Modifié

Bertrand Duboux est notre invité du lundi

Bertrand Duboux a notamment couvert 30 Tours de France
Bertrand Duboux a notamment couvert 30 Tours de France
Bertrand Duboux a commenté non sans une certaine émotion samedi passé sa dernière course cycliste en direct. Le Vaudois revient sur une carrière riche en événements.

"C'est ma-gni-fi-que!", "c'est un scan-da-le la réalisation!" ou
"c'est une véritable ca-tas-tro-phe!". Ces envolées lyriques bien
senties parties tout droit du coeur et du fond des tripes de
Bertrand Duboux resteront parmi les grands moments de la
télévision.



Après son dernier commentaire en direct, samedi dernier lors du
Tour de Lombardie, le Lausannois de bientôt 60 ans sera à
disposition du Département des Sports de la tsr jusqu'au 31 mars
2008, date à laquelle il prendra sa retraite.



Bertrand Duboux compte notamment à son actif 30 Tours de France, 3
saisons à commenter le ski et 8 Jeux Olympiques. Interview.

"Un de mes premiers directs? Pas un bon souvenir"

TXT: Le fait de ne plus faire de direct ne
va-t-il pas vous manquer?



BERTRAND DUBOUX: Probablement
car le reportage en direct est quelque chose de très intense.
Peut-être l'est-il plus dans la boxe que dans le cyclisme car la
tension et les émotions y sont plus grandes. Il y a dans la boxe un
côté instantané qui rend ce sport magique.



Je constate que le cyclisme est sur la mauvaise pente. J'aurai
vécu les belles années. J'ai été un privilégié. Je veux partir avec
cette image. Plus je vais attendre, plus le cyclisme va s'enfoncer.
Les affaires ne sont pas prêtes de s'arrêter. Je suis un peu
désabusé, désenchanté. Les vraies valeurs s'envolent. Je ne me
reconnais pas là-dedans.



- Un souvenir de votre premier direct?



BERTRAND DUBOUX: Pour un de mes premiers directs,
j'ai commenté Milan-San Remo en 1980 en cabine à Genève. La
réalisation de la RAI était une catastrophe. Elle avait coupé
l'arrivée au sprint! Du coup, il m'était impossible de donner le
nom du vainqueur! Vous comprenez pourquoi je n'en garde pas un bon
souvenir.



- Comment expliquez-vous que malgré les nombreuses affaires de
dopage, les audiences TV soient bonnes?




BERTRAND DUBOUX: Au Tour de France, la tsr a
toujours soutenu la comparaison avec France 2/3. Ca fait plaisir
parce que nos moyens étaient dérisoires par rapport aux grands
concurrents. Il faut croire que les téléspectateurs aiment qu'on
leur tienne un certain discours.



J'ai eu la chance de tomber sur une génération suisse qui a joué
les premiers rôles à partir des années 80. Il y a eu Demierre,
Gisiger, Zimmermann, Maechler, Richard, Gianetti, Zuelle, Rominger,
Dufaux. Il y en avait presque trop. Même si je veux croire que
c'était une génération spontanée, je ne peux pas m'empêcher de
penser qu'il y en a certains qui ont été fabriqués à coups de
produits.



- Alors qu'il était organisateur du Tour de Suisse, Marc Biver
avait déclaré que somme toute le public finissait par oublier les
affaires de dopage.




BERTRAND DUBOUX: C'est grave de tenir un tel
discours. Cela laisse entendre qu'il est complice de la situation.
Partout où il est passé, il a laissé un champ de ruine. Je l'ai
critiqué ouvertement plusieurs fois. Il ne le supportait pas et a
demandé à maintes reprises ma tête à la direction de la tsr.
L'histoire démontre que c'est plus moi que lui qui ai eu plus
raison.

"A l'époque, nous pouvions entrer dans les chambres"

- En tant qu'ambassadeur du cyclisme à la TSR, vous
êtes-vous senti trahi lorsque les affaires ont éclaté?




BERTRAND DUBOUX: Le terme 'trahison' est trop
fort. Mais il est vrai qu'on a donné à certains coureurs une
exposition médiatique. Ils nous ont fait vibrer et puis on se rend
compte qu'ils ont trempé dans le dopage. C'est dur...



A l'époque, le cyclisme était beaucoup plus accessible. Je
connaissais très bien Roche, Kelly, Hinault, Fignon. Nous pouvions
entrer dans leurs chambres. Depuis l'affaire Festina en 1998, les
portes sont fermées à double tour. Les contacts ne sont plus aussi
directs et privilégiés.



- Votre relation avec le cyclisme a visiblement
changé.




