"Grâce à la génération qui arrive, il n'y a aucun souci à se faire pour l'avenir du tennis masculin"
Assis sur un banc sous le cagnard du Parc des Eaux-Vives, Daniel Vallverdu ne s'arrête pas de disserter. Il parle du tennis avec une passion non feinte. Sa carte de visite suffit à donner du crédit à ses propos. Âgé de 37 ans, le Vénézuélien - qui vivait en Suisse jusqu'à l'an dernier - a eu quelques-uns des meilleurs joueurs du monde sous sa houlette: Andy Murray, Juan Martin Del Potro ou encore Stan Wawrinka. Aujourd'hui, il a renoué avec Grigor Dimitrov, son ancien poulain, avec pour premier objectif de lui permettre de disputer une nouvelle finale sur le Circuit ATP. "Puis d'autres buts viendront ensuite si nous y parvenons", déclare-t-il. Avant de se mettre à table pendant 40 minutes. Morceaux choisis.
RTSsport.ch: Daniel Vallverdu, vous qui fréquentez le Circuit depuis plus de 10 ans, comment vivez-vous le fait d'aborder un Roland-Garros sans Rafael Nadal?
DANIEL VALLVERDU: Honnêtement, c'est vraiment triste que le tournoi doive se disputer sans lui, car nous étions tous habitués à le voir chaque année tenter de gagner un Roland-Garros supplémentaire. Avec Nadal, la quinzaine était toujours folle, car les choses qu'il a établies à Paris restent parmi les plus dingues de l'histoire du sport. Et je parle du sport en général, pas uniquement du tennis. Donc oui, c'est dommage que Rafa ne puisse pas aller au "French Open", mais on s'y attendait. Après, cela rebat les cartes et c'est peut-être aussi un mal pour un bien.
RTSsport.ch: On a effectivement l'impression que la quinzaine à venir peut être géniale, car elle paraît plus ouverte que jamais…
DANIEL VALLVERDU: Il est clair que le contexte change la donne, car il ouvre des opportunités et plusieurs joueurs peuvent prétendre aller au bout. Je pense notamment à Novak Djokovic, à Carlos Alcaraz, à Holger Rune, et même maintenant à Daniil Medvedev, superbe joueur qui a prouvé qu'il peut gagner sur terre battue. Ce que je trouve génial, c'est que plusieurs gars arrivent pied au plancher à ce tournoi, presque à un pic de forme. Après, je continue de penser que "Nole" est le favori, car les matches en 5 sets restent son domaine. Il sait, et les autres aussi, qu'il est très difficile à battre dans cette configuration. D'un autre côté, je crois aussi que les jeunes sont conscients d’avoir aujourd'hui une vraie belle possibilité. Ils vont donc se tirer la bourre et ce sera chouette à voir.
Le forfait de Nadal à Roland-Garros ouvre des opportunités. C'est génial car plein de joueurs vont arriver pied au plancher à Paris.
RTSsport.ch: Vous évoquez les jeunes qui montent. Êtes-vous impressionné par ce qu'ils réalisent actuellement?
DANIEL VALLVERDU: Non, je ne peux pas dire que les Alcaraz, Rune, Sinner et Cie m'impressionnent, parce que ce qu'ils font, on l’a déjà vu, en plus fort encore, avec Novak, Rafa, Roger et Andy, qui ont réalisé des choses folles. A ces derniers, on peut même ajouter Stan, Del Potro, Tsonga ou encore Berdych, voire Hewitt et Roddick avant eux... Alors oui, ce que la génération actuelle fait est incroyable, mais ce n'est concrètement rien de neuf. D'ailleurs, ceux qui aspirent à marquer l'histoire de leur sport se doivent d'être à ce niveau à cet âge-là. Ces mecs ont donc fait un premier pas dans la bonne direction en obtenant déjà quelques gros résultats. Tout bientôt, ils se battront ensemble pour obtenir les grands trophées. C'est ça qui est génial, car cela balaie les craintes que beaucoup de gens pouvaient nourrir pour l'avenir du tennis masculin. Personnellement, je n'ai jamais été inquiet, parce qu'on sait qu'une bonne génération arrive toujours. Mais là, oui, tout le monde peut être rassuré: l’avenir du tennis masculin sera radieux.
