"pourquoi
moi"?




MARC RISTORI: Au début, oui. Je me disais que je
ne méritais pas ça. Il y a des pilotes qui chutent 3 fois par
manche et qui n'ont rien. Moi, je ne tombais que de 1 à 4 fois par
mois en étant tous les jours à l'entraînement.



tsrsport.ch: Le sentiment d'injustice a-t-il
duré longtemps?




MARC RISTORI: Un quart d'heure. C'est lorsque
l'on m'a dit à l'hôpital que je ne remarcherais plus. J'ai pêté les
plombs pendant 15 minutes. C'était inimaginable. Ma vie n'avait
plus aucun sens. A quelque part, j'étais mort. Puis, j'ai fait
trois mois et demi de rééducation au Centre suisse des
paraplégiques à Nottwil et quatre à Sion.

"Je relativise plus aujourd'hui"

tsrsport.ch:

Comment fait-on moralement pour
se remettre d'un tel événement
?



MARC RISTORI:

Le fait d'avoir pu voyager durant
ma carrière de pilote de motocross et de découvrir de nouvelles
mentalités m'a permis de me rendre compte que j'étais un
privilégié. Mon sport m'a appris énormément de choses de la vie. Et
même maintenant dans ma paraplégie, je suis un privilégié. Je
m'entraîne beaucoup. C'est dans mon caractère. Je suis un bosseur.
Je veux avoir le plus d'indépendance possible. Il faut arrêter! Il
n'y a pas que la paraplégie dans la vie. Il y a plein de maladies
sur terre. Il y a des gens qui souffrent, qui meurent de faim tous
les jours.



tsrsport.ch:

Au niveau du caractère, Marc
Ristori a-t-il changé
?



MARC RISTORI:

Je me suis un peu assagi parce que
la paraplégie te demande d'être plus tolérant envers toi-même et
les autres, d'être plus patient. Avant, j'étais impatient. Je
voulais que tout aille vite et bien. J'avais une certaine rigueur
pour atteindre le haut niveau. Aujourd'hui, je relativise plus. Je
suis devenu un peu plus diplomate.



tsrsport.ch:

Mais encore?



MARC RISTORI:

Avant je n'avais aucun problème à
dire ce que je pensais parce que je pouvais montrer que j'avais
raison sur le circuit de moto. La preuve était sur le terrain, les
résultats parlaient. Aujourd'hui quand on t'attaque, tu ne peux pas
dire "on verra sur la piste". Maintenant, il faut essayer de
s'adapter à la situation. J'essaie de rester égal à moi-même.



tsrsport.ch:

Vous disiez donner vos réponses
sur la piste. Avez-vous trouvé aujourd'hui une nouvelle
piste
?



MARC RISTORI:

Ce n'est pas évident. Le 30
novembre cela fera un an que j'ai eu l'accident. Je commence à être
tendu. J'ai besoin de passer le Supercross de Genève 2008 pour
évoluer, trouver certaines directions. J'ai besoin de passer ce
cap. Peut-être faudra-t-il encore attendre 1 ou 2 ans pour avoir
des réponses. Je n'en sais rien.



Lorsque vous faites la même chose pendant 20 ans et qu'en une
seconde tout change, cela n'est pas évident. Tu ne peux pas dire
"voilà je ne fais plus de moto, je vais me retrouver dans un bureau
et faire de l'informatique". Cela ne marche pas comme ça. Même si
l'on ne vit pas de souvenirs mais de présent et futur, il est
difficile en une année de tout changer et de se réadapter à une
nouvelle vie. Il faut déjà s'adapter à la vie en chaise. La vie en
chaise n'est pas simple. Il y a un tas de choses à apprendre.

"Je ne veux pas avoir de regrets"

tsrsport.ch:

De quoi est faite aujourd'hui la
journée de Marc Ristori
?



MARC RISTORI:

Mon quotidien est fait de beaucoup
d'activités physiques, d'entraînements et de rééducation. Parfois
on me dit: "mais tu n'es pas sportif. Pourquoi t'entraînes-tu?" Je
veux préserver mon corps au maximum.



Mon objectif depuis le premier jour est de remarcher. Aucun
médecin, aucun handicapé, aucun paraplégique ne pourra m'enlever ça
de la tête. Il y a des gens qui n'y croient pas, d'autres qui se
sont fait une raison. Par rapport à ma mentalité, je veux remarcher
un jour. J'entraîne le haut et je soigne le bas de mon corps.
J'essaie de me préserver au maximum par rapport à une éventuelle
avancée de la science, la robotique par exemple.



Je ne veux pas avoir de regrets. Lorsque du jour au lendemain ta
vie change, tu te rends compte que tu as beaucoup de regrets. Même
si j'ai eu une vie de privilégié grâce à tous les efforts que j'ai
fournis dans ma passion, la moto, je me rends compte de toutes les
choses que je n'ai pas pu faire. Je ne veux pas avoir le regret de
me dire un jour que j'aurais pu remarcher mais que je n'ai pas
assez travaillé pour y arriver.



