Dominic Stricker en est déjà aux lendemains d'hier. Pas ceux qui riment avec réveil douloureux, petite migraine et tête dans le brouillard, mais ceux d'un jeune athlète sur la pente ascendante, pour qui la vérité d'un jour n'est justement pas celle du lendemain. Après son très bel US Open, marqué notamment par un succès sur Stefanos Tsitsipas et une accession aux 8es de finale, le Bernois n'est en effet plus le "petit Suisse qui monte", uniquement épié par ses compatriotes. En franchissant les tours dans la touffeur américaine, le désormais 90e mondial a attiré d'autres regards sur lui, chose qu'il va lui falloir désormais apprendre à gérer. Rien d'évident, même s'il dispose cette semaine de la bulle d'air offerte par la Coupe Davis avant de retrouver le Circuit principal, celui où il aspire à faire son trou.
Parce que oui, après l'emballement, il s'agit de rappeler que la performance new-yorkaise du joueur de 21 ans, aussi belle fut-elle, n'a pas fait de lui un personnage influent de l'ATP Tour. Du moins pas pour le moment. Adrian Mannarino le lui a d'ailleurs rappelé hier en entame de Coupe Davis. "Lorsque des exploits tels que celui signé par Dominic à New York arrivent, j’attends toujours de voir ce qui se produit dans l'année qui suit pour pouvoir en tirer quelque chose, relève justement Marc Rosset, conscient des embûches qui se dressent dans une carrière tennistique. Il n'y a qu'une saison pleine sur le Circuit qui permet de jauger ou non de l'évolution d'un joueur. Rien ne démarre ou ne se poursuit sur un claquement de doigts." En témoigne ce que traverse Marc-Andrea Hüsler, tout auréolé d'un premier ATP il y a un an et loin du compte aujourd'hui. La remarque a valeur d'avertissement pour Stricker.
Même s'il se dit logiquement très heureux d'avoir vu son compatriote pratiquer du beau tennis à Flushing Meadows, le champion olympique 1992 se veut prudent lorsqu'il évoque l'avenir. "Entré dans le tableau de l'US Open après avoir sauvé une balle de match en qualifications, "Domi" n'avait en effet rien à perdre ensuite à cet US Open. Alors oui, il a livré un super tennis, signé une bonne victoire contre un Tstisipas actuellement prenable, puis un succès courageux devant Benjamin Bonzi, mais il était dans une configuration parfaite pour gagner ces matches, en outsider total. Il ne faut pas oublier qu'à un point près, l'histoire aurait été totalement différente… Alors oui, c’est ce qui va se passer à présent qui va nous en dire davantage sur les possibilités de Stricker."
Rosset brandit sa propre trajectoire en exemple. "Lorsque j'avais remporté mon premier tournoi ATP, à Genève en 1989, j'étais sur un nuage pendant la semaine, car j'étais totalement inconnu et n'avais justement strictement rien à perdre; tout était beau, tout était bien et c'était comme si tout cela était normal. Mais dans l'enchaînement, j'ai eu beau être bon sur les Challengers, ça a été plus compliqué par la suite sur le Circuit ATP (ndlr: une victoire en sept mois). Parce qu'il fallait non seulement gérer les à-côtés, que le niveau était plus élevé, mais aussi parce que dès lors les adversaires me connaissaient. Plus tard, d'autres joueurs suisses ont d'ailleurs 'coincé' à partir du moment où ils se sont trouvés un peu plus sous les feux des projecteurs, comme Marco Chiudinelli (ndlr: 52e en octobre 2010) ou George Bastl (ndlr: 71e en mai 2000). La preuve que ce n'est pas facile à gérer..."
Marc Rosset espère toutefois que Dominic Stricker arrivera à franchir d'autres murs que celui du Top-100. Mais il rappelle que le Bernois devra pour cela apprendre à maîtriser plusieurs éléments. D'abord la pression. "Maintenant, 'Domi' sera un peu plus attendu, un peu plus observé et il faudra voir comment il s'adapte à ce nouveau pan de sa carrière, dit le Genevois. Cela sera révélateur de son véritable état d'esprit, même s'il était très positif à l'US Open."
L'ancien No 9 mondial maintient aussi que "Strick" va devoir évoluer encore sur le plan du tennis pur. "Je n'ai en effet pas été épaté plus que cela par ce qu'il a montré à New York par rapport à ce que j'avais notamment vu de lui il y a deux ans. Je l'avais trouvé par exemple bien plus offensif en 2021 au Geneva Open qu'il ne l'a été à Flushing. A l'époque, il n'hésitait pas à être très agressif, même à monter sur les 2es balles. Alors oui, il a été solide en fond de court et aussi physiquement voici 10 jours, mais ce n'est qu'une partie du chemin à franchir pour qui veut continuer de grimper."
Le reste arrive donc maintenant, contre la Grande-Bretagne et l'Australie à Manchester, déjà. Et la route, ensuite en solo cet automne, pourrait être belle pour Dominic Stricker, si toutefois il parvient à continuer de conjuguer son talent et sa décontraction avec le travail. Ca tombe bien: sur les réseaux sociaux, c'est ce qu'il a promis de faire.
Arnaud Cerutti - @arnaud_cerutti