RTSsport.ch: Doit-on toutefois s'attendre à encore et toujours parler du "Big Four" dans 20 ans comme étant la référence ultime ou la génération Alcaraz va-t-elle construire une nouvelle ère dorée?
DANIEL VALLVERDU: Les nouveaux vont écrire une belle histoire, j'en suis certain, mais ce serait vraiment injuste de vouloir tirer un parallèle avec le "Big Four" ou de penser qu'ils feront pareil. J'espère bien entendu qu'ils me donneront tort, mais ce qu'a fait la génération Federer-Nadal-Djokovic-Murray, et ceux qui l'ont accompagnée à travers toutes ces années, était vraiment trop fou. Si fou que ce serait vraiment étonnant qu'une autre génération puisse faire pareil. Parce que ce que l'on a vécu entre 2003 et aujourd'hui, personne ne l'avait vu avant et cela signifie bien que les probabilités que cela se reproduise sont infimes. Ces dernières années, toutes les étoiles étaient bien alignées, toutes les planètes aussi. Même le chant des oiseaux et le vent allaient de concert pour que ce soit exceptionnel (rires). La génération à venir écrira sa propre histoire et ce sera déjà très bien.
Ce qu'a fait la génération Federer-Nadal-Djokovic-Murray, et ceux qui l'ont accompagnée à travers toutes ces années, était vraiment trop fou.
RTSsport.ch: L'excitation autour d’elle s'apprête donc à monter encore ces prochains mois…
DANIEL VALLVERDU: C'est tout à fait cela! La compétition entre les Alcaraz, Rune, Sinner, Ruud et consorts est de plus en plus belle et intense, mais il faut laisser le temps pour que les rivalités s'installent vraiment, le temps pour qu'ils accumulent les confrontations qui construiront les moments forts de cette génération. Ces duels nourriront le public, les fans, les passionnés et même les journalistes, qui pourront ainsi relater de belles histoires. Pour l'instant, ils ne se sont pas encore suffisamment affrontés pour de gros trophées, mais cela va venir. A partir d'un certain moment, il y aura une vraie excitation de les retrouver face-à-face. Il faut seulement patienter un peu avant que la mayonnaise prenne. Après 15-20 ans des mêmes rivalités, nous devons tous, petit à petit, passer à une autre étape. Cela ne se fait pas en un jour, mais le processus est en cours. Je suis très optimiste et je m'en réjouis.
RTSsport.ch: Vous avez coaché quelques-uns des meilleurs joueurs de la planète, dont Juan Martin Del Potro, Andy Murray et Stan Wawrinka, qui sont aussi parmi ceux ayant connu de grosses blessures. Avez-vous été surpris par leur résilience et leur force mentale?
DANIEL VALLVERDU: L'un des points communs des joueurs que vous citez, et même de Federer, Nadal, voire Djokovic, est effectivement cette résilience. Celle-ci vient de cette passion, de cette obsession devrais-je dire, du jeu. Jamais ils n'abandonnent. Jamais ils ne baissent les bras. Ils peuvent se retrouver écrasés par un rocher, ils chercheront et trouveront une voie pour s'en sortir. C'est vraiment unique d'avoir eu au même moment, au sommet du jeu, autant de gars avec le même état d'esprit. Ils ont un tel amour pour leur sport qu'ils repoussent des montagnes. C'est admirable. Ils aiment simplement être joueurs de tennis, vivre sur le circuit. Cet amour a participé à leur longévité, car les contraintes des voyages, des entraînements, de la vie parfois loin de la famille ne sont pas les mêmes si tu es amoureux de ce que tu fais et heureux dans ce que tu fais. La volonté qu'ils ont de toujours se donner une chance de se relever est impressionnante. Ils savent aussi qu'ils ne seront pas éternellement joueurs de tennis et que, le moment venu, cela leur manquera profondément. Donc oui, ils donnent tout pour un jour pouvoir choisir leur sortie.