Professionnellement parlant, il y a aussi des choses qui
m'intéressent mais, là, c'est un peu tôt pour en parler. Un jour
j'ai envie de faire ça, un autre jour j'ai envie de faire autre
chose. Il faut avancer tranquillement mais pour l'instant c'est
priorité à mon corps. De toute façon, je ne vais jamais m'arrêter
de travailler physiquement.

"Il n'y a pas que la chaise. Ton corps change"

tsrsport.ch: Cela ne vous énerve-t-il pas
lorsque vous entendez des valides qui ne cessent de se
plaindre?




MARC RISTORI: En tant que paraplégique, tu ne vas
pas dire aux gens "arrêtez de vous plaindre". Tu ne peux pas car
chacun vit des moments personnels. Tu ne peux pas demander à un
"piéton", c'est comme cela que nous vous appelons, d'imaginer ce
que c'est que d'être sur un fauteuil roulant. C'est tout simplement
impossible. Même moi avant l'accident, et pourtant j'ai des amis
sur chaise, je ne savais pas du tout ce que cela représentait au
quotidien de vivre dans cette situation. Tu ne peux pas t'en rendre
compte tant que tu ne la vis pas. Il n'y a pas que la chaise; ton
corps change.



Les valeurs changent. On voit le monde et les gens d'une autre
façon. En tout cas moi en tant que paraplégique je ne vais jamais
juger un piéton parce qu'il ne se rend pas compte de la chance
qu'il a.



tsrsport.ch: Sentez-vous parfois le regard
plein de compassion et de pitié des gens?




MARC RISTORI: Oui et non. Cela dépend en fait
énormément du message que tu leur transmets. Si tu projettes
l'image la plus positive possible, les gens ne font pas attention
au fait que tu sois en chaise. Par contre, si tu as tout le long la
tête baissée, que tu ne parles à personne, tu vas avoir des regards
de personnes qui ne seront pas à l'aise. Elles ne sauront pas si tu
as éventuellement besoin d'un coup de main et si cela sera bien
perçu par la personne qui est en chaise.



Il y a des gens qui me montrent de la pitié. Cela fait partie de
l'ignorance des personnes qui voient la chaise comme une mort alors
que ce n'est pas le cas. Attention, je ne dis pas que cette
situation est "top". Je veux simplement dire que je suis "para",
que je ne l'ai pas choisi de l'être, c'est venu d'une seconde à
l'autre. Une fois que tu as compris que la vie continue, tu
avances. Moi en tout cas c'est ce que j'essaie de faire. Parfois je
ne trouve pas toujours la direction mais j'essaie de toujours
d'avancer.



tsrsport.ch: D'où l'importance de la famille
et des amis.




MARC RISTORI: C'est extrêmement important. Cela
dépend en fait beaucoup de ta relation avant l'accident. J'ai créé
une vraie amitié avec tout mon entourage. J'ai beaucoup de soutien.
J'ai été déçu par peu de personnes.

"Il faut avancer"

tsrsport.ch: Avez-vous fait le deuil de vos
jambes?




MARC RISTORI: Souvent des paraplégiques ou des
médecins me disent que je n'ai pas encore réalisé ma situation. Je
n'en ai rien à faire de cette histoire de deuil, dans le sens que
le deuil de mes jambes je ne le ferai jamais. Mes jambes sont là.
Je les prends, je les porte, je les soigne. Et un jour, elles me
serviront. Par contre, le deuil de ma vie d'avant, oui je le
fais.



Il ne faut pas se leurrer: je ne ferai plus de course de
championnat du monde. Une fois que tu as compris que la vie
continue, tu avances. Moi en tout cas c'est ce que j'essaie de
faire. Parfois, je ne trouve pas la direction mais j'essaie de
toujours avancer.



Il y a des jours où ça va vraiment bien, d'autres où la moto me
manque. On vit tous ça de manière différente. Pour certains
handicapés c'est vraiment dur, pour d'autres c'est carrément une
renaissance parce qu'ils ne faisaient pas grand-chose avant. Pour
eux c'est une deuxième chance.



tsrsport.ch:: Et pour vous, s'agit-il d'une
deuxième chance aussi ?




MARC RISTORI: Non, parce que j'avais la vie que
j'avais voulu. Mes parents m'ont donné l'opportunité de pouvoir
vivre mes rêves. J'en ai profité un maximum. Je me suis entraîné un
maximum. J'ai atteint certains de mes objectifs. Je ne les ai pas
volés.



Du jour au lendemain je me suis retrouvé en chaise roulante. Oui,
ma vie d'avant me manque parce que je l'avais choisie. Donc, je ne
dirais pas que c'est une deuxième chance. Je pense que c'est tout
simplement un recommencement, une façon différente de vivre, avec
d'autres choses à découvrir aussi.



tsrsport.ch: Pour conclure: un message que
vous aimeriez donner aux valides et aux handicapés?




