Randoald Dessarzin? Ce nom ne vous dit peut-être pas grand-chose
mais ce Jurassien de 44 ans gagne définitivement à être connu.
Entraîneur du BC Boncourt de 1993 à 2007, l'enseignant a conduit le
club ajoulot de la 2e ligue aux sommets de la LNA de basketball
avec pas moins de 5 titres glanés de 2003 à 2006.
Grâce à ce palmarès, il rebondit en 2007 à Dijon, en pro A, pour
devenir le premier coach suisse à officier à l'étranger.Et le voilà
depuis samedi dernier aussi sélectionneur de la Côte d'Ivoire! A
quelques jours de la finale de la Coupe de Suisse, le samedi 18
avril, Randoald Dessarzin évoque son parcours, sa philosophie et
ses défis.
"Ne pas parler de limites aux gens"
tsrsport.ch: Quel souvenir gardez-vous de
votre période au BC Boncourt de 1993 à 2007?
RANDOALD DESSARZIN: Le club avait 13 ans
lorsqu'il avait fait appel à mes services. Il était retombé en 2e
ligue. Nous avions conservé 1 ou 2 anciens pour encadrer une bande
de gamins que je côtoyais dans le cadre des cours de basket
facultatifs à l'école. A partir de là, cela a été une ascension
assez spectaculaire puisqu'en 2003 nous décrochions le titre de
championde Suisse aux dépens de Fribourg Olympic et qu'en 2005 nous
participions à une Coupe d'Europe.
tsrsport.ch: Vous attendiez-vous à une
pareille ascension?
RANDOALD DESSARZIN: J'espérais simplement que ça
marche le mieux possible. Il y avait une partie de rêve. Je
n'allais pas du tout parler de limites aux gens du club. Le but
pour les joueurs était de se mettre au niveau des structures mises
en place par les dirigeants alors que les dirigeants devaient
suivre les résultats des joueurs. Parfois les joueurs sont allés
plus vite que les dirigeants mais je retiens que tout le monde a
fait un bel effort.
"Je ne supporte pas l'idée de ne pas essayer"
tsrsport.ch: Vous parlez très bien
l'anglais. Où l'avez-vous appris?
RANDOALD DESSARZIN: Je suis parti à l'âge de 17
ans aux Etats-Unis dans un lycée dans l'Etat de l'Oklahoma.
tsrsport.ch: A Oklahoma où évolue justement
Thabo Sefolosha en NBA. Le Veveysan est-il l'exception
helvétique?
RANDOALD DESSARZIN: Malheureusement oui. Le but
est d'aller jusqu'au bout de ses limites. Ce n'est pas forcément la
NBA. Il y a assez d'adversité et d'obstacles qui vous rappellent
que tout le monde n'y arrive pas. Moi je ne supporte pas l'idée de
ne pas essayer. Raison pour laquelle j'ai saisi l'opportunité
d'entraîner Dijon en Pro A.J'aurais pu rester tranquillement à
Boncourt tout en enseignant. J'ai eu énormément de plaisir mais je
pouvais difficilement refuser cette offre.
"A Dijon, je suis reparti de zéro au niveau des acquis"
tsrsport.ch: Vos débuts à Dijon en 2007 ont
été délicats avec 1 succès après 9 matches. Avez-vous craint d'être
viré?
RANDOALD DESSARZIN: Oui. Nous avions bâti une
équipe autour de Laurent Sciarra mais il s'était blessé dès la
première rencontre. Avec lui nous avions une équipe de niveau
playoff. Sans lui tout a été plus compliqué. J'ai eu l'appui de
Sciarra et des joueurs. Ceci a freiné les velléités de certains de
me virer. En arrivant à la JDA Dijon, je savais que je repartais à
zéro au niveau des acquis. A Boncourt, la peur d'être viré n'avait
quasiment jamais existé.
tsrsport.ch: A votre arrivée en Pro A,
avez-vous eu le sentiment d'être le petit Suisse, de devoir en
faire beaucoup plus?
RANDOALD DESSARZIN: Oui je pense. Peut-être moins
parce que je suis un entraîneur, peut-être plus parce que ce n'est
que du basket. Je viens d'une nation où le basket est vraiment le
parent pauvre du sport.
