Avec Lucien Favre et Christian Gross, Bernard Challandes est
actuellement un des entraîneurs suisses les plus cotés. Le
Neuchâtelois de 57 ans est en train de réussir un joli coup à
Zurich, où on lui prédisait les pires difficultés. Depuis 1987, il
a dirigé Yverdon, YB, Servette et surtout l'équipe de Suisse M21
avec laquelle il a réalisé quelques exploits retentissants, comme
la fameuse épopée des "Titans" à l'Euro 2002. Interview d'un
personnage attachant et entier.
tsrsport.ch: Le FC Zurich en tête d'ASL
après 11 journées, était-ce planifié?
BERNARD CHALLANDES: C'est une satisfaction et en
même temps une bonne surprise, je dois l'avouer. Je ne pensais pas
que l'équipe serait aussi bien classée après un printemps difficile
et aucun transfert réalisé cet été. Là, on a retrouvé une
philosophie de jeu qu'on avait pu développer la saison passée au
1er tour, mais qu'on avait ensuite perdu dans la deuxième phase du
championnat. Etre premier c'est bien mais ce n'est pas le plus
important. La satisfaction, c'est surtout que l'équipe est
désormais constante dans ses performances.
tsrsport.ch: A Zurich, on maintient la
confiance à l'entraîneur même dans les moments délicats, c'est
aussi un avantage...
BERNARD CHALLANDES: Oui, c'est vrai. Mais en même
temps, on n'a jamais été classé en-dessous de la 3e place en 07/08
et on avait réussi une excellente campagne européenne. Alors si un
entraîneur est en danger à ce niveau-là, ça devient plus que
ridicule mais c'est vrai qu'on a vu un peu de tout dans le
football! Les dirigeants du FCZ ont été très clairs lorsque le
"Blick" menait une campagne contre moi. Ils m'ont affirmé que ma
place n'était pas du tout remise en cause. A Zurich, on laisse le
temps aux jeunes et au coach de travailler!
"Tout entraîneur est un peu fou de nature!"
tsrsport.ch: Quand vous voyez un club comme
Sion, où les entraîneurs changent régulièrement, ça doit vous
interpeller?
BERNARD CHALLANDES: Oui, parce qu'on sait très
bien que les changements, 8 fois sur 10, n'apportent rien. Ce qui
me choque toujours, c'est quand on engage l'entraîneur, on le
présente comme le messie, celui qu'on attendait depuis longtemps et
puis quelques semaines après il n'est plus bon à rien! Il faut
pouvoir travailler sur la durée surtout lorsque l'entraîneur n'a
pas construit son équipe. Il reçoit parfois un contingent auquel il
doit s'adapter et il doit le corriger selon ses conceptions et sa
philosophie du football.
tsrsport.ch: Si vous étiez sans travail,
accepteriez-vous d'entraîner un club comme Sion,
actuellement?
BERNARD CHALLANDES: Je crois que tout entraîneur
est un peu fou de nature! Chaque fois qu'il accepte une mission, il
est persuadé qu'il va réussir, donc pourquoi pas! Dans mon cas, les
gens se sont aussi posé la question de savoir pourquoi j'allais à
Zurich après Lucien Favre, alors que les meilleurs joueurs étaient
transférés et que j'occupais une magnifique place à la Fédération
avec les M21. C'est un peu un comportement d'entraîneur, qui a
besoin de relever de nouveaux défis.
"Le foot suisse en crise? Faux!"
tsrsport.ch:
Affirmer
que le foot suisse est en crise, est-ce un jugement trop
sévère?
BERNARD CHALLANDES:
Oui, c'est totalement faux!
C'est cette défaite de la Suisse contre le Luxembourg qui fausse le
jugement. C'est également arrivé à des grands pays, comme au
Portugal, de faire match nul contre le Liechtenstein. Mais pour
moi, ça ne remet pas en cause les qualités ou les manques de notre
foot. En ce qui concerne les clubs en Coupe d'Europe, certains
médias ont fait une analyse totalement ridicule. Qui peut prétendre
que l'on va battre Galatasaray, l'AC Milan ou même Bruges? Le
championnat belge n'est pas plus faible que le nôtre, c'était du
50-50.
tsrsport.ch:
Le problème du foot suisse n'est
il pas l'exode de plus en plus tôt des joueurs
helvétiques?
BERNARD CHALLANDES:
Oui, exactement et il va
devenir difficile de maintenir un certain niveau dans nos équipes.