J'ai été fasciné par les meilleurs joueurs de ces dernières années, qui ne baissent jamais les bras, qui n'abandonnent jamais, qui cherchent toujours une voie pour s'en sortir. L'amour qu'ils ont pour leur sport est admirable.
RTSsport.ch: Votre carrière d'entraîneur a commencé en 2010, à 24 ans. Aviez-vous toujours eu en tête de vous tourner vers le coaching?
DANIEL VALLVERDU: Non, pour être honnête. Ce n'était pas dans mes plans. J'ai été joueur jusqu'à mes 22 ans et je me suis trouvé contraint d’arrêter en raison d'une blessure (ndlr: son meilleur classement est une 727e place mondiale). J'aurais pu aller plus haut, mais je dois reconnaître que je n'aurais jamais été un "top-joueur". Mais j'étais très ami avec Andy Murray, avec lequel j'avais vécu à Barcelone. Lorsqu'il s’est trouvé sans entraîneur et que je sortais de l'Université de Miami, en 2010, il m'a proposé de l'accompagner sur quelques tournois. Comme cela s'était bien passé, il m'a ensuite demandé si je voulais rester à ses côtés, être son coach. J'ai pris la décision de le suivre et je me rends compte de la chance qui a été la mienne. C'était une opportunité en or, ce d'autant plus que mes deux premières années de carrière se sont passées avec Darren Cahill et Ivan Lendl. J'ai tellement appris avec ces gens-là! J’ai été doublement chanceux d'avoir des personnes aussi sérieuses à mes côtés, des personnes aussi désireuses que j'apprenne à leur contact. Alors pour répondre à la question, je n'avais jamais planifié de devenir coach de tennis, mais on m'a presque mis ça sous le nez. La vie a décidé pour moi. Vous rendez-vous compte de ma chance?
RTSsport.ch: Joueur pas très bien classé, mais coach d'un ancien No 1 mondial. Peut-on vous comparer à Severin Lüthi?
DANIEL VALLVERDU: C'est flatteur, car j'adore "Seve". Nous sommes amis, c'est un coach fantastique mais aussi une personne extraordinaire. Il est vrai que, comme moi, il a reçu une opportunité en or tôt dans sa carrière. Il a su la saisir de manière incroyable, en la gérant comme s'il était né pour cela. C'est remarquable. Lüthi a effectué un travail incroyable avec Roger. Surtout, il a su trouver un équilibre entre l'ami et le coach. J'ai également connu ça avec Andy et je peux vous dire que c'est compliqué.
RTSsport.ch: On ne peut pas rester (ou devenir) ami avec son joueur?
DANIEL VALLVERDU: Disons que cela requiert une véritable intelligence émotionnelle, car ce n'est pas évident de gérer la relation lorsque tu es pote avec ton joueur. Est-ce l'ami qui parle? Est-ce le coach? Comment aborder les choses lorsque cela ne va pas? Alors oui, Severin et moi sommes comparables car nous n'avons pas été de grands joueurs mais que nous avons su nous occuper de magnifiques joueurs. Mais pour ma part, avec Murray, cela a fonctionné jusqu'à un certain point. Plus ensuite. Cela a conduit à la rupture. Il nous a par la suite fallu plusieurs années pour reconstruire cette relation d'amitié.
Coacher un ami requiert une véritable intelligence émotionnelle. Ce que Lüthi a réussi avec Federer est ainsi d'autant plus admirable.
RTSsport.ch: Au fil de votre parcours, qu'est-ce que les coaches que vous avez côtoyés et les joueurs que vous avez entraînés vous ont appris?
