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Bernhard Russi: Je "m'inquiète" pour Défago

Bernhard Russi "dessine" les pistes olympiques depuis 1988. [Alessandro Della Bella]
Bernhard Russi "dessine" les pistes olympiques depuis 1988. - [Alessandro Della Bella]
S'il en est un qui se réjouit que les JO de Sotchi s'ouvrent, c'est bien Bernhard Russi (65 ans), "architecte" des pistes olympiques de ski depuis 1988. "Ca fait 8 ans qu'on travaille sur ce projet, donc oui, ça fait plaisir que ça commence enfin", lance le champion olympique de descente 1972, qui s'est confié à RTSsport.ch.

L'Uranais se montre d'ailleurs particulièrement emballé à l'évocation de ces JO, et ce malgré les sempiternelles questions liées à la sécurité dans la région. Car Bernhard s'y sent forcément bien en Russie...

Depuis St-Moritz, où la Coupe du monde fait escale ce week-end, l'homme aux 10 succès sur le Cirque blanc (9 descentes, 1 géant) fait le point par téléphone. "Sa" piste, les favoris, sa relation avec le président russe Poutine, il nous raconte tout.

RTSsport.ch:Cela fait près de 8 ans que vous êtes impliqué dans le projet Sotchi. Combien de temps avez-vous passé là-bas? Avez-vous eu des problèmes?

BERNHARD RUSSI: Je pense avoir passé environ 100 jours sur place. Au début, c'était évidemment difficile pour tout ce qui touchait à la communication. Après, il a fallu que les différentes parties impliquées dans notre projet de piste y adhèrent. Il y a donc eu une certaine part d'éducation. Mais dans l'ensemble, tout s'est bien passé.

"Paul Accola a géré toute la partie délicate de la piste"

RTSsport.ch:Et vous avez eu le renfort de l'ex-skieur grison et désormais machiniste Paul Accola!

L'ex-champion de ski Paul Accola a participé à la construction de la piste olympique. [EQ Images - Marcel Giger]
L'ex-champion de ski Paul Accola a participé à la construction de la piste olympique. [EQ Images - Marcel Giger]

BERNHARD RUSSI:

Il m'a effectivement beaucoup aidé pour la construction des pistes. En fait, la compagnie turque qui faisait les travaux ne voulait pas s'aventurer avec des machines de chantier sur des terrains plus raides que 50%. Elle préférait alors plutôt y construire une route à travers. Pour moi, il en était hors de question. J'ai donc demandé l'avis de Paul Accola et il est venu faire une "démonstration". Au final, c'est lui qui a géré toute la partie délicate!

RTSsport.ch:Finalement, quand on dessine une nouvelle piste olympique, on la destine à un type de skieur en particulier?

BERNHARD RUSSI: Non, pas vraiment. Juste aux meilleurs skieurs du monde. Ceux qui sont à la fois très techniques et... qui n'ont pas froid aux yeux!

Une victoire de Beat Feuz? "Ce serait une énorme surprise"

RTSsport.ch:Quels seraient vos favoris pour la descente messieurs? Beat Feuz, qui a remporté la "répétition générale" il y a 2 ans, en ferait-il partie?

BERNHARD RUSSI: Vous savez, le loto ce n'est pas trop mon truc... Tous les membres du top-7 mondial actuel sont des vainqueurs potentiels, mais les surprises sont toujours possibles...

Feuz? Le fait qu'il ait déjà gagné à Sotchi constitue évidemment un avantage. Il a un excellent souvenir de cette piste, et un brin de confiance en plus. Après, il n'a pas beaucoup de kilomètres sur les skis et il est toujours un peu blessé. Mais à 100% il aurait la bonne recette et le bon profil pour gagner. Ce qui serait tout de même une énorme surprise!

RTSsport.ch:Et que pensez-vous des autres Suisses? Etes-vous surpris par leur bonne saison actuelle?

BERNHARD RUSSI: Ca fait 2-3 ans que je dis que Patrick Küng a toutes les cartes en mains pour jouer les premiers rôles. Cette saison, il les abat enfin. Je suis également heureux du retour au 1er plan de Carlo Janka, même s'il n'est pas encore au niveau de 2009/10. Enfin, peut-être qu'il se réserve pour les JO.

Pour ce qui est de Didier Défago, c'est vraiment l'homme des victoires inattendues. Il l'a encore prouvé en super-G à Kitzbühel. Ce SG n'était certes pas difficile, mais il fallait le skier de manière propre et vite, ce qu'il a fait.

"Défago sera champion olympique de descente à vie"

RTSsport.ch:Peut-on donc imaginer Défago conserver son titre de champion olympique de descente en Russie?

