Titulaire du même poste à Swiss-Ski de 2003 à 2012, Abplanalp a dû partir suite à une dispute avec son chef d'alors, Mauro Pini. Il a vite rebondi, entraînant pendant 2 ans les Norvégiennes avant de se voir offrir, lors des JO de Sotchi, la possibilité d'entraîner la meilleure skieuse du monde.
Le Bernois s'est longuement confié à RTSsport.ch à St-Moritz, juste avant ces Mondiaux. Interview.
RTSsport.ch:Stefan Abplanalp, entraîner les Américaines, dont Lindsey Vonn, c'était un peu le jackpot pour vous, non?
STEFAN ABPLANALP: En fait, je connais bien Patrick Riml (réd: cet Autrichien est le chef alpin US) depuis quelques années et cela fait quelque temps qu'il voulait travailler avec moi. On en avait déjà parlé il y a 3 ans, mais ce n'était alors pas le bon moment pour moi puisque j'avais alors des buts à atteindre avec les Suissesses.
Ce défi de "ramener" Lindsey Vonn devant
RTSsport.ch:Mais là, après les JO de Sotchi, le moment était idéal alors?
STEFAN ABPLANALP: Oui, car l'offre était intéressante. En plus, il y avait ce défi de "ramener" Lindsey Vonn. La remettre sur le chemin du succès après 2 ans de blessures (réd: 2x ligaments croisés d'un genou) était un beau défi, tout comme ramener Julia Mancuso sur de bons rails. En plus, derrière il y a une bonne équipe, avec du potentiel. J'estimais alors que mes capacités, mes atouts, pouvaient être utiles. Ces dernières années, cette équipe américaine était à un tel niveau qu'à mon avis, j'avais plus de choses à faire avec les Norvégiennes.
RTSsport.ch: L'offre vous est parvenue un an avant ces Mondiaux. Risqué, non?
STEFAN ABPLANALP: Franchement, je n'ai pas pensé à Vail 2015, mais juste aux athlètes, à ce potentiel. Et pour moi, c'est une chance pour "grandir". Pouvoir entraîner une Lindsey Vonn dans cette situation-là, alors qu'elle était à terre, pour la ramener devant, c'était une chance unique. Je ne pouvais pas la laisser passer!
RTSsport.ch:
Justement, que pouvez-vous lui apporter? C'est déjà la meilleure!
STEFAN ABPLANALP: Très bonne question! Dans une interview, José Mourinho disait que la différence entre un bon et un très bon entraîneur résidait dans l'expérience, et notamment avec les superstars. En foot, il y en a beaucoup. En ski, beaucoup moins, surtout chez les dames. Entre Swiss-Ski, où la structure est bonne, et la Norvège, plutôt orientée sur le physique, j'ai acquis une bonne expérience. Ce mélange d'expérience, je pouvais en faire profiter les Américaines. Et j'étais convaincu que je pouvais aider Lindsey à revenir. Car j'ai souvent été confronté aux blessures d'athlètes, que ce soient Fabienne Suter, Nadia Styger ou encore Fränzi Aufdenblatten. Et avec Lindsey, dès notre 1ère rencontre autour d'un café à Park City le printemps dernier, le courant est bien passé, tout comme lors des premiers entraînements.
RTSsport.ch:Et désormais, elle affiche 64 succès en Coupe du monde, un record! Surpris qu'elle revienne aussi vite au sommet?
STEFAN ABPLANALP: J'étais persuadé qu'elle pouvait le faire, et j'espérais qu'elle le fasse avant Vail 2015... Je n'étais pas surpris, mais impressionné! Réussir ce record en si peu de temps... Mais dès qu'on l'a remise sur les skis, on savait où elle irait. C'est une athlète exceptionnelle, et avec son expérience, à 30 ans, on savait qu'elle n'aurait pas besoin de beaucoup de manches pour revenir au top. Mais après 2 ans d'absence, reproduire des performances à l'entraînement est une chose, en course c'en est une autre! Elle devait réapprendre à gagner. Mais elle le fait après 2 courses, c'est impressionnant!
