Dès sa plus tendre enfance, Edmond Isoz (60 ans) a toujours été
un passionné de foot. Formé à Carouge, il a vécu une promotion en
LNB avec le club genevois avant de prendre le chemin de Sion, où il
a évolué 8 ans au plus haut niveau.
Depuis 1993, ce Vaudois est à la tête de la Swiss Football League
(SFL). Il a ainsi pu vivre l'ascension irrésistible de son sport
vers les sommets, avec toutes les dérives qui l'accompagnent.
Matches truqués, main de Henry, hooliganisme, le petit monde du
ballon rond est actuellement dans tous ses états. Est-ce grave
docteur? Edmond Isoz s'est penché sur le patient.
"Il faut éradiquer la tricherie organisée"
tsrsport.ch: Le mal est-il profond dans le
foot ou n'est-ce qu'une crise passagère?
EDMOND ISOZ: Le foot est victime de son succès.
C'est vrai que ce sport génère beaucoup d'argent. Plus il y a
d'argent, plus il y a de tentations et plus il y a de risques. Mais
je peux également citer des événements heureux avec les M17
champions du monde ou la Suisse qualifiée pour le Mondial
2010.
tsrsport.ch: Des matches qui sont truqués, ça
ne date pas d'hier...
EDMOND ISOZ: Effectivement, des cas similaires se
sont produits il y a plus de 20 ans en Italie. Tant qu'il y aura
des hommes, il y aura de la tricherie. Ce qu'il faut absolument
éviter, c'est la tricherie organisée, qui doit être
sanctionnée.
tsrsport.ch: Peut-on réellement éviter que
des rencontres soient truquées?
EDMOND ISOZ: Il faut être plus attentif. Les
clubs doivent préciser ces éléments-là dans les contrats de travail
et parler régulièrement avec leurs joueurs. C'est évident que la
tentation est plus grande pour des joueurs évoluant dans des ligues
inférieures, comme la Challenge League, où les salaires ne sont pas
exceptionnels.
tsrsport.ch: Lorsqu'un joueur de Challenge
League voit les sommes que touchent certains, on peut comprendre
qu'il craque. C'est humain.
EDMOND ISOZ: Non, l'éthique c'est l'éthique. Un
employé de banque qui voit son chef gagner plus que lui ne fait pas
forcément de l'escroquerie.
tsrsport.ch: S'il y a un score fleuve ou un
gardien qui fait une bourde, des questions vont se poser
dorénavant...
EDMOND ISOZ: C'est vrai qu'il y a des risques au
niveau de la crédibilité du foot. Il faut se poser des questions.
On ne s'en est sans doute pas assez posé avant. Pendant une
période, on s'en posera peut-être trop. Mieux vaut prévenir que
guérir dans ce domaine.
"Henry devrait être suspendu pour 3 matches"
tsrsport.ch:
L'autre fléau du foot, c'est la tricherie des joueurs sur le
terrain. Les instances ne doivent-elle pas plus sanctionner sur la
base d'images vidéo?
EDMOND ISOZ:
L'UEFA l'a fait en 2007 dans un
match qualificatif pour l'Euro. Un joueur qui avait simulé un
penalty a écopé de 2 matches. Quant à Henry, c'est dommage que la
FIFA ne dispose pas d'un arsenal pour le punir. Il devrait être
suspendu pour les 3 premiers matches du Mondial. Ca me laisse un
goût d'inachevé. S'il y avait eu une sanction, il y aurait quand
même eu une certaine justice (ndlr: une enquête sur Henry a été
ouverte par l'instance disciplinaire de la FIFA, qui est
indépendante).
tsrsport.ch:
Mais dans le fond, la FIFA ne
peut pas ou ne veut pas suspendre Henry?
EDMOND ISOZ:
J'ai discuté avec certaines
personnes de la FIFA, les opinions sont partagées. Ce n'est pas
très clair.
tsrsport.ch:
En Suisse, vous avez déjà
sanctionné des joueurs grâce à la vidéo.
EDMOND ISOZ:
Oui, je me souviens qu'un joueur a
été suspendu pour 2 matches après avoir plongé dans les 16
mètres.
tsrsport.ch:
Mais 2 matches, ce n'est pas
vraiment dissuasif. Ne faudrait-il pas 10 matches de suspension si
on veut mettre un terme à ce genre de tricherie?
EDMOND ISOZ:
C'est déjà beaucoup 2 matches si
c'est un joueur important. L'essentiel, c'est que la sanction soit
conforme aux règles. Il faut quand même avoir une certaine
mesure.
tsrsport.ch:
On veut un sport propre. Quand
on voit les magouilles et autres dans la société, n'est-ce pas trop
en demander?
EDMOND ISOZ:
Probablement qu'on lui en demande
trop mais il a un devoir. Les personnes qui le pratiquent et le
dirigent ont une responsabilité: transmettre un certain nombre de
valeurs éthiques et inculquer le respect de l'autre.
tsrsport.ch:
On dit d'un joueur qui obtient
un penalty douteux qu'il est rusé. Triste image pour la jeunesse,
non?
