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"Nous sommes trop faibles physiquement"

Ansermoz à Zermatt en 2010. [Jean-Christophe Bott]
Ansermoz à Zermatt en 2010. - [Jean-Christophe Bott]
Les skis encore fixés aux pieds et vêtu de sa combinaison rouge et blanche d’entraîneur, Hugues Ansermoz est pile à l’heure. C’est sur les pistes des Diablerets où il est né que le Vaudois nous a donné rendez-vous. Cet après-midi-là (25 février), l’Ormonan de 52 ans participe à une course populaire, le Erika Hess Open « en tant que VIP », s’amuse-t-il à relever. Avant de prendre le départ, le directeur du centre national de performance de Brigue évoque les faiblesses des jeunes skieurs suisses et le cas Lara Gut.

RTSsport.ch : Quel bilan dressez-vous de vos premiers mois à la tête du centre national de performance de Brigue?

HUGUES ANSERMOZ : Ces dernières années, beaucoup de choses ont été faites pour la relève. Le centre est un très bel outil même si on ne l’utilise pas à 100%. Pour être une structure d’entraînement performante, il nous manque encore un suivi médical avec des physios ou des masseurs. Car trop souvent nous sommes confrontés au même souci : trop d’athlètes se blessent. Depuis 20 ans que je suis dans le système, c’est un problème récurrent.

"Les blessures découlent souvent d'un manque d’entraînement physique"

RTSsport.ch: Justement, de nombreux espoirs connaissent des blessures et sont freinés dans leur progression. Comment y remédier en amont?

HUGUES ANSERMOZ: C’est compliqué car de nombreuses questions se posent telles que : comment prévenir les blessures, comment les guérir et comment ne pas forcer. Il n’y a pas de solution miracle, on a essayé de changer le matériel et les équipements, sans succès. N’importe quel athlète peut se blesser mais nous sommes trop faibles dans l’entraînement physique. On voit arriver dans les structures régionales des jeunes de 12 ans qui ont un niveau nul. Les blessures découlent souvent de ce manque d’entraînement physique.

RTSsport.ch: A qui la faute ?

HUGUES ANSERMOZ: On pourrait mettre la faute sur Swiss-Ski mais je pense que c’est le système suisse qui est coupable et notamment l’école qui a revu à la baisse les heures de sport. Au Canada, le sport chez les jeunes est beaucoup plus soutenu et reconnu. Les skieurs qui débarquent dans l’équipe canadienne sont bien plus athlétiques que les jeunes Suisses. Si les parents ne prennent pas en charge la condition physique de leur enfant ou que ce dernier ne pratique pas d’autres sports à côté, son niveau ne sera pas suffisant et le manque sera difficilement comblé plus tard.

"Les athlètes canadiens sont des machines"

La Canadienne Marie-Michèle Gagnon a bénéfécié des conseils d'Ansermoz durant 4 ans. [KEYSTONE - Jean-Christophe Bott]
La Canadienne Marie-Michèle Gagnon a bénéfécié des conseils d'Ansermoz durant 4 ans. [KEYSTONE - Jean-Christophe Bott]

RTSsport.ch: En parlant du Canada, vous avez été entraîneur en chef des Canadiennes durant 4 ans. Quelles différences avec nos athlètes suisses au niveau de l’entraînement physique?

HUGUES ANSERMOZ: Ce qui était très bien au Canada c’est que nous avions centralisé l’entraînement à Calgary. Toute l’équipe nationale composée de 10 filles et 15 garçons s’entraînait ensemble et en trois ans, on a vu des progrès énormes. A force d’être suivis par des spécialistes, les athlètes sont devenus des machines.

RTSsport.ch: Le Canada semble plus en avance que la Suisse à ce niveau-là…

HUGUES ANSERMOZ: Je dirais qu’il n’y a pas beaucoup de choses que la Fédération canadienne fait mieux que nous car les problèmes et l’organisation sont différents. Mais pour réussir là-bas, il faut avoir une tronche, c’est très dur. Le talent ne suffit pas, il faut également de l’argent et travailler énormément.

RTSsport.ch : Est-ce parce que l’on préserve trop les skieurs suisses?

HUGUES ANSERMOZ Je pense, oui! Au Canada, je regrettais parfois qu’on ne donne pas une deuxième chance à certains athlètes. En Suisse, on leur donne non seulement une deuxième, une troisième voire une quatrième chance mais en plus on les garde parmi les cadres. On ne les met pas assez sous pression. Là-bas, si on accorde une dernière chance à un athlète, celui-ci doit passer à la caisse. Chez nous, ce serait inimaginable. Pourtant, certains jeunes sont doués mais n’apprennent pas assez tôt à « performer sur demande ». Du côté des filles du cadre A, depuis l’arrivée de Lara Gut en 2007, mis à part la médaille d’or de Dominique Gisin en descente à Sotchi, seule Lara a performé sur les grands événements. Ce n’est pas un hasard…

"Lara Gut ne joue pas son rôle de locomotive"

RTSsport.ch: Guère étonnant donc que des athlètes comme Lara Gut quittent les structures officielles pour des structures privées…

HUGUES ANSERMOZ: Oui et non car Lara Gut est un cas extrême. Elle est venue en équipe de Suisse, elle a fait un podium puis elle a rejoint sa propre structure. Mais les parents de jeunes skieurs ne se rendent pas compte de ce que cela implique en matière de coûts. En comparaison avec les autres pays, nos infrastructures ne sont pas si mauvaises. C’est un problème de luxe. Nous avons de bons entraîneurs, nous avons tout pour bien faire. A nous maintenant de travailler main dans la main avec une seule ligne directrice.