BERTRAND DUBOUX: J'aime toujours le vélo mais
différemment. Le métier de journaliste est devenu plus compliqué en
raison du dopage. De nos jours, il faut quasiment avoir suivi une
formation de médecin, pharmacien, biologiste, chimiste et juriste.
Le cyclisme a longtemps été le mouton noir du dopage mais l'on
s'aperçoit que presque toutes les disciplines sont touchées. Ce
n'est pas une revanche mais une triste constatation.



- On imagine qu'à l'époque il y avait aussi du dopage dans le
vélo...




BERTRAND DUBOUX: Il y en avait mais c'était du
bricolage. Dans les années 70 on parlait de cortisone. Ainsi par
exemple, Eddy Merckx s'était fait attraper au Tour d'Italie
1969.

"L'argent fausse tout"

- A qui ou quoi attribuez-vous
la faute du dopage dans le cyclisme
?



BERTRAND DUBOUX:

L'argent fausse tout. Quand on
sait ce que touchent certains footballeurs, c'est tout simplement
indécent par rapport au travail d'un grand chirurgien. Il y a du
dopage dans le sport car il y a de l'argent à gagner. A mon avis,
l'UCI a fermé les yeux pendant trop longtemps. Puis le problème est
devenu trop profond.



Dans les années 60-70, le dopage existait. Tom Simpson est mort en
1967 sur les pentes du Mont Ventoux par excès d'amphétamines.
Chaleur, fatigue et amphétamines ont eu raison de lui. Jacques
Anquetil (ndlr : vainqueur de 5 Tours de France entre 1957 et 1964)
menait la guerre aux contrôles antidopage. Il s'était rendu compte
que pédaler pendant 3 semaines à un niveau exceptionnel sur le Tour
de France était impossible en ne consommant que de l'eau
plate.



Le problème du vélo est que pratiquement tous les responsables
d'équipes actuels sont d'anciens coureurs, chargés ou pas, qui ont
connu le dopage. Tant que ces gens resteront dans le milieu, le
cyclisme ne changera pas. Le cyclisme est actuellement décapité.
Ullrich, Basso, Heras, Landis, Vinokourov, Kashechkin, Di Luca,
Sinkevitz...: ce sont tous des coureurs interdits ou
suspendus.



- Cela signifie donc que l'UCI et les fédérations font le
ménage
.



BERTRAND DUBOUX:

Oui dans une certaine manière.
Par contre, on peut se poser certaines questions. Di Luca a été
blanchi dans l'affaire "Oil for drugs" mais suspendu 3 mois car il
a eu des contacts téléphoniques avec un médecin italien qui a une
mauvaise réputation... C'est de la paranoïa.



Et Rasmussen, encore maillot jaune du Tour de France à 4 jours de
l'arrivée? Sur la base des règlements en vigueur, ce qu'on a fait
au coureur Danois lors du dernier Tour de France est un scandale.
Il a sûrement commis des erreurs. En attendant, il s'est soumis à
de nombreux contrôles avant et pendant la course. Tous négatifs.
Les organisateurs ont fait pression sur le manager de l'équipe
Rabobank pour retirer Rasmussen de la course. Peut-être bien que
Rasmussen a bénéficié d'un produit indétectable. Mais comment
peut-on punir un coureur sans preuve?

"Armstrong? La plus grosse escroquerie de la décennie"

- On en revient à Lance Armstrong...



BERTRAND DUBOUX: L'Américain a traîné des
casseroles beaucoup plus importantes que Rasmussen. Et pourtant
Armstrong a remporté 7 Tours de France et est devenu millionnaire.
Lance Armstrong est la plus grosse escroquerie sportive de la
décennie. C'est un usurpateur. Il y a des preuves rétroactives à
son sujet lors du Tour de France 1999. Ce n'est pas possible de
gagner 7 Tours de France sans jamais avoir une seule défaillance.
Je suis d'accord que c'était un grand professionnel et qu'il
préparait très bien ses courses mais il a tout de même abusé tout
le monde. Ca me rend malade.



- Le 7 juillet 2007, Fabian Cancellara remportait le prologue
du Tour de France à Londres. Lors du direct, vous aviez espéré de
tout coeur qu'il n'y ait "pas de mauvaise surprise lors du contrôle
antidopage". Il règne un climat général et permanent de
suspicion.




BERTRAND DUBOUX: J'avais peur pour Cancellara car
il avait mis 13" au 2e sur un prologue de seulement 7,9 km.
D'habitude, cela se joue à une demi-seconde. Il faut bien savoir
que le cyclisme suisse est suspendu à Fabian. S'il trempe dans une
affaire de dopage, il n'y aura plus d'image de cyclisme sur les
chaînes suisses. Cela pourrait être le coup de grâce du cyclisme
suisse.



- S'il faut chercher des éléments positifs dans le cyclisme, où
sont-ils?



