On l'imaginait "chaud bouillant". N'avait-il pas claqué la porte
du FC Sion et de Christian Constantin à la mi-temps d'un match
(ndlr: il a quand même coaché ses hommes jusqu'à la fin du match)?
Or, Nestor Clausen (46 ans), coach de Neuchâtel Xamax depuis ce
printemps, est tout le contraire: calme, chaleureux et surtout
réfléchi.
Certes, le champion du monde 1986 avec l'Argentine se méfie des
médias. Mais une fois le contact établi, l'histoire peut commencer.
C'est que le bonhomme en a à raconter. N'a-t-il pas partagé un bout
de carrière de Diego Maradona? A quelques jours du derby romand
entre Xamax et Sion à la Maladière (3-3), Clausen s'est confié à
tsrsport.ch. Avec une grande honnêteté et une belle sincérité.
Pas de victoire mais beaucoup d'occasions
tsrsport.ch: NE Xamax peine à décoller à
domicile cette saison. Jusque-là, aucun succès fêté devant votre
public...
NESTOR CLAUSEN: Non, mais avec le nombre
d'occasions que nous avons, nous aurions mérité de gagner un match
ou l'autre. Mais ce serait plus grave encore si l'équipe ne gagnait
pas et qu'en plus elle ne parvenait pas à se créer des occasions,
ce qui n'est pas notre cas. En foot, ça tourne vite...
tsrsport.ch: Un derby face à Sion, c'est un
match un peu spécial, non?
NESTOR CLAUSEN: Dans ma tête, Sion est un
adversaire comme un autre. Ces trois points-là auraient la même
valeur que ceux que l'on fêterait contre Aarau. Je ne veux pas
rentrer dans ce jeu-là. Je gagne ma vie grâce au foot, et je suis
payé pour gagner. Contre Sion ou n'importe quelle équipe.
"Quand le match commence, chacun veut gagner"
tsrsport.ch: Mais il y a quand même une
certaine nostalgie face aux Valaisans...
NESTOR CLAUSEN: Disons qu'il y a certains joueurs
que j'ai dirigés, et avec lesquels j'ai encore des contacts. Mais
quand le match commence, chacun veut gagner, et défendre sa place
de travail
tsrsport.ch: NE Xamax ne gagne toujours pas à
domicile. Vous ressentez la pression?
NESTOR CLAUSEN: Pas du tout. J'ai confiance en
mes gars, et en ce que je leur demande d'accomplir. Je comprends
bien qu'on peut gagner ou perdre. Mais il faut parfois en analyser
la manière.
"Certains supporters n'avaient pas compris mon départ de
Sion"
tsrsport.ch: Au Valais, personne ne vous a
oublié, tout comme Stielike à Neuchâtel. Qu'est-ce que cela vous
inspire?
NESTOR CLAUSEN: Ca fait du bien. Ca signifie
qu'on a laissé une trace. Mais parfois, certains supporters ne
comprennent pas notre métier. Ils n'ont ainsi pas compris que je
puisse quitter Sion comme ça (ndlr: il avait annoncé sa démission à
la mi-temps de Chaux-de-Fonds - Sion, en Coupe de Suisse). Chacun
choisit sa façon de vivre. Moi je n'étais pas content et j'ai
décidé de partir.
tsrsport.ch: Est-ce plus difficile
d'entraîner à Neuchâtel, avec un président qui reconnaît ne pas
connaître grand-chose au foot, ou à Sion, où le président a
tendance à se mêler de tout?
NESTOR CLAUSEN: Mais Christian Constantin, il ne
fait pas tout faux non plus! Il connaît le foot, est très passionné
et sait motiver ses troupes. Mais parfois il va trop loin. A Xamax,
c'est différent. Le président Sylvio Bernasconi fait confiance,
nous laisse travailler plus tranquillement. D'ailleurs, on ne sent
pas sa présence. Depuis que je suis là, je ne l'ai jamais vu aux
vestiaires. Toutefois, je suis pro et n'ai pas besoin d'un
président qui vient me dire comment ça marche. Je sais très bien
quand ça va ou pas.
"Avec les joueurs, nous sommes partenaires de travail"
tsrsport.ch:
Vous semblez avoir une relation très amicale avec vos
joueurs...
NESTOR CLAUSEN:
Certains coaches, quand ils
perdent un match, pensent que c'est la fin et se mettent à gueuler.