EDMOND ISOZ:
Oui, c'est déplorable. L'entraîneur
a un rôle important à jouer à ce niveau-là. C'est également le rôle
des éducateurs qui doivent transmettre certaines valeurs aux
joueurs.
"Le hooliganisme est du ressort de la police"
tsrsport.ch:
En Suisse, il y a actuellement un problème de hooliganisme.
Quasiment chaque week-end est émaillé par des incidents. Que
faire?
EDMOND ISOZ:
Les clubs et la Ligue se sont rendus
compte que ce problème dépasse leurs compétences. C'est une affaire
de la police et de l'ordre public. En Suisse, nous ne savons pas
faire face à une certaine forme de violence. On l'a encore vu
samedi passé lors des manifestations à Genève. Notre pays a
longtemps été un havre de paix. Nous avons toujours pensé que nous
étions mieux que les autres et que ce qui se passait ailleurs ne se
produirait pas chez nous. Nous avons été rattrapés par la
réalité.
tsrsport.ch:
Le FC Zurich ne vend plus de
billet à ses fans pour les matches à l'extérieur. Christian
Constantin souhaite que les rencontres se déroulent sans supporters
adverses. Est-ce la solution?
EDMOND ISOZ:
Ce qui est regrettable, c'est que
cette décision prise par le président de Zurich ne soit pas
coordonnée. Si on veut procéder de cette manière, il faut que tous
les clubs agissent ensemble, et en même temps. Ce n'est pas le cas
actuellement, c'est un peu dommage. Mais je comprends les clubs.
Quand, pour certains matches, les coûts de sécurité sont plus
élevés que les recettes de spectateurs, ça n'a plus de sens de
jouer au football. On a même vu cette saison en Coupe des clubs
renoncer à leur droit d'évoluer à domicile en raison des coûts liés
à la sécurité.
Propos recueillis par Stéphane Altyzer
"Jeandupeux et Blazevic m'ont beaucoup appris"
tsrsport.ch: Les plus jeunes ignorent peut-être que vous avez joué durant 8 ans en LNA. C'était au FC Sion entre 1973 et 1981. Quels souvenirs en gardez-vous?
EDMOND ISOZ: Ce que je retiens surtout, c'est la chaleur et la ferveur du public valaisan. C'était incroyable. J'ai eu la chance de gagner deux Coupes de Suisse avec le FC Sion, ça reste des souvenirs inoubliables. D'ailleurs, j'ai conservé beaucoup d'amis en Valais. J'ai également beaucoup appris sur le football avec des entraîneurs comme Daniel Jeandupeux ou Miroslav Blazevic. C'était des personnages. Tout ça vous enrichit dans votre existence et vous aide ensuite à faire un parcours personnel.
tsrsport.ch: Depuis 1993, vous êtes à la tête de la SFL. Quel regard portez-vous sur cette période?
EDMOND ISOZ: D'abord, je suis un privilégié car j'ai pu faire de ma passion d'enfance mon métier. J'ai proposé des idées novatrices comme le label de formation que les clubs ont mis en place dans les années 1990, et qui est à la base aujourd'hui du résultat des M17. C'est le principal élément. Il y a eu les réformes de la Ligue, la protection des jeunes joueurs et d'autres domaines où j'ai joué un rôle important. Mon objectif est que le foot suisse soit de la meilleure qualité possible, le plus compétitif possible et le plus attractif possible pour les spectateurs. Si on arrive à peu près à ça, c'est que j'ai bien fait mon travail.
Edmond Isoz express
Plat préféré: entrecôte à la Florentine.
Boisson préférée: un bon verre de vin rouge, corsé et charpenté.
Lieu de vacances préféré: Le Cap, en Afrique du Sud. J'y suis allé une fois en été, c'était absolument magnifique.
Sportif préféré: Roger Federer et dans le passé, Mohammed Ali.
Footballeur préféré: Michel Platini. C'était le joueur le plus intelligent. Il a fait une grande carrière avec des moyens physiques limités. J'ai également beaucoup apprécié Johann Cruyff.
Principale qualité: un peu visionnaire quand même avec d'assez fortes valeurs éthiques et la défense de principes bien établis.
Principal défaut: impatient et quelques difficultés à accepter la critique.
Meilleur souvenir: la victoire en Coupe avec le FC Sion en 1980. Et également l'organisation de l'Euro M21 en 2002.
Pire souvenir: un match perdu avec Sion en Coupe d'Europe sur le terrain de la Lazio Rome en 1973. Après 20 minutes, on perdait 3-0 avec deux buts sur des penalties très discutables. L'arbitre avait bien aidé les Italiens...
Le dopage, c'est: un fléau. Je pense que dans le foot ce n'est pas nécessaire. Mais quand on voit certains tests médicaux réalisés vers la fin des années 1990, on peut se poser un certain nombre de questions. Actuellement, on doit faire attention à ne pas surcharger le calendrier si on veut que les joueurs ne prennent pas de substance.
Le foot, c'est: la vie.
Si pas dans le monde du foot: journaliste ou avocat.
Votre salaire: suffisamment bien payé.