On ne va justement pas refaire l'histoire, puisqu'elle est désormais connue, mais lorsque Pete Sampras avait grimpé à 14 titres du Grand Chelem, le monde du tennis s'était dit que c'était là une marque dingue, inaccessible. Puis lorsque Roger Federer avait porté son jeu délicieux à 20 sacres majeurs, les observateurs s'en étaient trouvés tout retournés. Jamais un joueur n'allait pouvoir battre le Bâlois. Et voilà que ce matin, sagement, Novak Djokovic peut caresser 23 couronnes. Phénoménal. Sur son art perché, le Serbe repousse tant et plus les limites du tennis, les limites du jeu, explose les records. Avec lui, les débats sur le GOAT (Greatest of All Time) sont repoussés, pour ne pas dire anéantis, du moins dans le sens strict du terme. S'il n'est peut-être pas le plus grand en termes d'esthétisme et de ce qu'il a apporté à son sport, encore moins en ce qui concerne la popularité, il est bien le plus grand en termes de palmarès. C'est juste incontestable.
En plus d'être le joueur ultime, "Nole" incarne aujourd'hui la machine ultime, guerrier ultime, celui qui ne recule devant rien, celui qui a une ligne de conduite, un objectif, et qui fera tout pour l'atteindre, en accord avec ses convictions, sur le court comme en dehors. Sur le terrain, même bousculé quelque peu ce printemps, même sans vraiment distiller un tennis exceptionnel dans cette quinzaine - certainement parce qu'il n’a même pas besoin de ça, pour tout dire -, le Serbe s'est offert un nouveau Roland-Garros, parfaitement emballé, qui renforce encore un peu plus sa légende.
Son aura, elle, n'avait pas non plus besoin de ça, mais ça ne fait certainement aucun mal de l'élargir encore. Disons que cela fait pousser des ailes et renforce cette confiance indispensable à un joueur de tennis. Relevons que ce titre supplémentaire donne encore un peu plus de poids à l'intéressé, qui pèse déjà très lourd sur les épaules de ses adversaires avant même de pénétrer sur le court. Car c'est avec sa tête, plus qu'avec n'importe quelle arme, qu'il a cueilli ce sacre de légende et c'est certainement ce qui le rend aussi incroyable.
Que valent en effet 23 titres du Grand Chelem dans un "Players Lounge" qui en compte aujourd'hui au total même pas la moitié en l'absence de Rafael Nadal (3 pour Murray, 3 pour Wawrika, 1 pour Cilic, Thiem, Medvedev et Alcaraz)? Oui, vous pouvez le dire, c'est vertigineux! Ce qui l'est d'autant plus, c'est que Djokovic ne semble pas près de s'arrêter. Il faut dire que le chemin est si bon, pour lui qui ne vise que les hauteurs. Chaque route menant à un titre majeur prend des allures de promenade de santé, grâce à sa faculté à se transcender pour ces événements-là, grâce à sa faculté à tout sacrifier pour gagner. Grâce, aussi, à sa capacité à entrer dans la tête de ses adversaires. Grâce surtout à son propre mental, en acier trempé.
Rarement on avait vu un athlète de sa trempe à ce niveau-là. Ahurissant. Djokovic est un monstre, qui fait des dégâts dans le jeu de l'opposant, dans les jambes de l'adversaire et dans le cerveau de celui qui se trouve de l'autre côté du filet. L'ogre de Belgrade embrouille son monde, fout le bazar dans les certitudes (déjà rares) qui se trouvent dans le camp d’en face. Il n'est peut-être pas le jeu dans son essence même, mais il est aujourd'hui Monsieur Tennis et rien ni personne ne pourra le lui enlever.
Si bien que l'idée qu'il puisse signer le fantastique Grand Chelem calendaire n'a strictement rien d'absurde. Certes, vous répondrez qu'il reste la moitié du chemin à parcourir pour y arriver, mais à l'échelle d'un Novak Djokovic, cela ne représente pas grand-chose. Oui, il en avait été tout près voici deux ans avant d'imploser en finale de l'US Open, s'écroulant à un petit doigt du but. Mais c'était presque déjà à une autre époque. Aujourd'hui, fort de cette défaite mais surtout des 23 titres majeurs qui sont greffés à son palmarès, "Nole" dispose de cette expérience new-yorkaise – en plus de tout le reste – pour surmonter un potentiel écueil dans les mois qui viennent. Et comme il sera déjà favori de Wimbledon dans trois semaines…
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Arnaud Cerutti - @arnaud_cerutti
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