1999: une première qui en appelle d’autres
Pas encore majeur, Roger Federer, bénéficiaire d’une invitation, dispute en 1999 son 1er Roland-Garros, carrément son 1er tournoi majeur. Et le tirage au sort lui offre un adversaire de premier plan: Patrick Rafter, alors no 3 mondial (et qui grimpera sur le trône 4 mois plus tard). Le Bâlois s’avance pourtant sans crainte sur le court Suzanne-Lenglen et se permet d’enlever la 1re manche. La logique permettra certes à l’Australien de remettre les choses dans l’ordre ensuite (5-7 6-3 6-0 6-2), mais ce baptême du feu sur l’ocre parisien marque les esprits. L'un des smashes dos au filet réussi par le Bâlois aussi. Seul Rafter paraît encore circonspect: "Ce garçon a du talent, mais il est très immature", note alors le double lauréat de l’US Open. "Ce match m’a aidé à croire que j’avais du talent", dira Roger 20 ans plus tard.
2000: avec un match "à vomir"
Douze mois après sa découverte de la Porte d’Auteuil chez les pros, Federer y revient avec la conviction de pouvoir déjà y réaliser quelque chose d'intéressant. C’est le cas. Après des victoires sur Wayne Arthurs et Jan-Michael Gambill, 2 joueurs plus expérimentés que lui, il livre un combat homérique de plus de 4 heures au 3e tour pour se défaire de son compatriote et ami Michel Kratochvil (victoire 8-6 au 5e set, après avoir pourtant mené 2 manches à rien). Un soulagement plus qu'un plaisir! "J’ai eu envie de vomir tellement j’étais cuit, glisse-t-il au sortir du court. C'était comme si l'un de nous deux allait mourir sur le court." Et Federer d’ajouter: "Être en 8e de finale à Roland me satisfait pleinement. Tout ce qui vient maintenant n’est que du bonus." Sa rencontre avec Alex Corretja constituera surtout un vrai apprentissage. Battu en 3 manches (5-7 6-7 2-6), il mesure le chemin qui lui reste à parcourir pour dominer un "terrien".
2001: un quart et les premiers espoirs
Comme l'année précédente, Roger Federer se voit à nouveau stoppé en 3 sets par Alex Corretja. Mais cette fois-ci, avant même ses 20 ans, le Bâlois a réussi à se hisser jusqu'en quarts de finale, non sans avoir eu à batailler encore une fois (9-7 au 5e set de son 2e tour contre Sargis Sargsian). Sa combativité et la qualité de son tennis séduisent loin à la ronde. Son aventure jusqu'en 2e semaine convoque l'espoir de le voir un jour franchir une toute grande marche en Grand Chelem. La presse internationale le glisse régulièrement parmi les futurs lauréats d'un "majeur".
2002 et 2003: un échec violent, puis une grosse leçon
Battu d'emblée - et sèchement - en 2002 par Hicham Arazi, un spécialiste de terre battue certes mais qui apparaissait tout de même à sa portée, Roger Federer part complètement à la dérive l’année suivante contre le peu connu Luis Horna, au bout d'un match qui est pourtant resté dans toutes les mémoires. Non pas par la qualité du jeu, mais bien car il a sans doute été l’acte fondateur de la suite de carrière du Bâlois.
Comme si le "Maître" était né pour de bon ce 26 mai 2003, sous le cagnard de Roland-Garros (6-7 2-6 6-7). A la dérive au moment où toute l’attention était rivée sur lui, il vit, après cette rencontre, certains visionnaires écrivirent qu'il ne gagnerait jamais un gros titre. Un mois plus tard, il goba délicieusement Wimbledon. Grâce à ce revers contre Horna? "En tout cas, cette défaite m’a ouvert les yeux sur comment aborder un Grand Chelem, lancera-t-il quelques années plus tard dans L'Equipe. J'étais no 5 ATP, je pensais que j’étais à Roland pour le gagner. Mais lorsque j’ai perdu la manche initiale, je me suis dit: "Aïe aïe aïe, même si je retourne ce match, comment gagner le tournoi alors que j’aurais encore 6 rencontres à jouer?"… J’ai coincé mentalement."
2004: battu par "l'enfant de Paris"
Lauréat de Wimbledon et de l'Open d’Australie, no 1 mondial et facile vainqueur de Kristof Vliegen et Nicolas Kiefer aux tours précédents, Federer a Roland-Garros dans le viseur. Mais aussi une montagne face à lui: Gustavo Kuerten, le grand bonhomme de Paris (3 titres à son actif, en 1997, 2000 et 2001). Dans le vent, le Bâlois plie en 3 petites manches (4-6 4-6 4-6) sans jamais avoir inquiété le Brésilien.
