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"La Fête fédérale est un retour aux sources"

Manu Crausaz (de face) en pleine action. [Manu Crausaz]
Manu Crausaz (de face) en pleine action. - [Manu Crausaz]
Evénement sportif le plus important du pays, la Fête fédérale de lutte suisse et des jeux alpestres débute samedi en plein cœur de l’Emmental, à Berthoud. A l’aube de ce grand raout, le Fribourgeois Manu Crausaz, vice-roi en 1995 et parmi les instigateurs de la prochaine fédérale à Estavayer-le-Lac en 2016, nous plonge dans l’univers de ce sport ancestral.

L’espace d’un week-end, la bourgade de Berthoud (BE) va devenir le centre d’intérêt de tout un pays avec plus de 250'000 personnes attendues sur le site, une arène de combat de 52'000 places et des heures de retransmissions télévisuelles.

Rien n’est trop beau pour mettre en lumière tous les trois ans depuis 1895 une manifestation imprégnée dans l’ADN helvétique. Sport de tradition, la lutte suisse se caractérise par quelques règles immuables, on se serre la main avant de prendre les prises à la culotte de jute, le vainqueur essuie la sciure sur le dos du vaincu et les prix sont exclusivement en nature.

Kilian Wenger pour une confirmation

La Fête fédérale déchaîne les passions comme ici à Frauenfeld en 2010. [KEYSTONE - ALESSANDRO DELLA BELLA]
La Fête fédérale déchaîne les passions comme ici à Frauenfeld en 2010. [KEYSTONE - ALESSANDRO DELLA BELLA]

Le berceau de la lutte à la culotte se trouve en Suisse allemande et l’édition 2013 ne devrait une fois de plus pas échapper aux représentants alémaniques, voire même bernois. Ces derniers auront hâte de briller sur leur territoire à l’instar de Kilian Wenger (23 ans) qui remet en jeu son titre de roi de la lutte glané en 2010 à Frauenfeld (TG). Parmi les 278 lutteurs engagés à Berthoud, 27 Romands seront à l’œuvre pour tenter de suivre les traces de leurs illustres aînés au sein desquels on retrouve Emmanuel Crausaz, plus connu sous le prénom de Manu dans le monde de la lutte.

Deuxième à la Fédérale de Coire en 1995, "un résultat inespéré", dit-il, Manu Crausaz reste le dernier Suisse romand à avoir réalisé pareille performance. Le Fribourgeois de 43 ans, membre également de la vice-présidence du comité d’organisation d’Estavayer 2016, s'est confié à RTSsport.ch avant les premières empoignades de Berthoud.

"Je reçois encore des demandes d’autographes"

RTSsport.ch: M. Crausaz, pourquoi la Fête fédérale est un événement si important?

MANU CRAUSAZ: Je pense avant tout que la Fête fédérale est un retour aux sources. Les spectateurs qui s’y rendent désirent revenir aux racines du pays via un sport de tradition renvoyant à l’origine où les bergers s’affrontaient sur la montagne le week-end. De plus, la lutte suisse est une discipline populaire en Suisse romande et bien sûr en Suisse allemande (ndlr: plus de 2500 lutteurs actifs) où elle fait office de sport national.

RTSsport.ch: Dès lors on imagine que le futur Schwingerkönig (roi de la lutte) risque bien de voir son quotidien changer...

La dédicace d'un couronné fédéral est toujours recherchée pour certains. [Manu Crausaz]
La dédicace d'un couronné fédéral est toujours recherchée pour certains. [Manu Crausaz]

MANU CRAUSAZ:

Certainement. A mon époque, les lutteurs qui brillaient à la Fête fédérale étaient déjà bien médiatisés et il m’arrive d’ailleurs encore de recevoir des demandes d’autographes, ce qui fait toujours plaisir. Mais la situation n’est plus comparable. Maintenant, il y a des sponsors qui soutiennent les fêtes et également certains lutteurs. Ceci renforce l’attrait autour de la lutte et de son roi qui a le statut de véritable star du côté alémanique avec l’assurance de pouvoir bénéficier d’une bonne couverture médiatique.

RTSsport.ch: On parle souvent de roi de la lutte et de couronnés fédéraux, pouvez-vous nous éclairer?