Pour moi, mes gars, ce sont des copains de travail. Ils savent que
je dois faire une équipe, tirée d'un cadre de 27-28 éléments, et
que tous ne peuvent pas jouer. Ils gagnent leur vie avec ce qu'ils
montrent sur un terrain, et moi la mienne par rapport à ce qu'ils
font eux. Nous sommes partenaires de boulot.
tsrsport.ch:
Vous ne vous énervez donc
pas?
NESTOR CLAUSEN:
Si un gars n'est pas en forme, je
le sors, c'est tout. Engueuler un gars ou le critique dans le
journal, ça ne sert à rien. Il sait s'il a été bon ou pas. C'est au
coach de gérer ça. Il faut être honnête, sincère et ne rien cacher.
Et que le joueur soit un "nom" ne change rien. Ce n'est pas un nom
qui joue, mais la qualité d'un joueur. Et pour maintenir celle-ci,
il faut travailler. C'est donc un cercle.
"Un remplaçant ne doit jamais baisser les bras"
tsrsport.ch: Votre philosophie a toujours
été de privilégier un groupe...
NESTOR CLAUSEN: Je ne suis pas là pour décider
que je ne veux plus l'un ou l'autre joueur. Nous sommes copains de
travail, devons bosser ensemble. L'important, ce ne sont pas les 11
titulaires, mais le groupe. Avec les suspendus et les blessés, ça
peut aller très vite. Il faut bosser avec tous les gars de la même
manière. Car si ce n'est pas la semaine prochaine, un jour ou
l'autre tu auras besoin de tel ou tel gars. Un remplaçant ne doit
donc jamais baisser les bras. Un titulaire doit donc travailler
pour garder sa place, et le remplaçant doit faire le double pour
piquer la place de l'autre.
tsrsport.ch: Avec le départ de "Zubi", Xamax
n'a plus de leader naturel...
NESTOR CLAUSEN: C'est vrai qu'il était important,
qu'il parlait beaucoup. Je l'aurais d'ailleurs bien gardé, mais
bon... De toute façon, j'ai besoin d'un leader sur le terrain, pas
dans les buts. Le gardien est un peu loin... Mais finalement, un
leader, c'est quoi? Il ne faut pas confondre leader et star. Et des
stars, moi je n'en veux pas! Je ne veux pas être dépendant de l'un
ou l'autre joueur. Car le jour où celui-là manque... Etre leader,
c'est quelque chose de naturel, ça ne sert à rien de l'imposer. Et
dans chaque équipe, il y en a plusieurs.
"De toute façon, on ne gagne pas chez nous!"
tsrsport.ch: Uli Stielike estime que le
synthétique, c'est la "mort du foot". Votre avis?
NESTOR CLAUSEN: C'est de toute façon ce que j'ai
à disposition et je ne peux pas le changer. Regardez le FC Bâle: il
est devenu champion en gagnant à Xamax et à YB. Quand tu as de bons
joueurs, tu peux même jouer sur sable! Il est vrai qu'on est
habitué à jouer là-dessus. Mais quand on va sur herbe, on peine...
En même temps, est ce vraiment un avantage? On ne gagne de toute
façon pas chez nous (rires)! Et le synthétique, ça nous joue aussi
des tours lors des transferts. J'avais ainsi pris contact avec un
joueur (ndlr: il refuse d'en donner le nom) qui avait refusé de
venir parce qu'il n'aimait pas le synthétique. Sinon, il serait
venu...
tsrsport.ch: Vous entraînez aujourd'hui
Xamax. Est-ce une étape dans votre carrière?
NESTOR CLAUSEN: On travaille toujours pour gagner
de quoi vivre, mais aussi pour obtenir du prestige. Mon objectif
est de laisser quelque chose partout où je passe. Et une carrière,
ça se construit. Et ce n'est pas parce que j'ai joué pendant 18 ans
que je sais tout. Je continue d'apprendre, tous les jours.
Chaque joueur a reçu un dossier de neuf pages
tsrsport.ch: Devenir entraîneur, c'était un
objectif?
