Il y a 4 mois, au Canada, l'équipe de Suisse a disputé pour la première fois un Mondial. Eliminée en 8es de finale, la sélection de Martina Voss-Tecklenburg a montré qu'elle pouvait rivaliser avec les meilleures et a suscité l'intérêt du public. "Les gens ont réalisé que le foot féminin était intéressant à voir", confirme Noémie Beney, joueuse à Yverdon en LNA et ancienne internationale.
Malgré le décalage horaire, le huitième de finale entre la Suisse et le Canada a ainsi attiré une moyenne de 12'000 téléspectateurs (29% de part de marché) sur la RTS à 01h30 du matin.
Peu d'effets sur le championnat
Si la Coupe du monde a augmenté l'intérêt pour le foot féminin, "elle n'a pas vraiment eu de conséquences sur le championnat suisse", souligne Tatjana Haenni, présidente du FC Zurich Féminin et directrice du foot féminin à la FIFA.
Certes, l'ASF a enregistré une augmentation de 32% pour les spectateurs après 6 journées par rapport à l'an passé. "Mais il n'y a pas 1000 personnes qui viennent", nuance Linda Vialatte, présidente du FC Yverdon Féminin."Il n'y a pas non plus 36 joueuses qui sont venues taper à notre porte", ajoute la Vaudoise.
Au 25 septembre 2015, on dénombrait 23'782 joueuses licenciées contre 21'166 à la fin mai (sans compter les écoles de foot). Difficile cependant de noter déjà un effet "Coupe du monde".
Note: les juniors F et G ne sont pas pris en compte dans ces données. En 2015, on estime que ces juniors sont du nombre de 3000.
Une hausse du nombre de licenciées pourrait à moyen terme contribuer à développer le championnat, en augmentant entre autres la concurrence entre les joueuses. Actuellement, les meilleures d'entre elles partent dans des clubs à l'étranger.
De ce fait, même si le championnat suisse a progressé depuis quelques années tant au niveau physique que technique, "il reste une ligue de formation. Les effectifs sont très jeunes", remarque Gaëlle Thalmann. A bientôt 30 ans, la gardienne de l'équipe nationale a pourtant choisi de quitter la Bundesliga et Duisburg cet été pour rejoindre Bâle.
La Fribourgeoise a été séduite par le projet du FCB, qui souhaite "se rapprocher de Zurich", sacré 7 fois champion de Suisse lors des 8 dernières années.
"La LNA a besoin d'un sponsor"
Avec respectivement 500'000 et 600'000 francs de budget pour l'ensemble de leurs équipes, le FC Bâle et le FC Zurich disposent des moyens les plus élevés en LNA. Des sommes bien loin des millions de leurs confrères masculins.
"On est retenues dans notre élan par le manque d'argent", regrette ainsi Linda Vialatte, la présidente d'Yverdon. Les clubs peinent en effet à trouver du soutien financier, faute de visibilité et de public. "La LNA a besoin d'un sponsor pour aider les clubs à se développer", estime Tatjana Haenni, présidente du FC Zurich.
C'est le cas notamment de la Bundesliga, qui est sponsorisée par une compagnie d'assurance depuis 2014, soit 7 ans après que les Allemandes ont décroché leur deuxième titre mondial.
Note: Young Boys n'a pas souhaité communiquer son budget. Neunkirch, St-Gall et Lucerne n'ont pas donné de réponse.
En attendant la venue d'un éventuel sponsor, les équipes bénéficient du soutien de l'ASF, qui a mis en place un label de club en 2006. A travers ce label, l'instance faîtière suisse distribue de l'argent aux clubs qui remplissent des exigences liées à la formation et aux entraîneurs notamment.
"Ce label est nécessaire pour que le foot féminin se développe, mais il faut que l'ASF aide davantage financièrement les clubs. On ne peut pas avoir des exigences de semi-professionnalisme d'un côté et ne rien donner de l'autre", explique Linda Vialatte.
Lors de la saison passée, son club d'Yverdon a touché un peu moins de 20'000 francs pour 3 équipes. "Cela ne couvre même pas les frais de déplacement", lâche la présidente. Suivre ce label semble coûter plus qu'il ne rapporte...
Plus de soutien de l'ASF demandé
Les clubs souhaiteraient donc recevoir plus de soutien de la part de la Fédération. "L'ASF investit à peu près la même chose pour le foot féminin et le foot masculin, par rapport au nombre de joueurs", rétorque Franziska Schild, responsable du foot féminin à l'ASF.
