Holger Rune avait fini par craquer, le 2 octobre 2022 à Sofia. Étoile montante du tennis, qui allait un mois plus tard dominer Novak Djokovic en finale du Masters 1000 de Bercy, le Danois n'avait, ce dimanche-là, pas su résister à la fougue ni dompter les frappes de Marc-Andrea Hüsler. Sorti un peu de nulle part, le Zurichois de 26 ans en profita alors pour décrocher son premier titre ATP (250) - l'unique à ce jour - et grimper de 31 places au classement mondial, cueillant le matricule 64, au bout d'une semaine durant laquelle il avait aussi battu Pablo Carreno Busta et Lorenzo Musetti. Alors que Roger Federer venait de ranger sa raquette et que Stan Wawrinka était encore en reconstruction, la Suisse se trouvait un nouvel acteur susceptible d'animer ses semaines. Non, pas du tout un joueur capable de gagner des tournois majeurs, mais du moins espérait-elle un joueur en mesure de s'illustrer de temps en temps, dans la veine d'un Michel Kratochvil à l'époque. Douze mois plus tard, le constat est amer: "Mac" - son surnom - n'a pas su confirmer. Pire, il est dans le brouillard.
Aujourd'hui, Hüsler ne peut plus s'appuyer sur l'effet de surprise dont il a bénéficié à son arrivée sur le Circuit.Marc Rosset, champion olympique en 1992 et actuel consultant RTS.
Si son exercice 2022 fut encore marqué par un succès contre Jannik Sinner à Bercy, la suite n'a en effet connu aucune éclaircie. Tout juste le gaucher a-t-il pu profiter de son statut de membre du Top-100 pour écumer les plus grandes épreuves, mais sans jamais y faire illusion. De quoi presque donner raison à Yves Allegro, qui nous confiait au lendemain de son titre qu'il était difficile d'imaginer quel serait l'avenir de celui qui venait de devenir le 7e joueur helvétique à être titré sur le circuit ATP – "Peut-être qu'il n'y aura plus rien derrière...", relevait le Valaisan. Consultant pour la RTS, Marc Rosset constate aujourd'hui que son compatriote n'a pas su surfer sur la vague de sa semaine bulgare, mais il ne veut pas pour autant se montrer trop sévère avec lui (lire aussi encadré ci-dessous): "Il ne faut pas oublier que Hüsler a disputé cette saison sa première vraie année entière sur le Circuit et que dans ce contexte tout devient forcément plus compliqué, tempère-t-il. Oui, il a pu disputer des tournois plus relevés, des Masters 1000, des Grand Chelem, mais c’est justement là qu'on a pu voir que son jeu n’est peut-être pas assez complet."
Encore classé 51e à l’entame de l'Open d'Australie 2023, le Zurichois y avait subi la loi du régional de l'étape John Millman en cinq manches. Que serait-il advenu s'il avait franchi cet écueil? C'est peut-être exagéré de se poser la question aujourd'hui, mais après avoir mené deux manches à une devant l'Australien, Hüsler avait alors cédé physiquement, victime d'un coup de pompe, au lieu de conclure. Un succès aurait peut-être conditionné autrement le reste de son année, sachant qu'en dehors d'une probante (et inattendue) victoire en Coupe Davis sur Alexander Zverev au retour de Melbourne, sa fiche de résultats n'indique rien de croustillant. "Lorsqu'il est arrivé sur le Circuit, "Mac" a bénéficié de l'effet de surprise, car les autres joueurs ne le connaissaient pas, reprend Marc Rosset. Il avait qui plus est un style atypique. Maintenant, tous ses adversaires savent qui il est et comment l'affronter, donc il ne peut plus s’appuyer là-dessus."
La fragilité qu'il a souvent montrée au moment de conclure lui porte préjudice. Les autres savent qu'ils peuvent toujours finir par gagner contre lui.Marc Rosset, champion olympique en 1992 et actuel consultant RTS.
