- Cette fameuse finale constitue-t-elle le plus grand moment de votre vie si l'on excepte votre titre olympique de 1992?
MARC ROSSET: Non. Nous avons perdu cette finale, et une défaite reste une défaite. Ma vie ne s'est pas arrêtée il y a 22 ans. Il y a eu de bons et de moins bons moments dans ma carrière. Mais il est clair que pour le grand public, Marc Rosset, c'est les Jeux olympiques et la Coupe Davis, même si j'ai quand même gagné 14 autres tournois.
Cette finale reste un bon moment, car c'est un moment vécu en collectif. Mais pour cette raison, j'ai envie de dire que toutes les rencontres de Coupe Davis étaient de grands moments. 1992, c'est Nîmes (réd: où la Suisse s'était imposée 3-2 au 2e tour). C'était un énorme moment de joie, et on s'était tous rasé les cheveux car on avait fait ce pari-là. La demi-finale à Genève face au Brésil c'était un énorme moment, avec tout ce public, tout ce stress.
- La victoire fêtée en cinq sets le vendredi face à Jim Courier reste quand même l'une des plus belles de votre carrière...
MARC ROSSET:
Ouais... Mais j'ai battu d'autres nos 1 mondiaux, et ai fait quelques matches sympas contre d'autres joueurs. J'ai quand même battu Boris Becker à Paris-Bercy (réd: en 1994), et ce n'était pas anodin. J'ai battu Pete Sampras, Andre Agassi, Thomas Muster sur terre battue, et c'étaient à chaque fois de grands matches. C'est clair que ce match face à Jim Courier, c'était une belle bagarre en cinq sets, avec un public hostile, et cela reste un moment sympa. Mais c'est entaché par le fait que nous ayons perdu.
- Le fait de ne pas avoir pu jouer de cinquième match décisif face à Andre Agassi constitue-t-il votre plus grande déception?
MARC ROSSET: Oui et non. Je peux vous dire que le dimanche matin (réd: il avait dû jouer cinq sets tant en simple qu'en double le samedi), je n'étais pas beau à voir. Je serais allé sur le terrain si j'avais dû le faire, mais j'étais très fatigué. Le dimanche, très honnêtement, je me demandais si ce ne serait pas mieux que Claudio (réd: Mezzadri) joue un éventuel cinquième match.
En Coupe Davis, je suis toujours parti du principe qu'un joueur présumé moins fort mais capable de donner 110% a plus de chances qu'un joueur fort mais diminué physiquement. Je ne sais franchement pas ce qui se serait passé. J'aurais certainement été tenté d'y aller, mais il faut casser le mythe: j'aurais peut-être pris trois petits sets... J'étais cuit!
- Est-ce l'occasion ou jamais pour l'équipe de Suisse?
MARC ROSSET: Non! L'Espagne n'évoluera pas dans le groupe mondial l'an prochain. Or, la seule rencontre dans laquelle on ne serait pas favoris, ce serait face à l'Espagne en Espagne. Et de toute façon on les affrontera en Suisse la prochaine fois. Ce n'est pas l'année ou jamais. L'an prochain, on peut faire un parcours similaire et retrouver la France en finale. Et là, on pourrait les affronter à la maison et leur mettre 3-0!
Si Roger et Stan ont décidé de tout faire pour gagner la Coupe Davis, s'ils décident de rempiler même si on s'incline à Lille, s'ils font les mêmes sacrifices en démontrant la même motivation que cette année, j'ai l'impression qu'on pourrait la gagner deux ou trois fois de suite. On a peut-être tendance à dire que c'est cette année ou jamais car Roger a décidé de jouer le coup à fond. Mais si on s'incline à Lille et que Roger décide à nouveau de tout faire pour la remporter l'an prochain, vous pouvez parier que la Suisse se retrouvera à nouveau en finale.
- Quel est votre pronostic pour cette finale?