NESTOR CLAUSEN: En 1991/92, à Sion, j'ai commencé
à construire dans ma tête que je voulais devenir coach. J'ai donc
commencé à mettre mes idées sur papier. Et partout où j'ai passé,
j'ai remis ce dossier de neuf pages à mes joueurs. Tout y est noté:
les objectifs, la façon de jouer dans telle ou telle situation,
etc. Ainsi, ce que je demande est la même chose aujourd'hui que
demain et hier. Le foot, c'est facile. Je n'aime pas ce qui est
compliqué!
tsrsport.ch: Votre carrière, vous la voyez
vous mener vers quels horizons?
NESTOR CLAUSEN: J'ai des rêves par palier. Quand
j'étais junior, je rêvais de la première équipe, puis d'un titre,
puis de la sélection... J'ai coaché en Bolivie, à Oman et
maintenant en Suisse. Je construis gentiment. C'est pour ça que je
suis clair avec mes gars: j'ai besoin d'eux pour que mon travail
soit bon. On est copains de travail, je me répète...
Propos recueillis par Daniel Burkhalter
Nestor Clausen express
La première chose que vous faites le matin: je vais aux toilettes.
Votre plat préféré: en Argentine, c'est la viande grillée. Mais ici, en Suisse, j'aime beaucoup la raclette.
Votre boisson favorite: j'aime bien l'eau minérale, mais avec un repas, je serais plutôt pour un verre de rosé.
Lieu de vacances préféré: maintenant que je vis ici, l'Argentine bien sûr.
Votre meilleur souvenir: il y en a beaucoup: mon 1er match pro, le 1er titre, la 1ère sélection nationale, etc.
Votre pire souvenir: le jour où j'ai arrêté de jouer. Mais j'étais bien dans ma tête car je l'avais décidé seul.
Votre idole: la seule idole que l'on puisse avoir, c'est Dieu. Car les idoles font elles aussi des bêtises...
Le foot, pour vous, c'est: une maladie! J'ai parfois l'impression d'être enfermé par le foot. Je vis et pense foot.
Le dopage, c'est: une tricherie! Et parfois on se demande à quoi cela peut bien servir. Prenez Maradona. Pourquoi aurait-il eu besoin de se doper avec ce qu'il pouvait faire sur un terrain?
Votre salaire: 10'000 fr. Personne ne va de toute façon me croire...
"Avec Maradona, il se passait toujours quelque chose"
tsrsport.ch: On oublie parfois que vous avez soulevé la Coupe du monde, en 1986 au Mexique... Un bon souvenir, on imagine.
NESTOR CLAUSEN: Un grand souvenir, assurément. Mais c'était aussi un honneur de pouvoir jouer pour l'Argentine, qui plus est aux côtés d'un certain Maradona. Du fait de sa présence, il se passait toujours beaucoup de choses autour de l'équipe nationale...
tsrsport.ch: Justement, comment était-il, Diego Armando Maradona?
NESTOR CLAUSEN: Il rigolait toujours, c'était un bon gars. Mais j'avais trop de respect pour le déranger. Il avait sa vie, et moi la mienne. C'était un grand joueur. Comme être humain, je ne dis rien. Qui serais-je pour critiquer Maradona? Mais disons que rien n'a jamais été facile pour lui. Il ne pouvait pas sortir dans la rue comme une personne normale. Il avait toujours 100-200 personnes autour de lui. Maradona devait toujours se cacher.
"Il faut avoir du respect pour le football"
tsrsport.ch: Quand on pense à l'Argentine en 1986, on pense le plus souvent à Maradona. Pas trop jaloux?
NESTOR CLAUSEN: Non, jamais. Entrer en compétition avec des copains, ça n'a jamais été mon truc. Je connaissais mes limites et devais donc me concentrer sur mon job. Mais je me sentais être une pièce importante dans l'équipe. En qualifications pour le Mondial, j'ai joué six des sept matches. Aujourd'hui, c'est ça que je retiens: j'ai joué 18 ans au football et me suis toujours préparé pour donner le meilleur de moi sur le terrain. Il faut avoir du respect pour le football et les spectateurs qui paient pour venir nous voir jouer. Parfois, certains ne comprennent pas qu'on puisse gagner sa vie en jouant au foot. A nous de leur prouver que ce n'est pas donné à n'importe qui.
tsrsport.ch: Vous avez encore des contacts avec certains de vos anciens coéquipiers?
NESTOR CLAUSEN: Oui, avec certains comme Jorge Burruchaga, Ricardo Giusti ou Enzo Trossero, même si ce dernier n'avait finalement pas été retenu pour la Coupe du monde au Mexique.