DANIEL VALLVERDU: Des quantité de choses! Je ne pourrai pas dire précisément ce que chacun m'a donné, mais j'ai "picoré" partout. Je le répète: j'ai eu une chance incroyable jusqu'ici dans ma carrière. Mes cinq premières années avec Andy ont ressemblé à un apprentissage accéléré. Ca a été la chance de ma vie, car cela m'a appris ce que le top niveau requiert. Murray était très demandeur, exigeant aussi. Darren (ndlr: Cahill) et Ivan (ndlr: Lendl) m'ont transmis leur expérience, celle de deux gars qui étaient depuis des années au sommet du tennis, comme joueurs puis comme entraîneurs. J'ai appris avec eux à quel point un coach se doit d'être flexible. A savoir que peu importent tes méthodes, tu travailles d’abord avec l'individu qui est en face de toi. Ce qui veut dire que tu dois d’abord cerner la personne en face de toi afin de savoir comment t'y prendre. Tous les messages et toutes les façons de faire ne passent en effet pas de la même manière avec tout le monde. Oui, tu dois savoir utiliser tes concepts, tes idées, mais il y a plein de façons différentes de le faire. C'est le propre d'un bon manager, d'ailleurs. La manière de dire les choses et le timing sont capitaux.
RTSsport.ch: Votre parcours vous a aussi mené à faire une pige auprès de Karolina Pliskova. Y a-t-il de grandes différences entre coacher des joueurs et des joueuses?
DANIEL VALLVERDU: En sa compagnie, j'ai vécu ma seule expérience avec une femme, mais ce n'était pas totalement différent de ce que j'avais connu précédemment. Karolina était très impliquée dans le travail au quotidien, très pro aussi. Elle était également à l'écoute, donc je n'ai pas franchement eu besoin de tout bouleverser. Au vrai, c'est surtout sur le plan tactique qu'il s’agit de procéder différemment avec les joueuses. Je ne connaissais peut-être pas assez bien les particularités du Circuit WTA en y arrivant. Reste que je n'ai que du positif à en raconter. Et si je devais y retourner, je le referais avec plaisir.
Arnaud Cerutti - @arnaud_cerutti
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"Murray et Wawrinka feraient de bons coaches"
Lorsqu'on lui demande quel joueur pourrait devenir un bon coach, Daniel Vallverdu n'hésite pas une seule seconde: "Andy Murray et Stan Wawrinka, répond-il. Tous deux ont un vrai "Q.I. tennis". C'est assez remarquable. Je les trouve assez similaires dans leur lecture et dans leur compréhension du jeu." Et le Vénézuélien d'enchaîner: "Stan est très ouvert et attentif sur le plan des émotions, il communique et assimile très bien les choses. Je pense sincèrement que lui et Andy peuvent devenir d'excellents entraîneurs. En tout cas, si j'étais joueur dans quelques années, je me dirais que l'un comme l'autre peuvent m'apporter énormément."
Des regrets avec Stan Wawrinka
"J'avais commencé ma collaboration avec Stan en 2019, juste avant le Covid. Donc finalement, notre travail a été compliqué. Cela l'a encore davantage été puisqu'il s'est blessé. A sa deuxième blessure, nous avons choisi de prendre des chemins différents. Je regrette de n'avoir pas pu l'aider plus que cela, mais je n'ai aucun mauvais souvenir avec lui. C'est un ami et nous avons tout de même passé de bons moments ensemble."
"Comment Federer pourrait-il ne pas me manquer?"
"Merci pour tout, Roger", avait écrit Daniel Vallverdu sur Twitter après la retraite du "Maître". Huit mois plus tard, le coach regrette toujours autant le départ du Bâlois. "Bien sûr qu'il me manque, dit-il. Comment pourrait-il en être autrement? Mais j'ai eu le privilège d'avoir "coaché" contre lui pendant 12 ans, dans plein d'immenses matches. Rien que le fait de le voir jouer était un bonheur. Je regarde d'ailleurs encore pas mal de ses matches sur Internet. Je crois qu'aujourd'hui il manque à tout le monde. Mais c'était le moment pour lui de faire autre chose et je pense que sa "deuxième vie" sera tout aussi remplie et passionnante que la "première". Je le lui souhaite, en tout cas."
Programme du jeudi 25 mai
Court central:
11h30: Murray/Venus-Bolelli/Martin. Pas avant 13h00: Ivashka-Fritz, puis O'Connell-Dimitrov.
Pas avant 18h00: Zverev-Wu. Suivi par Ruud-Jarry.