Bernhard Russi dans les années 70. Une autre époque... [KEYSTONE - Str]
Bernhard Russi dans les années 70. Une autre époque... [KEYSTONE - Str]

BERNHARD RUSSI:

Attention, un titre olympique se garde! Défago sera champion olympique de descente à vie! Après, même si j'en ai été tout près à Innsbruck (2e) après Sapporo, personne n'a jamais gagné l'or olympique en descente 2 fois de suite. C'est d'ailleurs pratiquement impossible en descente, puisque tout dépend aussi des conditions météo, du vent, du soleil, etc. Ce n'est pas comme en slalom ou en géant, où tout ne dépend que de toi, de ta façon de gérer la course!

Ce qui "m'inquiète" pour "Déf", c'est qu'il a gagné à "Kitz" et sera donc considéré comme l'un des favoris à Sotchi. Or il ne gagne que quand il sort de nulle part (rires)!

RTSsport.ch: On parle beaucoup de sécurité en vue des JO. Vous qui connaissez bien la région, la peur est-elle de rigueur? Quels conseils donneriez-vous?

BERNHARD RUSSI: La peur n'est certainement pas le bon remède, et elle n'aide en tout cas pas à gagner! Franchement, je n'ai jamais craint pour ma sécurité là-bas. Je conseille juste aux gens d'avoir de la patience, et de ne pas s'inquiéter si les Russes ne sont pas si ouverts que ça au début. Après quelque temps, ils sont très chaleureux, je vous le promets!

"Vladimir Poutine est très sympa"

RTSsport.ch:Vous avez aussi dîné 2 fois avec Vladimir Poutine. Comment est-il?

BERNHARD RUSSI: Moi je l'ai trouvé sympa, même si on a surtout parlé sport. Nous avions donc des intérêts communs. Sinon, il écoute beaucoup ce qu'on a à lui dire, et comme il parle très bien allemand, nous n'avons eu aucun problème de communication.

RTSsport.ch:Quel sera votre rôle à Sotchi, hormis celui de consultant pour SRF? Votre travail d'architecte est-il bouclé?

Le "bébé" de Bernhard Russi, à Krasnaya Polyana. [KEYSTONE - Alessandro Della Balla]
Le "bébé" de Bernhard Russi, à Krasnaya Polyana. [KEYSTONE - Alessandro Della Balla]

BERNHARD RUSSI:

Je passerai les 2-3 premiers jours sur la piste, pour voir comment ça s'est développé. Je donnerai peut-être encore quelques conseils ici ou là, mais dès que les entraînements commenceront, c'est le jury de la Fédération internationale (FIS) qui aura toute la responsabilité. Et moi, je n'aurai alors quasiment plus rien à faire (il rigole)!

RTSsport.ch:Certaines critiques disent que Sotchi, ce n'est pas à la montagne, mais à la mer. Craignez-vous les conditions météo très changeantes?

BERNHARD RUSSI: Mais ça nous inquiète tous les jours sur la Coupe du monde aussi! Ca fait partie de notre sport. Après, je rappelle qu'à Vancouver nous étions aussi près de la mer lors des Jeux 2010. Et nous aussi, à Lugano, on a des palmiers! Franchement, il faut se montrer un peu plus ouvert...

Certes, Sotchi a une latitude particulière, mais certaines stations très au sud en France ont exactement la même, et ce sont de très bonnes stations de ski!

Propos recueillis par Daniel Burkhalter (Twitter: @DaniBurkhalter)

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"Pas changé grand-chose depuis deux ans"

RTSsport.ch: La Coupe du monde avait fait un arrêt à Sotchi pour des épreuves pré-olympiques il y a deux ans. Qu'est-ce qui a changé depuis?

BERNHARD RUSSI: Pas grand-chose sur la piste des hommes, en fait. Nous avons seulement dégagé un peu de place en milieu de tracé, et il devrait y avoir entre 2 et 4 virages de plus. Pour ce qui est de la piste réservée aux dames, nous avons retouché le haut du tracé, avec un terrain rabaissé de 5-6 mètres.

Et Pyongchang est déjà lancé...

Bernhard Russi a Sotchi bien en vue, mais il pense déjà aux Jeux olympiques 2018, à Pyongchang, en Corée du Sud. Ce qui marquera d'ailleurs le retour des JO dans une petite ville de montagne après des passages dans des métropoles (Nagano, Salt Lake City, Vancouver et Sotchi).

Car Russi sera là-bas aussi en charge de la conception des pistes. Et le projet est déjà bien avancé, selon ses dires.

"Ca fait 10 ans que nous avons commencé là-bas", explique l'Uranais. "Nous avons d'abord dû rechercher une montagne, puis choisir le terrain, imaginer les pistes, etc. Aujourd'hui, le projet est terminé et les travaux devraient débuter ce printemps".