"Elle n'a pas perdu grand-chose lors de ses blessures"
RTSsport.ch:Est-elle aujourd'hui plus forte qu'avant?
STEFAN ABPLANALP: Ca sonnait bête à l'époque, mais je lui ai dit que sa blessure pouvait être une "chance". Pour elle, c'était une opportunité pour revenir plus forte, physiquement et surtout mentalement, une fois qu'elle aurait oublié ce coup dur.
RTSsport.ch:D'autres skieurs, chez les hommes notamment, ont mis du temps pour revenir. Le niveau féminin est plus bas?
STEFAN ABPLANALP: Pas du tout! A une époque, Lindsey pouvait faire de grosses fautes et gagner quand même avec une grosse marge. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, le niveau est plus élevé. Mais c'est une fille qui travaille très dur pour atteindre ses buts. En plus, je ne crois pas qu'elle ait perdu grand-chose lors de ses blessures et elle est aujourd'hui revenue au niveau des meilleures skieuses. Elle n'est aujourd'hui plus aussi dominatrice, mais elle est toujours capable de faire la différence.
RTSsport.ch:
En plus de Vonn, vous avez aussi Julia Mancuso. Deux sacrées stars!
STEFAN ABPLANALP: Ce sont deux personnalités très différentes, avec des besoins guère identiques. Moi, je dois les amener vers le sommet, d'une manière ou d'une autre. Mais le travail n'est pas le même car l'une est plus rationnelle, plus structurée et attentive aux détails (réd: Vonn), alors que Julia marche plus à l'émotion, à l'instinct. Mon but est de leur offrir à l'une et à l'autre les qualités de l'autre. Mais ce sont 2 athlètes avec lesquelles j'ai énormément de plaisir à travailler.
RTSsport.ch:Et ces Mondiaux "à domicile", que pouvez-vous en attendre?
STEFAN ABPLANALP: Evidemment qu'on peut attendre des médailles de Vonn (réd: rappel, interview réalisée avant son bronze du super-G) ou Mancuso! Mais il faut que tout joue le jour-J! En ski, c'est toujours complexe car même si tu livres la manche parfaite, il y a toujours des facteurs que tu ne peux pas maîtriser, comme le vent...
Pour nous, ces Mondiaux à domicile, c'est une belle source de motivation, et nous n'avons pas la même pression qu'il peut y avoir en Suisse ou en Autriche. Pour le ski américain, c'est une plate-forme, l'occasion de se montrer. Le sport tient une grande place dans la société américaine et pour cela, je pense que le fait que le Superbowl soit disputé juste avant est aussi une bonne chose pour ces Mondiaux de Vail/Beaver Creek.
RTSsport.ch: Votre objectif principal, c'est que Lindsey Vonn continue de gagner ou que les autres s'imposent aussi?
STEFAN ABPLANALP:
Les deux, bien sûr (réd: il se marre)! C'est le côté excitant de ma mission. Derrière, nous avons actuellement un certain "trou", mais on y travaille. J'ai d'ailleurs un oeil sur la génération 1995. Il nous faudra peut-être ouvrir un peu le pipeline, pour donner davantage leur chance aux jeunes. Car nous n'avons pas un bon niveau de Coupe d'Europe, mais nous sommes bien au niveau des jeunes et très bien tout en haut.
RTSsport.ch: Et avec des Lindsey, Julia ou Mikaela, vous avez de sacrées locomotives!
STEFAN ABPLANALP: Tout à fait! Ainsi, nos jeunes voient à quel niveau elles veulent parvenir. D'ailleurs, notre dicton c'est "average is not enough, we wanna be excellent" (réd: la moyenne, ce n'est pas assez, nous voulons l'excellence). Dans ce sens, Lindsey et Julia sont de bons exemples, qui aident beaucoup les jeunes, partagent leurs expériences. Elles vont nous être utiles jusqu'au bout de notre mission, les Jeux olympiques de PyeongChang, en 2018.
