"N'enterrons pas les Suisses trop vite!"

D'ordinaire, côté suisse, on attend les Championnats du monde de ski alpin avec une grande impatience, un certain appétit. Cette année, au vu de ce que nos garçons nous ont montré cet hiver, on en est plus à craindre le rendez-vous autrichien, dès mardi à Schladming. Alors, se dirige-t-on vers la confirmation du fiasco de cette saison, ou la roue pourrait-elle tourner?

Bien difficile en tout cas d'imaginer rentrer avec des médailles, chez les messieurs du moins. Car à part le podium quasi "miraculeux" de Carlo Janka (3e) en super-combiné à Wengen, les occasions de se réjouir ont été rares, voire carrément inexistantes.

Mais voilà, Mondiaux (et JO!), comme certains se plaisent à le rappeler, "sont une course d'un jour". Alors oui, rêvons à une breloque suisse surprise.

Les dames ont la médaille au bout des lattes

La donne est différente chez nos dames, où les raisons de rêver métal sont sérieuses. Ainsi, des Lara Gut, Dominique Gisin ou encore Nadja Kamer ont la médaille au bout des lattes, d'autres ont l'exploit dans les chaussures. A commencer par Wendy Holdener, qui a aligné les performances "placées" autour du top-10 en slalom cet hiver.

La Suisse, grâce à ces dames, fera-t-elle mieux qu'en 2011 à Garmisch, où seul Didier Duche (2e en descente) avait pu alourdir sa valise? Suspense...

RTSsport.ch s'est entretenu avec le Vaudois Hugues Ansermoz (coach des Canadiennes) et les "anciens" William Besse (consultant RTS), Marco Buechel et Bruno Kernen. Ils abordent les thèmes "chauds" de l'hiver et se rejoignent sur une chose: "n'enterrons pas les Suisses trop vite"!.

- La "crise" chez les Suisses

Hugues Ansermoz: On savait que sans Cuche ni Feuz ce serait difficile. Mais tout le monde est quand même surpris d'assister à ça. Surtout qu'au niveau des moyens, seule l'Autriche peut rivaliser avec Swiss-Ski. La situation actuelle était donc inimaginable.

William Besse:

Ca me fait mal au bide, d'autant que je suis moi-même passé par là lors des mes deux dernières saisons en Coupe du monde. Ils cherchent tous une solution qui ne veut pas venir. En foot, si un gars est moins bien, les 10 autres le "couvrent". En ski, tu es tout seul quand ça ne va pas! Et je vous assure que personne ne prend le départ avec l'intention de prendre trois secondes ou plus par manche!

Marco Buechel: C'est une saison très difficile, c'est certain. Cuche et Feuz absents, sans compter les gars comme Lüönd, Küng et Gisin qui ont tous été blessés en fin de saison dernière. Ce que je ne comprends pas, c'est comment Küng justement, qui revient de blessure, peut avoir les meilleurs résultats? Où est donc passé Défago?...

Bruno Kernen: La confiance manque, et plus personne ne sait pourquoi ça ne marche pas... Tout le monde en fait un drame, mais c'est le sport, avec ses hauts et ses bas. Sans les résultats de Cuche et Feuz l'hiver dernier, c'était également la même chose. Swiss-Ski devra faire des analyses précises: qu'aurait-on pu faire mieux?

- Des problèmes de matériel?

H.Ansermoz:

Il est clair que les nouveaux skis, plus longs et moins taillés, ont eu plus d'influence chez les garçons que chez les filles. Mais ces soucis de matériel, il fallait les régler l'été. Après, c'est trop tard! En pleine saison, tu n'as plus le temps de tester des choses - même si les marques le demandent souvent -, tu dois t'entraîner dans les différents domaines.

W.Besse: Moi, je m'interroge par rapport aux combinaisons. Prennent-elles trop l'air par rapport à d'autres? Les nôtres ont-elles été testées? On avait déjà eu ce problème il y a quelques hivers... Pour ce qui est des skis, il y a à mon avis assez d'athlètes et de points de comparaisons par marque, donc ça ne devrait pas être une excuse.

- Des erreurs ont-elles été commises, et si oui, lesquelles?

H.Ansermoz: Cette saison? Difficile à dire... A mon avis, les Suisses naviguent dans la même direction depuis 3-4 ans, mais c'est aujourd'hui que ça se paie. Les petits groupes d'entraînement, ce n'est pas idéal, surtout quand il n'y a que 2-3 gars. Les Norvégiens, en vitesse, n'ont que deux athlètes (réd: Svindal et Jansrud), mais ils cherchent toujours à s'entraîner avec d'autres nations. A l'époque, quand tu avais un Cuche, tu n'avais pas besoin des autres car tu savais que si tu étais proche de ses chronos, tu étais dans le juste!