MARC ROSSET: Il n'y en a pas. De trop nombreux facteurs entrent en ligne de compte. Pour moi, les éléments déterminants seront la forme du jour et la capacité à gérer ses émotions devant 27'000 spectateurs. Personnellement, je souhaite que la bagarre soit belle, que ce soit une belle finale. Evidemment, j'ai envie que la Suisse gagne, et je serais content si on gagnait les trois premiers matches en trois sets. Mais un petit 7-5 au cinquième set dans le match décisif avec un passing de la mort sur la balle de match, ça rendrait la victoire encore plus belle!
Et honnêtement, on mérite de remporter la Coupe Davis. Ce serait une juste récompense par rapport à ce que Jakob, Heinz (réd: Günthardt) ou moi-même avons également réalisé alors que nous venons d'un petit pays, et par rapport à toute l'histoire du tennis suisse. On a été très souvent en haut de l'affiche, on a été performants en Coupe Davis, en FedCup aussi à une époque. Ce ne serait pas volé qu'on gagne une fois cette compétition.
Propos recueillis par Sportinformation
"Beaucoup de grosses équipes il y a 20 ans"
- Le quart de finale remporté en France en 1992 avait engendré de grandes émotions. Aviez-vous le sentiment que quelque chose de spécial était en train de se produire durant cette rencontre?
MARC ROSSET: Non. Je n'avais pas vingt week-ends de Coupe Davis dans les jambes à ce moment! J'avais fait mes débuts deux ans plus tôt seulement, face aux Tchécoslovaques (réd: en février 1990 à Prague). J'avais perdu mon premier match en trois sets face à Milan Srejber, on avait perdu cette rencontre. Je n'avais joué que deux ou trois rencontres (réd: quatre en fait) avant 1992.
Après avoir passé le 1er tour face au Pays-Bas, on se réjouissait d'affronter la France. Et quand on avait battu les Français, on s'était dit "allé, on affronte le Brésil à la maison, il y a un coup à jouer pour aller en finale". Il y a vingt ans, il y avait beaucoup de grosses équipes homogènes en Coupe Davis comme l'Allemagne, les Etats-Unis, la Suède ou même les Pays-Bas. Le niveau moyen des joueurs présents dans chaque équipe était plus élevé.
A l'époque, il était difficile d'avoir un objectif précis en regardant le tableau à l'issue du tirage au sort. Là, Roger (réd: Federer) a pu se dire que le 1er tour en Serbie serait aisé en l'absence de Novak Djokovic. Et en quart de finale, ils ont affronté le Kazakhstan, qui n'a aucun joueur présent dans le top-50. OK, nous avions eu de la chance d'affronter le Brésil qui n'était pas une équipe forte en indoor.
Mais le niveau est actuellement faible en Coupe Davis. Il y a un peu plus de dix ans, si tu jouais l'Australie, tu pouvais affronter Lleyton Hewitt, Mark Philippoussis, Woodbridge/Woodforde en double. Chaque rencontre était difficile. Maintenant, tu peux avoir un parcours relativement aisé. On n'aurait pas eu besoin d'un joueur ayant gagné 17 titres du Grand Chelem et d'un no 4 mondial pour atteindre la finale.
Hlasek, un "excellent collègue de travail"
- L'épopée de 1992 a-t-elle modifié votre relation avec Jakob Hlasek?
MARC ROSSET: Il faut arrêter de penser que nous sommes tous des potes sur le circuit. Ses potes, on les choisit. Les miens, c'étaient Goran Ivanisevic, Jim Courier, avec qui je mangeais et discutais très régulièrement, Sergi Bruguera, Nicolas Escudé ou Cédric Pioline. Avec Jakob, cela nous arrivait aussi de manger ensemble et de discuter.
Mais nous étions plutôt comme d'excellents collègues de travail. C'est aussi une question générationnelle, Jakob étant plus âgé que moi (réd: 50 ans). Mais c'était toujours un immense plaisir de le retrouver à l'occasion de la Coupe Davis, comme c'était génial d'avoir gagné Roland-Garros avec lui en double. Et on a encore beaucoup de plaisir lorsqu'on se revoit, comme avec Claudio Mezzadri, avec qui je passe beaucoup de temps pendant les tournois où l'on se retrouve.