L’histoire se serait sans doute écrite différemment si Lucas Bessard n’avait pas joué de malchance ce jour d’hiver 2016. Alors qu’il profite de l’or blanc, ses skis se cassent. Lui vient alors cette idée lumineuse. "Comme je n’avais pas les moyens de les réparer, j’ai décidé de m’en fabriquer une paire. Je me suis renseigné sur internet et à gauche à droite, j’ai discuté avec des professionnels, cherché les fournisseurs pour les différents matériaux et à force de persévérance, j’y suis arrivé même si encore aujourd’hui, j’essaie toujours de faire évoluer les skis et de les améliorer."
C’est important pour moi de travailler avec les ressources dont on dispose
Après avoir débuté l’aventure dans le garage de son papa à L’Isle, Lucas s’installe à Cuarnens dans un atelier plus grand où flotte une douce odeur de bois. Mais pas n’importe quel bois. Du frêne. "C’est un bois qu’on a toujours utilisé pour fabriquer des skis. Je trouvais que c’était un joli clin d’œil d’utiliser du frêne en 2020", sourit-il. Et le Vaudois aurait tort de s’en priver puisqu’on le trouve partout dans les forêts en Suisse. "Au début, je m’imaginais aller le chercher en forêt mais je me suis vite rendu compte que ça n’allait pas le faire car je n’étais pas équipé pour. C’est déjà assez compliqué de fabriquer une paire de skis", explique-t-il en éclatant de rire. "Je l’achète à un scieur qui se fournit dans les forets de la région. C’est important pour moi de travailler avec les ressources dont on dispose et de ne pas faire venir du bois de l’autre coté de la planète alors qu’on en a plein ici de très bonne qualité."
De son amour pour le bois et le ski naîtra sa marque Woodspirit. Pourtant, rien ne prédestinait cet autodidacte à amorcer un tel virage. Titulaire d’une formation dans l’agroalimentaire, c’est au côté de son papa qu’il a fait ses premiers pas dans le monde professionnel au sein de la fromagerie familiale à L’Isle. Mais très vite, le jeune homme a d’autres envies. "Je voulais faire autre chose, sourit-il. J’ai essayé de réunir mes deux passions, le ski et le bois pour en faire un métier et me suis dit pourquoi ne pas se lancer dans l’aventure?"
Pari réussi. Dans son atelier, le Vaudois de tout juste 30 ans crée des skis au design épuré et raffiné en donnant une seconde vie à ce bois qu’il aime tant. Une crête de montagne sur l’un, un bouquetin sur l’autre. La nature est au coeur de son projet. Les yeux se délectent de ses œuvres uniques. Même sans aucune formation dans ce domaine, sa débrouillardise et son talent font le reste. Il faut dire que l’enfant du Pied du Jura à de qui tenir. "Mon papa m’a transmis la passion du bricolage. Il avait un atelier et je l’ai toujours vu nous fabriquer des jouets en bois comme des trottinettes. A l’âge de 10 ans, il m’a offert un atelier et c’est comme ça que j’ai commencé à bricoler."
Je n’ai pas la prétention de vouloir rivaliser avec les grandes marques
Et même si les doutes ont parfois pu se frayer un chemin dans son esprit, il les a vite balayés pour se lancer corps et âme dans son art. Sans trop se poser de questions. "On ne réfléchit pas beaucoup, c’est une succession d’événements qui font qu’on se dit que c’est peut-être notre voie. Cela s’est fait naturellement." Lucas Bessard a pu compter sur le soutien des siens même si son annonce en a surpris plus d’un à commencer par ses parents. "Quand je leur ai dit que je voulais fabriquer des skis, mon papa s’est tout de suite inquiété de savoir comment j’allais gagner ma vie. Ma maman, qui est un peu plus olé olé, m’a tout de suite encouragé. Mais tous deux m’ont toujours soutenu."
Aujourd’hui, le Vaudois peut se targuer de vendre une quarantaine de paires chaque saison avec un premier prix à 1'600.-, sans personnalisation ni fixation. Mais pour lui, l’essentiel est ailleurs. "Je n’ai pas la prétention de vouloir rivaliser avec les grandes marques. Les petites marques artisanales n’ont pas vraiment d’impact sur le marché, c’est très confidentiel. Je ne vise pas une production énorme et vouloir concurrencer les grandes marques de ski cela ne correspondrait pas à l’éthique et à l’image de ma marque. Je préfère travailler de manière authentique".
Cuarnens, Floriane Galaud - @FlorianeGalaud
Un cador du freestyle ambassadeur de Woodspirit
Preuve que ses skis sont aussi beaux à regarder que performant à skier, le champion du freeride Nicolas Falquet a lâché son sponsor principal il y a quelques années pour rejoindre Woodspirit. Une chance pour son créateur de gagner en visibilité et crédibilité. "Ce qui lui a plu, c’était l’envie et la folie. Quand il m'a annoncé son envie de skier sur ma marque, je lui ai dis que je ne pourrai pas le payer. Il m'a alors rassuré en me disant que ce n'était pas ça qui l'intéressait. Depuis, on a lié une grande amitié. C’est une chance de l’avoir et cela nous donne confiance. Reste que se faire une place n’est pas une mince affaire. "J’ai toujours su que fabriquer des skis de manière artisanal n’allait pas être facile mais je le fais par passion et on verra bien ce que la suite nous réserve".