Problème: sa confiance s'est envolée et ses ressources semblent actuellement bien limitées. En témoigne le fait qu'à une victoire près, ses succès en 2023 sur le Circuit principal se compteraient sur les doigts d'une seule main (Van Assche, Ramos-Vinolas, Cressy, Edmund et Shevchenko)! En tout et pour tout, le désormais no3 helvétique (Dominic Stricker lui est passé devant) a mordu 22 fois la poussière en 2023, ce qui en dit long sur ses errances. "Il a aussi montré une grosse fragilité au moment de conclure ses matches, au Geneva Open par exemple, ou encore récemment à l'US Open contre Hubert Hurkacz, remarque Rosset. De fait, ses adversaires commencent à le savoir et ainsi, même dos au mur, ils se disent à présent que contre lui il y a toujours moyen de trouver une échappatoire, de gagner."
Difficile, donc, de deviner une potentielle éclaircie dans l'horizon du Zurichois. Surtout que sa probable sortie du Top-150 d'ici début octobre le condamne – sauf exploit en qualifs - à suivre les prochains tournois du Grand Chelem depuis son canapé. Trouvera-t-il un nouvel élan grâce à l'air de la Coupe Davis et à l'anniversaire de son fait d'arme?
Arnaud Cerutti - @arnaud_cerutti
Marc Rosset: "Des exemples à aller chercher"
RTSsport.ch: Marc Rosset, quel est à vos yeux le problème principal de Marc-Andrea Hüsler?
MARC ROSSET: Plus que son tennis, c’est vraiment sa confiance qui s’est envolée. C’est terrible de devoir courir derrière celle-ci, encore davantage pour un joueur comme lui, qui présente un jeu à risques. Dans un tel contexte, tu n’ajustes plus les lignes, mais tu sors tes coups et les centimètres ne tournent plus de ton côté. C’est compliqué de se "remettre dedans" une fois le doute installé. Hüsler devrait pouvoir, comme l’a récemment dit Ben Shelton, "laisser le cerveau au vestiaire". Mais je peux vous assurer que c’est plus facile à dire qu’à faire!
RTSsport.ch: Surtout que, désormais retombé au classement, et encore plus bas encore sans doute début octobre, il devrait se retrouver dans un tout autre univers prochainement…
MARC ROSSET: Oui, mais ce n’est pas le premier ni le dernier à vivre cela. Peut-être que ça pourrait lui faire du bien. Il a, je crois, les moyens de se remettre d’aplomb.
RTSsport.ch: Quelle est la clé?
Marc Rosset: Il faut qu’il travaille encore plus dur, qu’il se penche sur les points où il peut progresser. C’est plus important que d’engager quelqu’un pour gérer sa communication! Selon moi, Marc-Andrea a physiquement encore de la marge. Et puis, on sait qu’il n’est actuellement pas de ceux qui vont gagner des points à la bagarre. Donc il doit vraiment bosser là-dessus. Il doit durcir son jeu. Je pense en outre qu’il doit aller chercher quelques exemples pour s’en nourrir.
RTSsport.ch: C’est-à-dire?
MARC ROSSET: Lorsqu’on me parle d’un joueur qui doit progresser, j’essaie de chercher quelqu’un qui lui ressemble dans le style et de comparer avec ce que ledit joueur faisait ou a su faire de mieux. Eh bien moi, je compare volontiers le style de Hüsler avec celui de Greg Rusedski (ndlr: ancien no4 mondial, finaliste de l’US Open 1997), que j’ai vu arriver sur le Circuit dans les années 90. Le mec avait un gros service mais était incapable de tenir l’échange, de mettre quatre balles de suite dans le court. Mais il a travaillé et a connu une progression graduelle très intéressante! Il a commencé à savoir slicer en revers, à tenir l’échange, à être plutôt habile au filet, tout en se montrant intraitable au service, au point de réaliser une superbe carrière ensuite. Vous allez me dire que c’était il y a 25-30 ans, mais peu importe: si j’étais Hüsler, je regarderais ce qu’a fait Rusedski pour franchir des paliers. "Mac" doit devenir plus solide dans l’échange, quitte à devoir enchaîner 35 slices. Encore une fois, il doit durcir son jeu.
Arnaud Cerutti