Michel Desjoyeaux, c'est un peu le Roger Federer de la voile.
Son palmarès, le plus complet de la discipline, impose le respect.
Le Français de 43 ans a surtout gagné en février son 2e Vendée
Globe, la compétition la plus longue et sûrement la plus dure: un
tour du monde en solitaire sans escale ni assistance.
Vainqueur de la Solitaire du Figaro (1992/1998/2007), de la Route
du Rhum (2002), de la Transat anglaise (2004) et de la Transat
Jacques Vabre (2007), le Breton a un seul rêve: "poursuivre sa
passion".
Le "professeur", qui a remporté dimanche le 71e Bol d'Or à sa
deuxième participation, donne un avis critique sur son sport.
tsrsport.ch: Que vient faire un marin comme
vous sur le Bol d'Or?
MICHEL DESJOYEAUX: Je suis venu profiter du
paysage et du plan d'eau, mais également pour voir si je peux me
considérer comme un marin d'eau douce... Plus sérieusement, je suis
venu donner un coup de main à Alain Gautier, sur le D35 de Foncia.
Le Bol d'Or est le plus grand rassemblement sur un plan d'eau
fermé. C'est ainsi l'occasion de faire partie d'une grande fête de
la voile.
Je suis présent sur le lac Léman pour la 2e fois. Bien sûr, il y a
de grands noms de la voile cette année, mais ce sont bien les
quelque 500 autres bateaux qui restent le plus important.
"Je vais toujours mettre ma poubelle dans la rue"
tsrsport.ch:
Votre
2e succès au Vendée Globe a-t-il changé quelque chose pour
vous?
MICHEL DESJOYEAUX:
Non, je n'ai pas changé dans
ma manière d'être. Le dimanche soir, je vais toujours mettre ma
poubelle dans la rue... Je n'ai pas gagné la fortune que Federer
vient de remporter à Roland-Garros. Pendant que je vous parle
(ndlr: interview réalisée mercredi), j'attends un avion à Orly et
personne n'est venu m'importuner!
tsrsport.ch:
Quelle est la différence entre
votre sacre de 2001 et celui de 2009?
MICHEL DESJOYEAUX:
Les scénarii sont totalement
improbables. Chaque course est différente. Depuis mon succès en
2001, j'aborde cette épreuve de façon plus libérée et avec plus
d'expérience.
tsrsport.ch:
Quels ont été les facteurs qui
vous ont fait gagner le dernier Vendée?
MICHEL DESJOYEAUX:
C'est un ensemble de petites
choses. C'est avant tout un travail d'équipe et, en premier lieu,
le soutien d'un sponsor qui est convaincu qu'on peut gagner.
L'argent est essentiel pour réussir un tel projet. Je n'en ai pas
eu plus que les autres, mais j'ai peut-être mieux su le gérer.
"On ne sait plus sur quel pied naviguer"
tsrsport.ch: Et la chance dans tout
ça?
MICHEL DESJOYEAUX: Elle fait partie du jeu. Plus
de 80% de la préparation se fait sur la terre. Sur l'eau,on voit la
qualité du travail. Le plus détestable en cas d'abandon est
d'évoquer la malchance au lieu de se remettre en cause.
tsrsport.ch: Justement, les abandons ont été
nombreux lors de l'édition 2008/2009. Peut-on parler de réel danger
pour le marin?
MICHEL DESJOYEAUX: Les abandons, qui font partie
du jeu, ne sont jamais de bonnes nouvelles. Dans une telle
compétition, très dure, il n'y a pas de risque zéro, surtout sur 3
mois de course.
Mais la polémique sur les nombreuses casses était excessive. Entre
les sponsors qui veulent vendre de l'aventure et les organisateurs
qui désirent limiter les risques, on ne sait plus sur quel pied
naviguer. Parfois, j'ai envie de dire à tous d'aller se faire
fou... et de nous laisser faire de la voile. On est humain et on a
nos rêves.
"On ne va pas dans le bon sens"
tsrsport.ch: Comment voyez-vous l'évolution
de ce sport, qui est tout de même cher?
MICHEL DESJOYEAUX: On ne va pas dans le bon sens.
Comme dans d'autres sports, on veut progresser, mais aussi baisser
les coûts. Cela ne marche pas de cette façon. Je comprends les
sponsors qui veulent savoir où ils vont. Mais il vaudrait mieux
laisser les skippers gérer l'argent mis à disposition.
La crise? On doit s'en servir pour rendre la voile rentable. A la
place de réduire les coûts, il nous faut utiliser au mieux les
retombés. La voile n'est pas un sport bien plus cher que le ski. Et
au lieu d'avoir une 2e voiture, les
familles pourraient avoir un bateau!