MARC RISTORI: J'aimerais tout d'abord dire aux
"piétons" que l'on fait vraiment partie du même monde. Je leur
demanderais aussi d'éviter de se garer sur des places de parking
réservées aux handicapés. On ne veut pas de votre pitié mais on
demande à être pris en considération. Il y a encore beaucoup à
faire pour améliorer notre quotidien. Et aux invalides, je leur
dis: "soyez fiers de vous". Même avec un handicap, on peut
continuer à avancer et à se battre.



propos recueillis par Miguel Bao

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Marc Ristori express

Plat préféré: les pâtes

Boisson favorite: sirop grenadine

Musique préférée: le rapper DMX. J'aime la musique plutôt agressive

Principale qualité: la détermination

Principal défaut: j'en ai plein

Meilleur souvenir: ma victoire au Grand Prix de Suisse comptant pour le championnat du monde en 2006

Pire souvenir: ma chute, le jour où tout a basculé

Le motocross, c'est: la plus belle chose que j'ai faite dans ma vie

Le dopage: fait hélas partie du sport

Devise: quand la faiblesse physique devient une force mentale

"Comme un enfant qui vient de naître"

tsport.ch: Sur votre site vous expliquez que vous vous être pris "claques sur claques" après l'accident.
MARC RISTORI: Je me suis vite rendu compte de ce que j'avais perdu. Toute ma vie professionnelle s'est envolée en une seconde. Et ce n'est pas tout. Il faut digérer les conséquences de la paraplégie. J'ai perdu tous mes repères. Cela a été terrible. La vérité, c'est que quand tu deviens paraplégique, tu es comme un enfant qui vient de naître. Tu ne tiens pas debout, assis tu ne tiens pas en équilibre, tu es assisté pour tout ce qui touche à ta sphère intime car certains de tes organes ne fonctionnent plus. Tu dois apprendre à vivre différemment. Alors "claques sur claques", oui car presque un an après, je dois encore me battre. On se bat pour des choses qui pour vous sont logiques et simples.

tsport.ch: On met plusieurs années à construire son univers. Un univers qui peut par contre s'évaporer en une seconde.

MARC RISTORI: J'ai appris que l'on pouvait tomber bas et que lorsque l'on avait l'impression d'avoir touché le fond, l'on pouvait encore descendre d'un palier. Toutes les claques que j'ai prises m'ont renforcé. Elles m'ont permis de rencontrer des gens. Comme quoi il y a aussi du bon.

"LA SECURITE EN MOTOCROSS EST UN PROBLEME"

tsport.ch: Dit de manière maladroite, votre accident a-t-il servi à quelque chose en termes de sécurité dans le motocross?
MARC RISTORI: La sécurité dans notre sport est un gros problème. Pourquoi? Parce que nous pratiquons un sport dans lequel nous avons besoin d'un maximum de mobilité. Donc plus tu es protégé, moins tu es mobile. Il faudrait que les protections soient adaptées à la morphologie de chacun des pilotes. A ce niveau-là, il y a encore beaucoup à faire. Des chutes spectaculaires il y en a souvent. Il ne faut pas croire cependant qu'il y a tous les jours des pilotes qui se cassent la colonne vertébrale. C'est rarissime.

tsport.ch: Que répondez-vous à ceux qui affirment que le motocross est à la base un sport dangereux?
MARC RISTORI: C'est leur avis. Je pense qu'il faut faire ce qui nous plaît en prenant les meilleures précautions. Il faut vivre.

MENTALITE, CARACTERE, ESPRIT "MOTO"

tsrsport.ch: Le 5-6 décembre aura lieu le Supercross de Genève. Vous serez présents à Palexpo le 6 décembre. Appréhendez-vous ce moment?
MARC RISTORI: Beaucoup. Mais avant le 6 décembre il y aura le 30 novembre, date de l'accident. Le 6 décembre ce sera le retour dans ma bulle, mon monde que je n'ai pas vu depuis quasiment un an. Je ne sais pas du tout comment le public et mes potes de moto vont réagir. Je sais que pour ma famille et mes amis ce sera aussi dur que pour moi.

tsrsport.ch: Toujours envie de rester dans le milieu de la moto ?
MARC RISTORI: C'est la grande question. Le Supercross de Genève me donnera une idée par rapport à mon milieu. La moto m'a tellement apporté que je ne pense pas lui tourner le dos. J'ai une mentalité moto, un caractère moto, un esprit moto. Je ne veux pas refouler ce que je suis et ce qui m'a tant apporté.

"LES JEUX OLYMPIQUES DE 2012 DANS UN COIN DE MA TETE"

tsrsport.ch: Vous l'avez dit à plusieurs reprises. Vous ne pouvez pas vivre sans pratiquer du sport. Des projets à ce niveau-là ?
MARC RISTORI: J'ai commencé à faire de l'athlétisme en chaise. Les Jeux olympiques de Londres en 2012 sont dans un coin de ma tête. J'ai toujours voulu participer à des Jeux mais la moto ne figure pas dans la liste des sports olympiques.

J'ai eu la chance de côtoyer Heinz Frei et d'autres athlètes paralympiques. Je me suis rendu compte qu'ils étaient des monstres d'athlètes. Ils ont autant de mérite que des sportifs valides. Ce sont les mêmes entraînements, la même rigueur, la même passion. Je serais fier de pouvoir participer à des Jeux.