RTSsport.ch: Lara Gut est-elle vraiment un leader dans l’équipe de Suisse féminine ?

HUGUES ANSERMOZ : Lara Gut n’est pas assez présente avec l’équipe pour jouer son rôle de locomotive. Elle ne s’entraîne pas assez avec les autres pour leur apporter véritablement quelque chose. Pour l’équipe, ce n’est pas positif. Mais je pense qu’il y a une remise en question de son programme car cette saison, elle ne skie pas bien en géant et elle rencontre des problèmes techniques. Pour autant, je ne pense pas qu’elle réintègre l’équipe dans un futur proche bien que Swiss-Ski a officiellement chargé Pauli Gut d’entraîner sa fille fin 2014. Le problème c’est que les deux parties n’arriveront pas à s’entendre sur un plan d’entraînement commun pour Lara dans une structure nationale.

Lara Gut lors d'une conférence de presse en janvier dernier. [EQ Images - Florian Ertl]
Lara Gut lors d'une conférence de presse en janvier dernier. [EQ Images - Florian Ertl]

RTSsport.ch: Qu’en serait-il si des cas comme celui de Lara Gut se multipliaient?

HUGUES ANSERMOZ : Ce serait la mort pour nous. C’est difficile à gérer pour Swiss-Ski même si elle amène beaucoup de résultats. Mais on voit qu’autour, l’équipe est diminuée alors qu’elle aurait dû progresser à ses côtés. Cela montre bien que cette situation n’est pas positive pour l’équipe.

"Trop d'entraîneurs autrichiens n'est pas une solution"

RTSsport.ch: La Suisse a de bons entraîneurs mais ils ne restent jamais bien longtemps. Depuis l’arrivée d’Urs Lehmann à la tête de Swiss-Ski en 2008, cinq chefs alpins, quatre directeurs et un chef de performance ont quitté le navire…

HUGUES ANSERMOZ: Je pense qu’amener trop d’entraîneurs autrichiens n’est pas la solution pour avoir un fil rouge sur le long terme. Pour moi, un entraîneur étranger amène quelque chose de nouveau et j’en sais quelque chose. Mais pour un pays comme la Suisse où le ski est tellement ancré, c’est un danger car ils sont là à court terme. Mais si des Suisses font des formations pour entraîner et que toutes les places sont occupées par d’autres, ils perdent quelque part la motivation. Il en faut quelques-uns, c’est clair mais en en amenant trop, on crée une situation qui n’est pas simple. D’ailleurs, un chef de la relève va être prochainement nommé et j’espère bien que ce sera un Suisse.

RTSsport.ch: Vous avez un nom, peut-être ?

HUGUES ANSERMOZ: Non, non, je ne me suis pas porté candidat alors je n’ai pas été mis dans la confidence (rires). Il sera mon chef direct vu qu’au centre, je travaille pour la relève. Je me réjouis donc de savoir qui sera choisi.

Les Diablerets, Floriane Galaud

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Les centres nationaux, dernier échelon avant l'élite

En Suisse, il existe trois centres nationaux de performance : à Engelberg, Davos et Brigue. L’objectif de Swiss-Ski est de réunir les meilleures sportives et les meilleurs sportifs des différentes régions. Les centres sont le niveau intermédiaire entre l’association régionale et le cadre C de Swiss-Ski sur la longue route vers l’élite. «A long terme, nous aimerions avoir une synergie encore plus grande entre nos centres nationaux et Swiss-Ski. Les centres sont prévus pour accueillir des athlètes de Swiss-Ski.»

Le ski suisse face aux autres nations

RTSsport.ch : La Suisse est-elle moins forte qu’autrefois ou sont-ce les autres pays qui ont progressé ?

HUGUES ANSERMOZ : Les deux. Il y a beaucoup plus de petites nations qui sont arrivées ces dernières années et de notre côté, on a moins de masse. La Suisse est un petit peu moins bonne et les autres ont refait leur retard. En Coupe d’Europe, la Suisse est bien représentée, en vitesse notamment où la structure est excellente. Et malheureusement, on perd beaucoup d’athlètes qui privilégient les disciplines de vitesse aux dépens de la technique. Il faut garder nos jeunes et les pousser vers la technique. C’est ce que l’on a fait avec Wendy Holdener. Elle était très forte en vitesse et c’est Swiss-Ski qui a décidé de la placer en slalom. Et maintenant, c’est elle qui tire cette équipe de slalom.