Harold Mrazek à Villeurbanne et Thabo Sefolosha à Chalon avaient
évolué en Pro A, moi j'entraîne. Cela n'empêche pas que les Suisses
sont considérés comme des "exotiques".
"Le plus grand restaurant de la ville de Dijon"
tsrsport.ch:
Entre la
LNA et la Pro A y-a-t-il un monde comme on peut le
croire?
RANDOALD DESSARZIN:
En France, on est dans le
professionnalisme total. La prise de conscience est très rapide. On
entre dans une salle de presque 5000 places assises. Ca nous
rappelle que l'on arrive dans une entreprise. A tous les matches à
domicile, on a 2 salons à 200 personnes plus un repas VIP à 350
personnes. Après un match il y a pas moins de 700 personnes qui se
réunissent autour d'un verre et d'une table. Tous les 15 jours, la
JDA Dijon est le plus grand resto de la ville. Les gens veulent
assister au spectacle et puis se retrouver et échanger.
En Suisse, c'est plus précaire. Les dirigeants sont pour la
plupart des bénévoles et exercent leur fonction par passion. Cela
n'empêche pas qu'ils peuvent faire du très bon travail.
tsrsport.ch:
Vous avez été nommé le week-end
dernier entraîneur de la Côte d'Ivoire. Dans quelles circonstances
s'est fait cet engagement?
RANDOALD DESSARZIN:
Tout simplement par le
manager de la Côte d'Ivoire qui habite Strasbourg. Un agent lui a
parlé de moi et lui a proposé de venir me voir coacher.
Un Suisse sélectionneur de la Côte d'Ivoire
tsrsport.ch: Un Suisse qui va entraîner la
Côte d'Ivoire!
RANDOALD DESSARZIN: Une nouvelle opportunité
s'est présentée à moi. Je me réjouis vraiment de relever ce défi.
Je suis conscient aussi de tout le travail que cela va impliquer.
La Côte d'Ivoire à une belle carte à jouer lors de la Coupe
d'Afrique des Nations en août prochain. C'est l'occasion d'ouvrir
son panel de connaissance du milieu, de côtoyer une compétition que
je ne maîtrise a priori pas. C'est très stimulant.
tsrsport.ch: Votre épouse qui est d'origine
africaine doit être ravie.
RANDOALD DESSARZIN: Française d'origine
sénégalaise, elle aurait plutôt préféré que je sois à la tête du
Sénégal mais cela ne s'est pas fait (rires).
tsrsport.ch: Le but sera de qualifier les
"Eléphants" pour la Coupe du monde 2010!
RANDOALD DESSARZIN: Ce sera difficile mais c'est
clairement l'objectif avoué. Si la Côte d'Ivoire réussit à réunir
ses meilleurs joueurs et que dans le même laps de temps les autres
nations ont un petit peu plus de mal, dans ce cas, la Côte d'Ivoire
aura un gros avantage. Mais il faudra aller chercher les joueurs
car ils sont dispersés un peu partout dans les Universités
américaines, dans le championnat de France et en Afrique du
Nord.
La tête dans le guidon
tsrsport.ch: Réalisez-vous tout le chemin
parcouru depuis vos débuts?
RANDOALD DESSARZIN: Pas du tout. Quand on a la
tête dans le guidon, ce n'est pas pour regarder derrière s'il y a
quelqu'un dans la roue mais pour franchir une étape, une ligne
d'arrivée. Le lendemain c'est l'étape suivante. C'est un long Tour
de France avec des ascensions, des étapes où l'on passe un petit
peu au travers.
Le travail de coach c'est un gros soulagement les lendemains de
victoire mais le surlendemain on passe déjà à autre chose. J'ai
fêté mon premier titre en LNA avec Boncourt en 2003. En aucun cas
c'était un motif d'autosatisfaction. Cela reste du sport. J'ai eu
la chance de tomber au bon endroit au bon moment à Boncourt. J'ai
amené ma pierre à l'édifice mais il y a également des joueurs et
des dirigeants qui ont pris des risques. Si on ne prend pas de
risques en sport, on ne les prend nulle part.
propos recueillis par Miguel Bao
"Le joueur suisse peut encore progresser"
tsrsport.ch: Comment vous est née la passion pour le basket?