Conflit Alinghi-Oracle: comme des enfants dans une cour
d'école
tsrsport.ch:
Une
victoire au Vendée Globe vous rapporte-t-elle beaucoup?
MICHEL DESJOYEAUX:
Quand je parle de cela, la
plupart des personnes me répondent que ce n'est pas normal que je
gagne aussi peu, par rapport à d'autres sports. Mais je vis ma
passion à fond. Je fais ce que j'aime grâce à des gens qui
financent mes jouets! Si je faisais cela pour l'argent, j'aurais
peut-être un comportement différent...
Bien sûr, on aimerait avoir plus de moyens pour rendre la voile
plus médiatique. Mais à part faire le pitre à la TV ou faire des
régates proches de la côte pour le public, il n'y a pas beaucoup de
solutions pour se développer. Reste que la voile possède de fidèles
passionnés. A mon arrivée aux Sables d'Olonne, une dame est venue
me dire: "merci de nous avoir fait rêver durant cet hiver trop
long".
tsrsport.ch:
Quand vous voyez la guerre
judiciaire entre Alinghi et Oracle en Coupe de l'América, que vous
dites-vous?
MICHEL DESJOYEAUX:
C'est une querelle d'égos
entre milliardaires, qui sont comme des enfants dans une cour
d'école. Quand on voit cela, il vaut mieux être avocat que marin...
C'est certain que cela ne fait pas de publicité pour la voile.
C'est du gâchis pour le sport de voir tout cet argent dépensé pour
régler leurs affaires aux tribunaux.
"La mer accepte tout et digère tout"
tsrsport.ch: Vous avez le privilège de voir
des zones peu fréquentées. Après tout ce qu'on entend, quel est
votre avis sur l'état de la planète?
MICHEL DESJOYEAUX: Elle ne va pas si mal que
cela! Mais la mer accepte tout et digère tout. Nous devons
continuer à prendre conscience que nous ne pouvons pas poursuivre
comme cela.
Mais je ne me considère pas comme un porte-parole ou un exemple.
La voile est un sport propre quand on est sur l'eau. Ce n'est pas
le cas des matériaux qu'on utilise pour faire le bateau. Sur ce
sujet, je suis comme tout le monde. J'essaie d'être irréprochable,
en gaspillant le moins possible.
propos recueillis par Sébastien Clément
Michel Desjoyeaux express
Votre surnom: le professeur, car au départ d'un des "Figaro" j'allais sur les autres bateaux pour donner des conseils à mes concurrents. Mais je l'assume.
La première chose que vous faites le matin: j'ouvre les yeux.
Principale qualité: de supporter mes défauts.
Principal défaut: j'en ai trop et je n'aimerais pas les dire à mes rivaux.
Meilleur souvenir: de m'être levé ce matin.
Pire souvenir: j'ai oublié.
Lieu de vacances préféré: Seychelles.
Plat préféré: la langoustine fraîche et cuite à bord si possible.
Pourquoi avoir choisi la voile: car je ne sais rien faire d'autre.
Si vous n'aviez pas été marin: j'aurais essayé d'être rugbyman. Sinon, j'aurais continué comme ingénieur.
Votre devise: je défends les gens qui créent, pas ceux qui râlent pour râler.
Le dopage: une belle connerie.
Votre salaire: sur mes fiches de paie, il est inscrit 5'000 euros. Mais j'ai une petite entreprise qui me rapporte 3 voire 4 fois plus par mois.
L'actualité que vous suivez le plus: je regarde tout, mais ce qui m'intéresse le plus en ce moment est le feuilleton sur la F1 et toute la problématique autour des sports mécaniques.
Michel Desjoyeaux en bref
Michel Desjoyeaux en bref
Né le 16 juillet 1965 à Concarneau.
Vie maritale, trois enfants.
Réside à Port-la-Forêt.
Palmarès
- Vainqueur du Vendée Globe, la course autour du monde en solitaire sans escale en 2001 (sur PRB) et en 2009 (sur Foncia).
- Vainqueur de la Solitaire du Figaro (1992, 1998 et 2007).
- Vainqueur de la Route du Rhum en 2002 sur le trimaran Géant.
- Vainqueur de la Transat anglaise 2004 sur Géant.
- Vainqueur de la Transat Jacques Vabre en double 2007 (avec Manu Le Borgne) sur Foncia.
- Vainqueur de la Transat en double AG2R 1992 (avec Jacques Caraës) sur Sill Plein Fruit.
- Vainqueur de la Twostar 1990 (avec Jean Maurel) sur Elf Aquitaine III.