"Ils n'ont pas besoin de donner la même chose aux hommes qu'aux femmes. Les filles qui jouent au foot veulent juste pouvoir en vivre, pouvoir s'investir dans leur passion et pouvoir préparer leur après-carrière", insiste Noémie Beney, qui travaille au sein de l'UEFA et joue à Yverdon.
Recevoir davantage d'argent permettrait en effet aux clubs helvétiques de mettre en place un statut de semi-professionnel pour les footballeuses.
Le semi-professionnalisme, une voie à suivre
Les joueuses du championnat suisse jouissent pour le moment d'un statut d'amateur. Leurs indemnités ne leur permettent pas de vivre et elles doivent donc travailler à côté de leurs entraînements et de leurs matches.
Dans ces conditions, les clubs peinent à retenir les meilleures joueuses, qui se voient offrir des contrats pro ou du moins semi-pro, par exemple en Allemagne ou en France.
Les clubs helvétiques ne touchent également pas d'indemnités de transfert ou de formation. En passant à un statut de semi-professionnel, ils pourraient alors obtenir "une contrepartie financière pour compenser leurs dépenses", comme l'explique Tatjana Haenni, présidente du FCZ.
Plus de joueuses de l'équipe nationale, plus d'attractivité?
Les clubs plaident ainsi pour un semi-professionnalisme des joueuses et pour davantage d'entraîneurs professionnels, afin de développer le championnat.
"Avoir des entraîneurs de qualité permettrait d'avoir des meilleures joueuses qui rendraient le championnat plus attractif", soutient Noémie Beney. "Mais c'est une question d'argent, car des entraîneurs touchent parfois plus en 2e ligue inter qu'en LNA féminine."
Selon Gaëllle Thalmann, l'attractivité du championnat "passe aussi par les résultats de l'équipe nationale". "Cela serait bien également que quelques joueuses de la sélection évoluent en Suisse. Je pense que des filles comme Fabienne Humm (internationale du FC Zurich) peuvent apporter de la visibilité au championnat."
Un bénéfice en matière d'image
Aujourd'hui, investir dans le foot féminin ne rapporte généralement pas d'argent aux clubs. "Mais cela leur permet de renvoyer une image positive", souligne Franziska Schild, qui s'occupe du foot féminin à l'ASF.
Et de poursuivre: "le foot féminin véhicule une meilleure image que le foot masculin. Il y a du fair-play, il n'y a pas de violence entre les fans, peu de tricherie..." Des valeurs susceptibles d'intéresser des sponsors qui ne se retrouvent plus dans le foot masculin.
"On ne va pas vendre notre âme au diable. On va essayer de rester avec nos valeurs", conclut Linda Vialatte. "Mais un peu plus d'argent ferait du bien aux clubs." Et leur permettrait sans doute de sortir petit à petit de l'ombre.
Jennifer Ballmer -@jenni_ballmer
Découvrez un petit historique du foot féminin en Suisse:
Quelques chiffres sur la LNA féminine
10: le nombre d'équipes qui participent au championnat de LNA. Il s'agit de Zurich, Neunkirch, Lucerne, Bâle, Young Boys, Lugano, GC, Yverdon, Staad et St-Gall.
7: Zurich a raflé 7 titres de champion sur les 8 derniers mis en jeu! Seul Young Boys a interrompu cette hégémonie en 2011.
8: le nombre de joueuses de l'équipe de Suisse présentes à la Coupe du monde (sur 23) et qui évoluaient alors dans le championnat helvétique.
Yverdon, seul représentant romand
Alors que la majorité des clubs de Super League ont une équipe féminine dans la LNA, Sion n'est lui pas représenté dans ce championnat.
"Le football féminin est en développement dans notre canton et nous l’encourageons. Le club n’a pour l’heure pas les ressources nécessaires pour atteindre la ligue nationale, mais se satisfait pleinement pour l’heure de son rôle de formateur", a ainsi expliqué le club valaisan. Les Sédunoises, qui évoluent en 1ère ligue, dépendent depuis cet été du FC Sion Football pour tous.
Seul Yverdon défend donc les couleurs de la Suisse romande dans le championnat de LNA féminine. "En Suisse romande, il n'y a pas un grand club qui a approché Yverdon pour essayer de les intégrer. Mais quand on voit la situation du foot masculin romand, je peux le comprendre", confie Noémie Beney.
Un nouveau défi pour les Suissesses
L'équipe de Suisse entamera le samedi 24 octobre sa campagne de qualifications pour l'Euro 2017, qui se déroulera aux Pays-Bas. La formation de Martina Voss-Tecklenburg affrontera l'Italie à Cesena.
Trois jours plus tard, les Suissesses défieront la Géorgie au stade de Bienne. L'Irlande du Nord et la République tchèque sont les autres formations de ce groupe 6.