Irrité, notamment car pas bon sur son engagement, il dit se demander pourquoi il n'a pas réussi à pousser "Guga" dans ses retranchements. Et peste contre lui-même. "Je n’ai jamais trouvé le rythme, je n’ai pas réussi non plus à m’adapter aux conditions, à la surface." A 22 ans seulement, "RF" semble déjà prendre conscience que ce Grand Chelem-là ne sera jamais comme les autres pour lui.
2005: et Rafael devint "Rafa"…
Aucun set perdu jusqu'en demi-finales et quelques victoires convaincantes, notamment sur Nicolas Almagro, Fernando Gonzalez et Carlos Moya; oui, 2005 semble être la bonne année pour que Roger Federer inscrive enfin son nom sur la Coupe des Mousquetaires. Mais c'est oublier que Rafael Nadal, pantacourt, marcel et biscotos apparents, est déjà plus qu'une promesse, un vrai candidat à la victoire. Du coup, la demie entre les 2 hommes est une finale avant la lettre. Et Federer accroche son adversaire en égalisant à une manche partout. Avant de concrètement se heurter au lift terrible du gaucher espagnol et de voir, une fois encore, une fois de plus, et sous la pluie, son rêve se briser (6-3 4-6 6-4 6-3), ses ambitions douchées par le crachin parisien.
"J’ai été mauvais au début, bon au milieu et mauvais à la fin du match, résume-t-il. Mais je ne vais pas retourner le vestiaire pour autant. Mon désir de gagner une fois ici reste énorme." Quarante-huit heures plus tard, c’est bien Nadal qui remportera son premier trophée parisien. Et, inutile de le préciser, de loin pas le dernier.
2006-2007-2008: face à Nadal, de mal en pis
Rafael Nadal profite d’être la bête noire de Federer pour détruire, à chaque fois en finale désormais, ses ambitions en 2006, 2007 et 2008. Et plus on avance dans les années, plus la défaite est lourde pour le Bâlois, incapable de trouver des solutions face à son cadet sur le court Philippe-Chatrier. En 4 sets en 2006 - dans un match où l'Espagnol semblait battable - et 2007.
Puis au détour d’une claque magistrale en 2008 (6-1 6-3 6-0), une "boucherie" diront certains, qui laissera durant plusieurs mois des traces dans la tête de Roger Federer. A tel point qu'au sortir de celle-ci, peu nombreux étaient ceux qui l'imaginaient pouvoir un jour triompher à la Porte d’Auteuil.
2009: sur le Toit du monde
Douze mois plus tard pourtant, sous les gouttelettes du ciel français, les yeux mouillés – et pas par la pluie – de Roger Federer démontrent que les augures étaient faux. Le 7 juin 2009, le Bâlois décroche enfin le Graal, ce trophée derrière lequel il courait depuis tant d’années. Et ce après une quinzaine folle, qui a d’abord vu Rafael Nadal trébucher sur le monstre Robin Söderling, puis le Bâlois flirter avec la défaite contre Tommy Haas (6-7 5-7 6-4 6-0 6-2), avant notamment de livrer une bataille homérique en demi-finales contre Juan Martin Del Potro (3-6 7-6 2-6 6-1 6-4).
Plus que le 7 juin, tout s'est sans doute joué pour "RF" en 24 petites heures, soit entre le 31 mai et le 1er juin, entre la chute de "Rafa" et son 8e de finale "dingo" contre Haas. Mené 2 manches à rien et avec une balle de break contre lui à 3-4 au lendemain de la défaite de Nadal contre Robin Söderling, Federer lâche alors enfin un coup droit pleine ligne qui lui permet de rester dans le match. "Au moment où mon seul but était de rester en vie pour garder un minimum de chances dans cette rencontre...", soufflera-t-il plus tard. Poing serré – là aussi, enfin! – il change ensuite complètement d'attitude et finit en trombe pour écarter l’Allemand, alors 63e ATP, et filer 6 jours plus tard vers la quête derrière laquelle il semblait s'époumoner.
"Je me souviens que Roger était très nerveux, a récemment reconnu Haas, très copain avec le Bâlois. Il savait qu’après la défaite de Nadal, il devait gagner ce tournoi. Il avait alors beaucoup de pression, beaucoup de pensées qui s'entrechoquaient dans son esprit. Sans doute n’a-t-il pas joué son meilleur tennis lors des deux premiers sets contre moi. Puis après, il s’est lâché. Je ne suis pas passé loin de l’exploit, mais au final j’ai été très content pour lui."
Avec cette défaite, Haas a tout de même obtenu la reconnaissance de son bourreau. "Il me doit une bouffe à chaque fois qu'il me voit", plaisante l’Allemand. Sans doute que Federer ne rechigne pas à la lui offrir, tant après son succès du 1er juin 2009 il a eu l'honneur de s'installer à la table des géants.
Arnaud Cerutti - @arnaud_cerutti