On nous dit de construire, moi je veux bien mais maintenant j'ai un
Abdi, le joueur le plus important de l'équipe, qui va bientôt
partir! Le FC Bâle a rencontré les mêmes problèmes avec les départs
successifs de Petric, de Rakitic et dernièrement de
Majstorovic.
"Rien à faire contre l'exode des talents suisses"
tsrsport.ch: N'y a-t-il aucun moyen pour
freiner quelque peu tous ces départs?
BERNARD CHALLANDES: Non, on ne peut rien faire!
Le poids de l'argent est tellement énorme dans la vie d'un homme,
et pas seulement pour un sportif. Les offres sont à ce point
intéressantes que c'est impossible de refuser! En plus, le joueur
ne sait pas si cette opportunité va se reproduire une deuxième
fois. Je ne connais personne qui refuserait plusieurs millions sur
une simple signature d'un contrat et qui préférerait évoluer en
Suisse pour toucher environ 6000 francs par mois!
tsrsport.ch: Il y a quand même des cas
extrêmes comme Esteban, qui n'avait même pas évolué en ASL avant de
partir...
BERNARD CHALLANDES: Oui et je comprends que le
grand public s'interroge à ce propos. Mais Esteban travaillait à la
poste quand il a reçu de Rennes une offre de quatre ans. A
l'époque, Zurich lui avait fait une proposition intéressante mais
c'était à des années-lumières de ce qu'on lui proposait en
Bretagne. Dans sa tête, il était aussi persuadé qu'il allait
réussir ou que son heure viendrait. Il était donc impossible qu'il
refuse une telle offre.
"On n'a pas les moyens des grands clubs"
tsrsport.ch: Pour un entraîneur, n'est-ce
pas désolant de voir ses meilleurs joueurs s'en aller tous les six
mois?
BERNARD CHALLANDES: Oui, bien sûr parce qu'on a à
peine construit quelque chose qu'il faut tout recommencer. Mais le
métier d'entraîneur a aussi changé. Désormais, il faut savoir
anticiper. Pour le FCZ, par exemple, c'est de savoir déjà
aujourd'hui ce que l'on va faire quand Abdi ou Alphonse partiront.
Je discute, à ce niveau-là, souvent avec Daniel Jeandupeux, qui est
le directeur sportif du Mans. Régulièrement, ce club perd ses
meilleurs éléments, mais en ayant anticipé il parvient à de bons
résultats malgré des moyens limités.
tsrsport.ch: En Suisse, n'y a-t-il pas
également trop de joueurs étrangers d'un niveau assez quelconque
qui prennent la place des jeunes Suisses?
BERNARD CHALLANDES: Ca, c'est aussi un problème
dans notre façon de recruter. On n'a pas les moyens des grands
clubs. On fait beaucoup de spéculations en espérant revendre un
joueur à bon prix à un club étranger, c'est un peu du poker! C'est
vrai qu'il faudrait trouver un juste milieu. Mais, il faut avouer
que le marché suisse est relativement restreint. En plus, le joueur
suisse est cher, ce qui pousse à aller chercher des joueurs à
l'étranger pas trop chers. Maintenant, est-ce un bon calcul? Ca,
c'est autre chose...
Propos recueillis par Stéphane Altyzer
Bernard Challandes express
Votre plat favori: le foie gras.
Votre boisson préférée: la limonade citron.
Votre lieu de vacances préféré: au soleil, sur une île grecque.
Votre qualité: je suis un passionné.
Votre défaut: être toujours insatisfait.
Votre meilleur souvenir: la rencontre avec ma femme et la naissance de mes enfants. En foot, c'est cette 3e place avec les "Titans" à l'Euro 02 en Suisse.
Votre pire souvenir: l'élimination avec les M21 en 06 à Lucerne, où nous avons perdu notre qualification à la dernière minute face à l'Angleterre.
Votre devise: apprendre de ses erreurs et être capable de se relever, de rebondir après un échec.
Le foot, c'est: une passion, mon gagne pain. Dans les mauvais moments, c'est aussi une cause de soucis, de mal-être.
Votre idole: j'admire beaucoup Roger Federer, le joueur et l'homme. J'aime sa façon de vivre le succès et l'échec ainsi que sa faculté d'être toujours au sommet bien qu'il ait tout gagné.
Votre salaire: ça dépend des primes (rires)! Il peut aller de 200'000 francs par année à un peu plus...