MANU CRAUSAZ: Une couronne fédérale est la distinction suprême que vont recevoir les 15 à 18% des participants à la Fête fédérale. Le roi de la lutte est le titre décerné à celui qui termine en tête du classement final de la compétition à l’issue des huit passes (combats) en fonction de son nombre de points.

Un avenir prometteur pour les Romands

RTSsport.ch: Retraité de la lutte depuis 1998, avez-vous constaté un changement dans la préparation des lutteurs pour une Fête fédérale?

L'arène de Berthoud est fin prête pour le début des combats. [KEYSTONE - PETER KLAUNZER]
L'arène de Berthoud est fin prête pour le début des combats. [KEYSTONE - PETER KLAUNZER]

MANU CRAUSAZ:

Oui, de nos jours la préparation est beaucoup plus professionnelle. Certains lutteurs sont même quasi-professionnels. Les meilleurs comme Kilian Wenger ont un entraîneur physique personnel et des gens qui les suivent au niveau mental. La morphologie des lutteurs a aussi évolué en s’adaptant à un style de lutte qui est devenu désormais plus technique, rapide et tactique.

RTSsport.ch: Depuis votre deuxième place en 1995, les lutteurs romands n’ont pas réussi à rééditer l’exploit. Que leur manque-t-il?

MANU CRAUSAZ: Nous sommes dans une période de transition à mon avis. Nous devons toujours avoir des locomotives et nous en manquons un peu actuellement. Ces dernières années, nous avions Hans-Petter Pellet qui tirait tout le monde en avant, comme ce fut le cas par exemple avec des Ernest Schäfli, Gaby Yerli, Rolf Wehren ou moi-même dans le passé (sourire).

RTSsport.ch: Et du côté de la relève romande, les perspectives sont-elles bonnes?

MANU CRAUSAZ: Oui, nous avons une équipe de juniors qui travaille bien. Les résultats sont très prometteurs et nous pouvons être confiants dans l’optique d’Estavayer 2016. Cette année à Berthoud, il y aura aussi de jeunes lutteurs romands qui peuvent selon moi créer la surprise et pourquoi pas se mêler à la course aux couronnes.

Les regards braqués sur la Broye en 2016            

Crausaz (2ème depuis la gauche) et la délégation d'Estavayer jubilent après leur victoire. [KEYSTONE - JEAN-CHRISTOPHE BOTT]
Crausaz (2ème depuis la gauche) et la délégation d'Estavayer jubilent après leur victoire. [KEYSTONE - JEAN-CHRISTOPHE BOTT]

RTSsport.ch:

Vous évoquez Estavayer 2016, quelles sont justement les retombées que l’on peut prévoir pour la région de la Broye ?

MANU CRAUSAZ: Pour Estavayer 2016 il y a un budget de l’ordre de 20 millions qui est prévu et un chiffre d’affaires de 50 millions (argent échangé sur le site). La fête sera assurément bénéfique pour la région avec pas loin de 300'000 personnes qui pourraient venir sur le site de l'aérodrome de la Broye pendant un week-end.

RTS sport.ch: Quelle est l’avancée des préparatifs depuis l’octroi de la fête à Estavayer en mars 2012?

MANU CRAUSAZ: Nous avons constitué un comité d’organisation et aujourd'hui on cherche à le compléter avec plus de 200 personnes qui y seront présentes au final. Ensuite, la priorité pour l’instant concerne le secteur sponsoring avec des contrats de sponsors qui seront signés dans les semaines suivant la fête de Berthoud.

"Le sport le plus rigide du monde sur la pub"

Le site d'une Fête fédérale s'étend sur une surface considérable. [KEYSTONE - ENNIO LEANZA]
Le site d'une Fête fédérale s'étend sur une surface considérable. [KEYSTONE - ENNIO LEANZA]

RTSsport.ch:

La lutte est un sport de tradition par excellence, vous nous parlez désormais de sponsors. Peut-on imaginer un jour de la publicité dans l’arène dédiée aux combats?

MANU CRAUSAZ: Non, la lutte doit être le sport le plus rigide au monde en la matière avec des règles très précises et des amendes qui sont parfois délivrées. Il n’y a aucune publicité autorisée dans l’arène et elle ne figurera jamais sur un lutteur en train de combattre. Par contre, les lutteurs peuvent maintenant avoir de la pub sur leurs survêtements mais avec des emplacements bien précis.

