Et si Jo Siffert était parvenu à sortir des flammes...

Grand Format

Imago - Rainer Schlegelmilch

Introduction

Le 24 octobre 1971, Jo Siffert trouvait la mort à 35 ans sur le circuit de Brands Hatch, en Angleterre. Premier Suisse à monter sur la plus haute marche du podium en Formule 1, le Fribourgeois sortait de sa saison la plus aboutie. Que serait-il advenu s'il avait survécu à cet accident? Et si nous tentions d'écrire son histoire, non telle qu'elle fut, mais telle qu'elle aurait pu être?

Chapitre 1
De la passion, du talent, mais peu de moyens

Imago

Né une poignée d'années avant la Seconde Guerre mondiale, le 7 juillet 1936, issu d'une famille avec très peu de moyens, rien ne prédestine Jo Siffert à faire carrière dans le sport automobile."Après la guerre, en 1948, il est allé voir le GP de Berne avec son père et il a été fasciné par ça. C'est là qu'il avait décidé qu'il serait un jour pilote de course", raconte Jacques Deschenaux.

Passionné par les voitures, il fait d'abord un apprentissage de carrossier, avant de se lancer dans le commerce de voitures d'occasion. "Il était déjà bien dans le milieu, à tel point que le jour où il s'est présenté pour passer son permis de conduire à Fribourg, ils ont été surpris car ils étaient sûrs qu'il l'avait déjà, depuis le temps qu'ils le voyaient conduire", poursuit l'ancien journaliste de la RTS, très proche du pilote fribourgeois.

>> Portrait de Jo Siffert :

F1: portrait de Jo Siffert (zigzag café 2000)
RTS Sport - Publié le 3 octobre 2023

Pour assouvir sa passion, Jo Siffert court dans à peu près toutes les catégories. Il effectue ses débuts en moto, puis en side-car en tant que passager. Après ça, il court en Formule juniors en 1960. En 1962, il a fait sa première course en Formule 1, hors championnat, à Bruxelles. "Il s'est lancé là-dedans tout en faisant son commerce de voitures d'occasion. Il avait des problèmes financiers permanents. Il utilisait la même voiture pour toutes les courses qu'il disputait, il faisait une course de côte avec une Formule 1. C'était un autre monde", se rappelle Jacques Deschenaux.

>> Jo Siffert à l'entraînement :

Le pilote automobile suisse Jo Siffert au volant de sa Brabham sur le circuit de Lignières, 1964.
Carrefour-Soir Information - Publié le 12 juin 1964

Chapitre 2
Succès en endurance et consécration en F1

Imago - via www.imago-images.de

Les premiers succès arrivent alors. Le premier fait d'armes de Jo Siffert a lieu en 1964, lorsqu'il gagne le GP de la Méditerranée sur le circuit d'Enna-Pergusa en battant Jim Clark, qui avait été sacré champion du monde de F1 l'année précédente. "C'est à partir de là qu'il a été pris en considération et a été engagé par une écurie privée, le Rob Walker Racing Team. Ses soucis se sont un peu évaporés dans la mesure où il avait enfin les moyens d'avoir une bonne voiture", se souvient Jacques Deschenaux.

>> Interview de Jo Siffert après sa victoire lors du GP de la Méditerranée en 1964 :

Interview de Jo Siffert en 1964. [RTS]
Carrefour - Publié le 17 août 1964

Tout s'enchaîne ensuite et c'est lorsqu'il est engagé par Porsche en 1966 pour participer aux courses d'endurance que sa carrière décolle vraiment. Avec la marque allemande, le Fribourgeois se forge un magnifique palmarès. Il remporte à peu près tout ce qui est possible, à l'exception des 24 Heures du Mans.

Jo Siffert, ici au volant d'une Porsche lors des 24 Heures du Mans en 1969. [Imago - via www.imago-images.de]
Jo Siffert, ici au volant d'une Porsche lors des 24 Heures du Mans en 1969. [Imago - via www.imago-images.de]

En F1, Siffert doit attendre 1968 pour connaître la consécration (ndlr: il avait signé son premier podium en 1964 lors du GP des Etats-Unis, alors qu'il courait pour le Rob Walker Racing Team). Et pour bien faire les choses, son premier succès se déroule lors du GP de Grande-Bretagne, à Brands Hatch. Parti de la 4e place sur la grille, il ne quitte pas le trio de tête, signe le premier meilleur tour en course de sa carrière et devient le premier Suisse à s'imposer en championnat du monde. Il termine la saison au 7e rang du classement des pilotes avec 12 points.

