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La colère des cieux sur la Streif

La piste est gonflée comme une éponge par les quantités d'eau tombées. Et la récente neige empêche l'humidité de s'évaporer. [GEORG HOCHMUTH]
La piste est gonflée comme une éponge par les quantités d'eau tombées. Et la récente neige empêche l'humidité de s'évaporer. - [GEORG HOCHMUTH]
Kitzbühel n'est pas béni des cieux. Après la pluie, jeudi, c'est la neige qui s'attaque désormais à la Streif. Un ciel bas, des rafales d'or blanc et une piste qui reste désespérement vide. Et, à en croire les prévisions météo, il n'est pas prévu que cela s'arrange...

A croire que "là-haut" on a que peu goûté à l'annonce de la future retraite de Didier Cuche, jeudi, et qu'on veut le priver de l'adieu qu'il mérite, avec peut-être cette 5e victoire qui ferait de lui le champion des champions... Alors voilà, la Streif attend une heure qui ne viendra peut-être pas, comme en 2005 et 2007. Elle est là, à surplomber majestueusement la station tyrolienne, à alimenter bien des discussions...

Toujours sur le fil du rasoir

Car si la Streif couronne les vrais descendeurs, elle a aussi ce côté monstrueux, celui qui peut vous briser une carrière (réd: Daniel Albrecht). "Sur cette piste, on est toujours sur le fil du rasoir", explique Didier Cuche. "Ca peut basculer d'un côté ou de l'autre". "C'est une piste qui me pousse dans mes derniers retranchements", poursuit le futur retraité. "Tu dois tout faire juste. Les 35 premières secondes et les 25 dernières sont terribles. Au milieu, il faut être juste et précis". Cette piste, Cuche a très vite appris à la maîtriser. Trop peut-être. "J'ai toujours été à l'aise et serein au départ. Peut-être que je ne me rendais pas compte par où on descendait...".

Frôler et pas dépasser les limites

Mais le quadruple vainqueur des épreuves du Hahnenkamm revient très vite sur terre. "Je dois me rappeler qu'on est à Kitzbühel, là où tu dois frôler tes limites sans jamais les dépasser". Et Cuche de se souvenir de sa "première" sur la piste tyrolienne, en 1996. "C'était assez difficile, car sur les 5 premiers coureurs au départ, 4 sont repartis en hélico!", raconte-t-il. "J'ai pu m'élancer avec près de 2h de retard. Ce n'était pas évident pour un jeune". Un "Suisse de l'année" qui était alors "bien pâle" dans le portillon de départ! "En fait, je me souviens surtout des 10' avant, car une fois dedans, j'étais tellement résigné que tout pouvait m'arriver. Ca m'était égal...".

"Une piste pas comme les autres"

Beat Feuz, récent vainqueur au Lauberhorn, ne devrait, lui, participer qu'à sa 3e descente à Kitzbühel. Mais il n'oubliera jamais sa 1ère participation, en 2010. "J'étais dans un état extrême, avec un coeur qui battait à fond. Je n'avais qu'une envie, c'était de ressortir par derrière...". "Ce n'est pas une piste comme les autres", poursuit le Bernois. "On est tous plus nerveux qu'ailleurs. L'ambiance au sommet est d'ailleurs assez calme, on ne parle pas beaucoup". De la peur? Peut-être. Mais aussi du respect pour un tracé qui a consacré les plus grands, de Killy à Cuche, en passant par Colombin, Klammer, Zurbriggen ou encore Alphand.

"Heureux quand on passe la ligne"

"C'est une course que tout le monde attend, parmi nous. C'est l'objectif de beaucoup d'athlètes", lance Didier Défago, vainqueur en 2009 et tout fier, année après année, de revoir la cabine qui porte son nom, privilège du vainqueur. "Je suis content qu'elle soit toujours dehors, et pas dans un coin!". Le Morginois concède toutefois un "sentiment très spécial" au départ. Et à l'instar d'un Beat Feuz, il se dit "heureux quand on passe la ligne". "La 1ère fois que je suis venu ici (réd: en 2000), lors de la reconnaissance, je me suis demandé comment on pouvait descendre certains passages. Et notamment tout droit", se souvient, hilare, le skieur valaisan.

Le malheureux souvenir de "Janks"

"Mais je me souviens aussi qu'une fois arrivé en bas, je voulais remonter tout de suite", raconte "Déf". "J'avais l'impression de ne pas avoir tout donné! Skier à Kitzbühel procure un sentiment tout simplement extraordinaire". Le verbe est un peu moins enjoué du côté de Carlo Janka, qui dit "n'avoir pas encore entamé d'histoire d'amour" avec l'étape autrichienne. Et pour cause: sa grande première sur la Streif a été marquée par le tragique accident de Daniel Albrecht, en janvier 2009. "Je ne l'oublierai jamais, malheureusement", confie "Janks". "Aujourd'hui, ça va un peu mieux, j'y pense moins. Mais croyez-moi, pour un nouveau, c'est une expérience très marquante...".

Kitzbuehel, un rêve de gosse

Pour Silvan Zurbriggen, et comme pour Beat Feuz d'ailleurs, "Kitzbühel a toujours été un rêve de gosse. On s'y voyait sur le podium et même, pourquoi pas un jour, gagner", concède le Valaisan, qui "n'oubliera jamais" sa première sur la Streif. "Des frissons ont traversé tout mon corps", dit-il. "Je me souviens que je devais m'élancer juste après Ghedina (réd: en 2004). Il avait poussé tellement fort que ça m'avait impressionné", raconte Silvan. Pour le Haut-Valaisan, la Streif a beaucoup évolué. "Ca tourne désormais beaucoup plus qu'à l'époque. Mais ça ne veut pas dire que tu ne dois pas être concentré à 100%. Tu dois te souvenir de chaque bosse, de chaque trou!".

"Une bière si tu pousses 3 fois"

S'élancer sur la Streif est pour chaque skieur un sacré pari. Les "plus vieux habitués" en profitent d'ailleurs souvent pour en rajouter une couche, pour défier les "bleus", les "nouveaux". "C'est vrai qu'il y a de petits trucs, comme gagner une bière si tu pousses 3 fois après avoir franchi le portillon", explique Silvan Zurbriggen. A un endroit où la pente frise les 85%! "Si tu y parviens, tu es franchement pas mal!" Pour Défago, la pratique a un peu disparu chez les Suisses. "On disait que si tu poussais 3 fois, tu étais un vrai descendeur. Moi, je ne me souviens pas si je l'ai fait!". Pousser ou pas, Kitzbühel reste une course à part, là où s'écrivent bien des histoires.

Kitzbühel, Daniel Burkhalter

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