RTSsport.ch: Pour terminer, l’actualité sportive est rattrapée une fois de plus par des cas de dopage. Qu’en est-il de la lutte suisse?

MANU CRAUSAZ: Deux lutteurs ont été jusqu’à présent reconnus dopés et ont reçu des sanctions. Dans chaque fête romande, par exemple, nous devons mettre à disposition un local pour les contrôles antidopage. Des tests inopinés sont également réalisés auprès des lutteurs. Difficile de dire si la lutte est un sport totalement propre mais j’ai envie de croire qu’il le demeure encore.

Suivez la fête fédérale de lutte sur RTSsport.ch

Propos recueillis par Sébastien Schorderet

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Le petit manuel de la lutte suisse

Associations : l’Association fédérale de lutte suisse est formée de cinq associations régionales (bernoise, Nord-Est, Nord-Ouest, romande et Suisse centrale) qui organisent chacune à leur tour la Fête fédérale dans une périodicité de trois ans. La dernière Fédérale en Romandie s'est déroulée à Nyon en 2001.

Catégories: il n’y a pas de catégories de poids dans la lutte suisse contrairement à d’autres sports de combat. Dès l’âge de 16 ans, les lutteurs peuvent déjà lutter avec les seniors.

Culotte: lors du combat, le lutteur doit toujours garder une prise sur la culotte de jute (textile tissé) de son adversaire.

Duel bergers-gymnastes: il existe deux types de tenue admises pour les lutteurs. Il y a celle du berger (chemise avec le plus souvent des motifs d'edelweiss et pantalon foncé) affiliée dans le passé au monde rural et celle du gymnaste (T-shirt blanc et pantalon blanc) plutôt destinée à l’origine aux lutteurs de la ville. Les bergers mènent 26 à 18 au nombre des titres de roi de la lutte et sont invaincus depuis 1995.

Jeux alpestres: la Fête fédérale se compose en plus de la lutte de deux autres disciplines pratiquées sur des terrains annexes. Il s’agit du hornuss et du lancer de la pierre avec notamment celle d’Unspunnen (83,5 kg).

Passe: un combat entre deux lutteurs est une passe dans le jargon de la lutte suisse. Une passe dure normalement 5 minutes.

Une passe est considérée comme gagnée si, l’adversaire touche la sciure avec toute la surface du dos, avec la surface située entre le postérieur et le milieu des deux omoplates ou encore avec la surface localisée entre la nuque et le milieu des omoplates.

A noter qu’il n'existe pas de tableau avec des têtes de série. Les combats sont organisés par un jury de classement avant chaque début de passe.

Une histoire de notes : une fois la passe terminée, chaque lutteur se voit attribuer une note aussi bien pour le vainqueur que pour le perdant. Les notes attribuées par les membres du jury et l’arbitre visualisant le combat varient selon la qualité de la lutte fournie par les lutteurs. Voici le barème de notation :

entre 9.50 et 10.00 pour une passe gagnée
entre 8.50 et 9.00 pour une passe nulle
entre 8.25 et 8.75 pour une passe perdue

Le roi de la lutte de la Fête fédérale sera le lutteur qui aura obtenu le plus de points à l’issue des huit passes.

Willy Lardon: le lutteur du Jura bernois a remporté deux fois le titre de roi de la lutte, en 1937 et en 1943. Il faut souligner aussi que le Payernois Frédéric Bossy a dû partager le titre de roi avec Christian Blaser à Bâle en 1898.

La Fête fédérale de Berthoud (31.08-01.09) en chiffres

7 : le nombre de ronds de sciure (14 mètres de diamètre) préparés dans l’arène et sur lesquels vont s’affronter les lutteurs.

16 : l’âge du Lucernois Joel Wicki, plus jeune lutteur de la fête.

23 : la quantité de tonnes de viande qui devrait être écoulée (saucisses, steaks, etc).

25 : le montant en millions du budget annoncé par les organisateurs.

4000 : le nombre de bénévoles employés pour la manifestation.

52'000 : la capacité de spectateurs pour l’arène principale.

210'000 : la consommation attendue de litres de bière.