"Ca a été une consécration pour lui. Je crois que c'est d'ailleurs la dernière victoire d'une écurie privée anglaise. C'était énorme", souligne Jacques Deschenaux.

>> Jo Siffert remporte le GP de Grande-Bretagne en 1968 :

F1: SIffert remporte le GP de Grande Bretagne 1968
RTS Sport - Publié le 3 octobre 2023

La saison 1969 le voit signer deux nouveaux podiums à Monaco (3e) et aux Pays-Bas (2e) et une 9e place au classement des pilotes avec 15 unités. Après une année 1970 blanche au sein de l'écurie March, il connaît sa meilleure saison en 1971 au volant d'une BRM avec une 5e place au classement des pilotes (19 points). Il remporte le GP d'Autriche pour signer la deuxième victoire de sa carrière en F1 et prend la 2e place du GP des Etats-Unis à Watkins Glen derrière François Cevert.

>> Jo Siffert signe sa 2e victoire en F1 lors du GP d'Autriche en 1971 :

F1: Siffert s'adjuge le GP d'Autriche 1971
RTS Sport - Publié le 3 octobre 2023

Chapitre 3
Passé très près de la mort

Imago - Ercole Colombo

C'est à partir de là que nous avons pris le parti de réécrire l'histoire. Qui n'a jamais imaginé un scénario différent de la réalité, de pouvoir voyager dans le passé afin de modifier les événements?

Le dimanche 24 octobre 1971, Joseph "Jo" Siffert est victime d'un terrible accident lors d'une course à Brands Hatch, en Angleterre, organisée pour fêter le deuxième titre de champion du monde Jackie Stewart.

Au 16e tour de l'épreuve, la monoplace du Fribourgeois fait une embardée à plus de 260 km/h, heurte un remblai de protection puis percute un panneau de signalisation avant d'être projetée en l'air, de s'écraser et d'exploser. Coincé dans son cockpit durant de longues secondes, Joseph Siffert parvient à s'en sortir in extremis.

Alors que l'on ne parvient pas à déterminer les causes exactes de l'accident, le diagnostic tombe pour Siffert. Victime d'une fracture de la jambe droite et incommodé par la fumée, le Fribourgeois doit passer sur le billard. De son lit d'hôpital, il ronge son frein, persuadé que son heure de gloire ne va pas tarder.

Les restes de la monoplace de Jo Siffert après l'accident de Brands Hatch. [Imago - imago stock&people]
Les restes de la monoplace de Jo Siffert après l'accident de Brands Hatch. [Imago - imago stock&people]

Courtisé par de nombreux prétendants, il honore sa dernière année de contrat avec BRM en 1972. Une saison qui ressemble trait pour trait à la précédente avec une nouvelle victoire en Afrique du Sud et deux autres places sur le podium pour un 5e rang final au classement des pilotes.

Chapitre 4
Sur le toit du monde avec Ferrari

Imago - Rainer Schlegelmilch

En 1973, Siffert prend la décision la plus importante de sa carrière. Bien décidé à se mêler à la lutte pour le titre de champion du monde de F1, il rejoint Ferrari où il fait équipe avec son ami Jacky Ickx. Ses débuts au sein de la Scuderia sont une réussite puisqu'il remporte le GP inaugural en Argentine devant Emerson Fittipaldi, champion du monde sortant.

Il enchaîne avec une 3e place au Brésil et un nouveau succès lors du GP d'Afrique du Sud où il avait déjà triomphé l'année précédente. Il fait ainsi le plein de confiance avant de mettre le cap sur l'Europe.

Jo Siffert était une personnalité très appréciée dans le paddock. [Imago]
Jo Siffert était une personnalité très appréciée dans le paddock. [Imago]

Le 14 juillet, il s'impose pour la 2e fois de sa carrière lors du GP de Grande-Bretagne à Silverstone. Puis il se place dans le top-5 en Allemagne et en Autriche avant de triompher lors du GP d'Italie à Monza devant des tifosi en transe.