Beaver Creek, Daniel Burkhalter - Twitter @DaniBurkhalter
"L'essentiel, c'est qu'elles soient rapides sur le skis!"
RTSsport.ch: Et on évoque la prochaine arrivée de Mikaela Shiffrin en vitesse... Vous êtes un coach comblé! En plus, avec Vonn et Mancuso ça vous fait trois charmantes demoiselles!
STEFAN ABPLANALP: (rires) Pour moi, l'essentiel est qu'elle soient surtout rapides sur les skis! Mais je reconnais que j'ai de la chance d'entraîner Vonn, Mancuso et Shiffrin. Et toutes les autres! Après, ce sont bien sûr de super athlètes, mais elles se vendent aussi très bien, ce qui est important pour notre sport, pour le sport.
RTSsport.ch: Et alors, Shiffrin en vitesse?
STEFAN ABPLANALP: Ce n'est pas un objectif à court terme, mais plutôt à moyen ou long terme, histoire de la préparer en vue du gain du général de la Coupe du monde. Le but est de l'amener sur une discipline de vitesse au moins, et d'abord en super-G. Car quand tu peux gagner dans trois disciplines, tu as ton mot à dire au général!
"Cette chance, je l'ai méritée"
RTSsport.ch: Vous aviez dû quitter Swiss-Ski après une dispute avec Mauro Pini. Vivez-vous une sorte de revanche aujourd'hui?
STEFAN ABPLANALP: Non, je ne le ressens pas comme ça. En plus, j'aurais pu revenir depuis longtemps déjà, car à Sotchi j'ai aussi reçu une offre intéressante. On me proposait le poste de responsable du groupe vitesse masculin. Mais j'ai préféré l'opportunité de travailler avec Lindsey Vonn. Mais en 10 ans de collaboration, je n'ai jamais eu de problème avec Swiss-Ski. C'était alors un problème personnel. Et quand ton problème c'est ton chef, c'est logiquement le chef adjoint qui doit partir... Mais tout a été mis à plat avec la fédération après le départ de Pini et nos contacts sont très bons.
RTSsport.ch: L'objectif n'est donc pas de "rentrer" pour le moment?
STEFAN ABPLANALP: Non, car j'ai une mission jusqu'au JO 2018 avec les Américaines. Je me sens Suisse, mais actuellement j'aime mon rôle à l'étranger. Après, je suis un patriote et je ne dis jamais non! Mais si je "rentre" un jour, ce sera avec un bagage rempli de nouvelles expériences!
RTSsport.ch: Comment se sent-on en tant que "petit Suisse" chez les Américaines?
STEFAN ABPLANALP: Dans l'offre que j'ai reçue des Américains, il y avait évidemment des objectifs, que j'ai bien analysés. Car avec de telles athlètes, la Fédération américaine voulait absolument un coach expérimenté, qui a déjà un certain palmarès. Après, la première année et souvent facile et il ne faut pas rater la chance de faire tes preuves. C'est un peu comme un yogourt, avec un "Migros Data"! Cette chance, je l'ai méritée, comme Petkovic à la tête de la "Nati". Mais après il faut confirmer!
J'étais donc évidemment ravi que tout se passe aussi bien en ce début de saison, même si je savais que ça allait fonctionner. Après un bon résultat à Lake Louise (réd: triplé US en descente), tout s'est ensuite bien enchaîné. Rappelons que cette équipe n'avait pas fêté un seul podium la saison dernière!
Après ces dames, place au super-G messieurs à @Vail2015. Pronostics des "experts" #RTSsport http://t.co/ouU0HKDMPo
— Daniel Burkhalter (@DaniBurkhalter) February 3, 2015
Ce qu'en pense Julia Mancuso
"Stefan adore son boulot et apporte toujours de l'énergie positive. En plus, quoi qu'il arrive, il reste cool. Il ne s'énerve jamais, mais dit plutôt qu'on peut toujours faire mieux. C'est sa manière de faire: souligner nos forces et rester positif. Ainsi, dans l'équipe, tout le monde se sent bien, et heureux"