BERTRAND DUBOUX: Il y a une nouvelle génération
qui a pris conscience du problème. Des coureurs comme Johann
Tschopp sont l'avenir du vélo. Tschopp est un pur de pur. Il faut
miser sur des éléments de ce genre. Mais jusqu'où pourront-ils
aller contre des coureurs chargés?



Le cyclisme est un sport très dur où la récupération joue un rôle
très important. A partir de ce constat, à mon avis, il est tout à
fait possible de disputer un Tour de France sans user de produits
interdits. Par contre, les coureurs ne pourront pas rouler à
41km/h. Mais qui a placé si haut cette moyenne ? C'est Armstrong
qui a battu tous les records. A partir de son avènement, le
cyclisme a complètement dérivé.

"Aux Jeux de Séoul, Delamuraz avait bravé le protocole!"

- Pour conclure, une anecdote?



BERTRAND DUBOUX: Lors des Jeux Olympiques de
Séoul en 1988, j'avais fait un sujet sur Jean-Pascal Delamuraz qui
était en visite dans le village olympique. Le cameraman et moi-même
avions raté le convoi de limousines et motos car nous étions
bloqués par les différents contrôles de sécurité.



Nous avions tourné notre sujet mais il nous manquait l'arrivée de
Delamuraz en voiture. Alors j'ai demandé s'il était possible à
Delamuraz de refaire un passage en convoi officiel. Très
décontracté, il a accepté de faire un tour spécial. Nous n'avions
pas intérêt à rater notre plan (rire). Départ du convoi: 3 voitures
officielles avec les drapeaux suisse, 4 motos... Lorsque Delamuraz
est passé exprès devant nous, il a baissé la vitre et nous a salués
de la main. Ce monsieur a bravé le protocole dans un pays étranger,
qui plus est en Corée! J'étais fier d'être Suisse.



TXT. Propos recueillis par Miguel Bao

Publié Modifié

Huit Jeux à son actif

Bertrand Duboux est né le 21 mars 1948 à Lausanne. Journaliste professionnel depuis 1973, il entre au Département des Sports de la TSR en janvier 1978, après y avoir collaboré comme pigiste. Il est depuis le commentateur de direct attitré du cyclisme et de la boxe.

Bertrand Duboux a couvert 35 Tour de Romandie, 30 Tour de France, 25 Tour de Suisse et 8 Jeux Olympiques. Il est aussi à l'origine de nombreux reportages, dont:

- Les petits nains de la montagne (1983, bronze au Festival du film sportif de Rouen)

- La Patrouille des glaciers (1990, mention au Festival du film de montagne de Trente)

- 40 ans de sport à la TSR (émission rétrospective en 1994, durée 2h30)

- 50 ans de Tour de Romandie (rétrospective de 1947 à 1996, durée 75 minutes)

- Les médaillés suisses aux JO d'hiver, de 1924 à 1994 (durée 90 minutes, janvier 1998)

- Temps Présent : l'abus de sport nuit gravement à la santé (avril 2002, durée 50 minutes)

- Ferdi National Kubler : portrait et documentaire co-réalisé avec Anne Cuneo (juin 2003, durée 53 minutes)

- Temps Présent : peut-on (encore) sauver le ski suisse ? (février 2005, durée 30 min.)

- Tour de Romandie, années 1997 à 2006 (rétrospective, durée 37'15)

En outre, il est l'instigateur de trois réunions de boxe "professionnels" (1993) qui se sont déroulées en direct au studio 4 de la tsr.

Bertrand Duboux a également collaboré avec la RSR et plusieurs publications, dont la "Feuille d'Avis de Lausanne", le "Journal de Genève", "Semaine sportive", "Editions Rencontre", "Exploits sportifs", "Info Dimanche", "Dimanche.ch" et "Vélo romand".

En mai 2003, Bertrand Duboux a publié "Carnets de route, Tour et détours" (Editions Slatkine), puis "Un siècle de boxe en Suisse" (à compte d'auteur) en 2005.

Bertrand Duboux express

La première chose que vous faites le matin: j'ouvre les yeux

Votre meilleur souvenir: peut-être le succès de Pascal Richard à Briançon en 1989

Votre pire souvenir: commenter les morts en direct de Fabio Casartelli, en 1995 dans les Pyrénées, et d'Ulrike Maier à Garmisch Partenkirchen, en 1994

Un de vos plus grands regrets: ne pas avoir commenté le titre olympique de Pascal Richard, à Atlanta

Pour vous le cyclisme c'est: compagnonnage, aventure, copains à la "Brassens"

Si vous n'aviez pas été journaliste: petit, je voulais être soit footballeur professionnel, soit chasseur d'éléphants, soit pilote d'avions

Votre devise: la Romandie, une autre Suisse

Le dopage c'est: une grangrène

Votre idole: Cassius Clay

Principale qualité: une certaine sincérité

Principal défaut: mon impulsivité

Votre salaire: bien mérité

Galerie photos de Bertrand Duboux