W.Besse: Si on en est là aujourd'hui, c'est que des choses ont été mal faites! Je pense notamment à un Janka, qui a suivi un nouveau concept d'entraînement qui lui a fait perdre beaucoup de masse. Mais quand je vois les gars qui sont devant et qui sont "bien là", je ne suis pas sûr que c'était une bonne idée... Mais n'oublions pas que tout le monde a quand même fait un énorme boulot, même si ça ne marche pas

M.Buechel:

Ces petits groupes d'entraînement, ça ne marche pas. Il faut aller s'entraîner avec d'autres nations, les Français par exemple. L'été, à Zermatt, la Suisse a toujours la piste no1. Je suis sûr que d'autres nations aimeraient bien s'y entraîner aussi! Après, il faut absolument un véritable chef alpin (réd: c'est en cours pour la saison prochaine...), une personne qui connaît parfaitement les structures et donc, à mon avis, un Suisse.

B.Kernen: Avant, il y avait beaucoup de coureurs très forts, et c'était donc logique de former de petits groupes. Ce n'est aujourd'hui plus le cas! S'entraîner avec les autres? Je vous pose la question autrement: est-ce que les Suisses, quand ils étaient au top, auraient accepté que d'autres nations s'entraînent avec eux? Pas sûr...

Vous savez, à mon époque, on avait aussi eu notre crise. Les "anciens" y étaient alors allés de leurs commentaires, et je vous promets qu'en tant qu'"actif", on détestait ça!

- Les chances de médailles suisses en Autriche

H.Ansermoz: Les chances sont réelles chez les filles, où le calme s'est bien établi. Tout est possible en vitesse, même si je pense que la piste ne conviendra pas à toutes les filles. Et en slalom, on a vu qu'une Wendy Holdener est régulière autour du top-10, et il ne manque donc pas grand-chose. Pour les hommes, il ne faut pas s'attendre à un "miracle", en géant du moins. En vitesse, un Didier Défago peut être là, même s'il perd encore beaucoup de temps sur certains passages.

Mais je n'enterrerais pas les Suisses avant les Mondiaux. A Garmisch, on les attendait gros comme une maison et ils n'ont rien fait, alors...

W.Besse:

Moi j'y crois! Défago et Janka ont skié de superbes passages sur ces 2-3 dernières courses, et ne sont donc pas largués. Et qui sait, si ces 2-3 détails tournent en leur faveur... Les Mondiaux ou les JO, ce sont des courses d'un jour. Là, ils auront de plus l'avantage d'y aller sans pression vu que personne ne les attend. Et Küng fait une superbe saison pour un gars qui revient de blessure!

Janka? Ce n'est plus le même que celui qui prend huit secondes à Alta Badia. Ce n'est pas encore le Janka vainqueur du général, mais son engagement est différent. Peut-être qu'il n'est juste pas un bon metteur au point et qu'il a eu besoin de plus de temps pour se faire au nouveau matériel.

M.Buechel: Ce sera très difficile, sauf pour un Janka en super-combiné peut-être. En vitesse? Il faudrait qu'ils aient vraiment un super-jour! Même si on ne sait jamais vraiment à quoi s'attendre sur des courses d'un jour comme celles des Mondiaux, il faut à mon avis quand même un peu de confiance pour réussir quelque chose... Mais attention, car un Défago a souvent réussi quand on ne l'attendait pas!

B.Kernen:

Aux Mondiaux, tout recommence à zéro. On oublie le passé, la saison en cours, et on regarde devant. C'est le moment où on peut faire basculer une saison ratée. Je vous promets que ma vie n'était plus la même après mon titre mondial à Sestrières!

Par contre, nous avons de réelles chances pour 2-3 médailles chez les dames. Gisin s'est souvent montrée très forte à l'entraînement ces dernières semaines avant qu'un petit détail ne cloche en course. Ca peut tourner. Gut, elle a l'expérience des Mondiaux, avec des médailles à Val d'Isère. Et je pense aussi à Kamer, à l'aise à Lake Louise et Cortina. Pour elle, tout dépendra de la difficulté de la piste. Et en slalom, Holdener est très constante et a montré qu'elle a le potentiel pour bien figurer...

Propos recueillis par Daniel Burkhalter (#DaniBurkhalter)