Au coude à coude avec Jackie Stewart en tête du championnat, il peut rêver du Graal. Le GP du Canada, avant-dernière manche de la saison le place à portée du titre puisqu'il grimpe sur la 3e marche du podium, alors que son rival britannique doit se contenter de la 5e place.

Le 7 octobre, sur le circuit de Watkins Glen où il se sent comme chez lui, "Seppi" décroche le titre de champion du monde à 37 ans en prenant une magnifique 2e place derrière la Lotus du Suédois Ronnie Peterson. Il est sacré au terme d'une année exceptionnelle qui l'aura vu décrocher 4 victoires et 6 autres places sur le podium en 15 courses!

Intouchable en F1 en 1973, Jo Siffert poursuit sa domination dans le championnat d'endurance au volant de sa Porsche. Cerise sur le gâteau, le 10 juin, il remporte les 24 Heures du Mans qui se refusaient à lui jusqu'ici.

Pilote respecté et fortement apprécié, que ce soit sur les circuits ou en dehors, Jo Siffert bénéficie désormais d'une renommée au niveau international, faisant de lui un ambassadeur de choix pour la Suisse.

Chapitre 5
Une Scuderia à l'accent suisse

Freshfocus - Sutton

En 1974, Jo Siffert est rejoint par Clay Regazzoni, qui effectue son retour chez Ferrari après une saison chez BRM. La Scuderia aligne donc un duo 100% helvétique! Le Fribourgeois et le Tessinois ne vont pas décevoir.

A eux deux, ils signent pas moins de 9 podiums, dont 2 victoires. Siffert s'impose au GP de Suède, alors que Regazzoni triomphe en Allemagne. Ces belles performances n'empêchent néanmoins pas Emerson Fittipaldi d'être sacré champion du monde des pilotes et McLaren de s'adjuger le titre des constructeurs.

Siffert se console avec une deuxième victoire dans les 24 Heures du Mans, toujours au volant d'une Porsche, ainsi qu'en remportant le Canadian-American Challenge, plus connu sous le nom de CanAm, un championnat qui oppose des voitures de type "prototype" se déroulant en Amérique du Nord et pour lequel Porsche a construit une voiture à son nom.

Jo Siffert, un pilote qui a marqué l'histoire du sport suisse. [Imago - Rainer Schlegelmilch]
Jo Siffert, un pilote qui a marqué l'histoire du sport suisse. [Imago - Rainer Schlegelmilch]

Quatrième du classement des pilotes de F1 la saison précédente, Siffert aborde l'année 1975 avec de réelles ambitions. A quelques jours de son 39e anniversaire, le Fribourgeois remporte le GP des Pays-Bas à Zandvoort. Ce sera sa dernière victoire en F1, la 9e au total. Il clôture cette saison au cinquième rang du classement des pilotes, alors que Clay Regazzoni se classe troisième. Ferrari ne peut pas se mêler à la lutte pour le titre des constructeurs, ce qui laisse ainsi augurer des changements à l'intersaison.

Chapitre 6
Une retraite bien méritée

Imago - IMAGO

Le couperet tombe à la mi-octobre. Ferrari décide de ne pas proposer de nouveau contrat à Jo Siffert après trois saisons marquées par le titre de champion du monde 1973. La Scuderia souhaite faire de l'Autrichien Niki Lauda son pilote no1 devant Clay Regazzoni.

"Seppi" se laisse quelque semaines de réflexion avant de voir quelle orientation il souhaite donner à sa carrière. Début décembre, il annonce sa retraite sportive. Après tant d'années à courir dans plusieurs disciplines simultanément, l'usure se fait sentir et il refuse de faire la saison de trop malgré des propositions venant d'écuries de milieu de tableau comme Williams.

Depuis quelques mois déjà, le mot "retraite" résonnait dans son esprit. Mais sa reconversion est toute trouvée. Il reste dans le monde de l'automobile et se consacre au Jo Siffert Racing team, écurie qu'il avait créée en 1963.

La fiction est un espace plus imaginaire que réaliste qui peut servir de cadre pour le récit d'une histoire. La vie et la fin tragique de Jo Siffert ont souvent donné lieu à des "et si...", nourrissant l'imagination de ses admirateurs et des amateurs du sport automobile en général. Et vous, quelle aurait été votre histoire sur la vie de Jo Siffert?