RANDOALD DESSARZIN: En 1975 à Porrentruy, soit on jouait au football soit on pratiquait un sport individuel. A peu près à cette époque, la patinoire couverte d'Ajoie a été construite mais comme le hockey était un sport un peu coûteux, je me suis tourné vers autre chose. Dans le milieu estudiantin, un petit groupe s'est orienté vers le basket avec un enseignant comme mentor. Nous sommes devenus un groupe d'amis à faire du basket parce que nous n'étions pas nécessairement des fans de foot.
tsrsport.ch: Avez-vous embrassé la carrière d'entraîneur car vous sentiez que vous n'arriveriez pas à atteindre le haut niveau en tant que joueur?
RANDOALD DESSARZIN: Oui, tout simplement. Je n'ai joué que jusqu'à l'âge de 18-19 ans parce que j'ai vite été opéré des genoux. En parallèle à ma formation de prof de sport cela aurait été complètement déraisonnable de faire encore un entraînement quotidien de plus.
tsrsport.ch: Un mot sur le joueur suisse. Sa marge de progression tout comme celle de l'équipe nationale est énorme.
RANDOALD DESSARZIN: Le joueur suisse peut forcément progresser parce qu'il s'est donné ses limites. Quel joueur ou quels parents de joueur est prêt à dire "on se donne une chance d'être basketteur"? Pour les travailleurs et les talentueux il y a toujours de la place, même pour quelqu'un de 1m70.
Harold Mrazek a prouvé que l'on pouvait faire une très belle carrière sans avoir un physique de déménageur. Il y a des joueurs intéressants en Suisse mais je ne suis pas sûr qu'ils aient compris ce que cela implique.
"THABO SEFOLOSHA S'EST VRAIMENT DONNE LES MOYENS DE REUSSIR"
tsrsport.ch: Pour que le Suisse puisse franchir des paliers, cela ne passe-t-il pas forcément par un départ à l'étranger?
RANDOALD DESSARZIN: Je ne sais pas. Ce qui est sûr c'est que la carrière de Thabo Sefolosha a été conditionnée par le fait qu'il soit parti dans un centre de formation en France avant de passer en équipe pro et d'évoluer en Italie. Thabo Sefolosha s'est vraiment donné les moyens de réussir.
Maintenant, je suis convaincu que l'on peut franchir beaucoup de paliers individuellement. Il faut de plus des formateurs. Reste à savoir quelle est la volonté du basket suisse d'investir dans la formation. Dans le cas de Boncourt, je pense que le club récoltera le fruit de son travail de formation dans 7-8 ans. C'est un travail de longue haleine.
"L'ECHEC ME DONNE MAL AU VENTRE"
tsrsport.ch: Comment trouvez-vous l'énergie pour toujours avoir faim de victoires et éviter les coups de pompe?
RANDOALD DESSARZIN: Je la trouve simplement par le jeu et l'esprit de compétition, qui est un peu exacerbé chez moi. J'aime les jeux où l'on peut amener sa petite touche.
tsrsport.ch: On dit que les champions sont des mauvais perdants...
RANDOALD DESSARZIN: j'abhorre la défaite. L'échec me donne mal au ventre.
Randoald Dessarzin express
La première chose faite le matin: j'éteins mon réveil et depuis plus de 30 ans j'ai la même pensée: "ce soir je me couche plus tôt".
Principale qualité: croire en l'homme.
Principal défaut: des fois, je m'en veux d'une certaine forme d'intolérance
Meilleur souvenir: la naissance de mes enfants.
Pire souvenir: la peur du pire avec ma petite fille qui a eu de gros problèmes de santé durant toute sa première année.
Votre idole: aucune mais je suis admiratif de Bruce Springsteen et Sean Penn.
Plat préféré: la nourriture mexicaine, le poisson.
Boisson préférée: le vin.
Lieu de vacances préféré: pourvu que ce soit au bord de la mer.
Votre devise: ce qui ne tue pas rend plus fort.
Le dopage: une honte. Le Tour de France et d'autres sports sont une grande supercherie acceptée.
Salaire: 6'000 euros brut d'impôts par mois.
Palmarès de Randoald Dessarzin avec Boncourt
2003 Champion de Suisse
2004 Champion de Suisse
2005 Vainqueur de la Coupe de Suisse
2005 Vainqueur de la Coupe de la Ligue
2006 Vainqueur de la Coupe de la Ligue