SPORTINFORMATION: Dominique Wavre, sur les
images vidéo que vous aviez fait parvenir lorsque vous avez
remarqué votre avarie de quille, on vous a vu très touché, au bord
des larmes. Avez-vous digéré cet abandon aujourd'hui?
DOMINIQUE WAVRE: Oui et non. C'est trois ans de
préparation, trois ans de ta vie, et le travail de toute une équipe
qui tombe à l'eau. Ca n'est pas seulement ta déception. Pour
digérer, il faut l'avoir complètement avalé. Je n'ai pas encore
avalé le fait de ne pas avoir compris pourquoi la quille était
faible. Autre point dur à avaler, ce sont les comptes. Cela va nous
coûter dans les 200'000 francs suisses de ramener le bateau en
France. Donc, ne pas comprendre pourquoi la quille lâche,
abandonner alors qu'il y avait quelque chose de bien à faire dans
ce Vendée et voir le budget 2009 à zéro à cause du rapatriement
fait que la frustration est toujours là.
"Attendre pour distribuer les baffes"
SPORTINFORMATION: Le routinier anglais Mike
Golding a connu la même casse que vous et s'est montré furieux.
Vous n'êtes pas fâché?
DOMINIQUE WAVRE: Si, j'ai une colère rentrée,
comme Mike. On a demandé à nos ingénieurs et a nos architectes
d'avoir la quille la plus fiable possible et elle casse! Je suis
aussi furieux qu'Ayrton Senna, s'il avait pu, contre celui qui
avait construit son axe de direction.
SPORTINFORMATION: On connaît la complexité du
dosage entre la solidité et la performance sur des bateaux comme le
vôtre. Où se trouve l'erreur en ce qui concerne votre
quille?
DOMINIQUE WAVRE: On n'en sait encore rien.
L'analyse à faire est assez précise et compliquée. On va discuter
du dessin, de l'ingénierie, il y a forcément quelqu'un qui a fait
une bêtise quelque part. Mike Golding et moi avons le même
dessinateur mais, en revanche, deux constructeurs différents et nos
deux quilles +pètent+ au même endroit. Il y a une chance sur cent
pour que les deux constructeurs aient fait une erreur au même
endroit. Il faut donc chercher la cause de la casse ailleurs.
Golding est furieux, mais ça ne sert à rien, il faut attendre de
savoir qui a fait l'erreur pour distribuer les baffes.
SPORTINFORMATION: Beaucoup de concurrents ont
dû abandonner lors de cette édition 2008, pourquoi?
DOMINIQUE WAVRE: Il y a en général, dans le
Vendée Globe, environ 50% des bateaux qui cassent. Là, on va être à
deux tiers. La voile est un sport mécanique et la casse fait partie
du jeu. Il y a toutefois plusieurs facteurs qui ont conditionné
cette édition.
SPORTINFORMATION: Quels facteurs ont été
déterminants?
DOMINIQUE WAVRE: D'abord un facteur objectif: il
y a eu plus de conditions de vent très difficiles au début, trois
démâtages dans le Golfe de Gascogne. Ensuite, il y a des mâts qui
sont tombés, des quilles qui ont lâché, des safrans cassés, des
voiles délaminées, des coques abîmées, un marin blessé, on a eu de
tout. On ne peut donc pas mettre le doigt sur une faiblesse propre
à la flotille. J'ai le sentiment qu'une partie des architectes et
des ingénieurs avaient dimensionné les bateaux pour des transats
éprouvantes, mais pas pour un Vendée Globe éprouvant. Les deux
dernières éditions avaient été plutôt clémentes, ce qui peut
expliquer ce nombre élevé d'abandons.
"Le bateau devrait être à bon port le 18 février"
SPORTINFORMATION: Après les Kerguelen,
Fremantle en Australie, puis la Malaisie, où se trouve votre bateau
actuellement?
DOMINIQUE WAVRE: Quelque part entre le Canal de
Suez et Le Havre, sur un immense porte-containers de la Maersk
(ndlr: compagnie maritime danoise) qui devrait arriver au Havre le
15 février.
SPORTINFORMATION: Et quel sera votre
programme ensuite?
DOMINIQUE WAVRE: On chargera «Temenos II» sur un
camion pour un transport spécial exceptionnel entre le Havre et La
Rochelle. Le bateau devrait être à bon port dans l'après-midi du 18
février à La Rochelle. Ensuite, on discutera avec les sponsors,
pour voir ce qu'on fait.
Propos recueillis par Jean-Philippe Pressl-Wenger (si)
"Comme dans toutes les crises, mon agenda se réduit"
SPORTINFORMATION: Avec la crise, les sponsors doivent se faire plus discrets ces derniers temps. Qu'en est-il pour vous?
DOMINIQUE WAVRE: Je ne me fais pas trop de souci, même si on doit en discuter. A mon retour à terre, j'ai tout de suite remarqué que quelque chose avait changé. J'ai un frère banquier et Georges Koukis (ndlr: directeur de Temenos) est aussi dans les logiciels bancaires donc j'ai vite été au courant.
SPORTINFORMATION: Et en ce qui concerne la classe IMOCA et le championnat 2009, la crise économique les met-elle en danger?
DOMINIQUE WAVRE: En tant que président de la Classe IMOCA, beaucoup de rumeurs viennent jusqu'à moi concernant des sponsors qui arrêtent ou qui se posent des questions. La viabilité économique, qui jusqu'à l'automne passé paraissait assurée, fait tout à coup face à des remises en question. Il y avait 30 projets au départ du Vendée Globe, et s'il y en a 15 pour les courses prévues en fin d'année ce sera déjà bien.
SPORTINFORMATION: Et à quoi ressemblera votre programme pour l'année à venir?
DOMINIQUE WAVRE: Cela dépendra du bateau et des sponsors. comme dans toutes les crises, mon agenda se réduit. La perspective sur un ou deux ans dont on profite lorsque tout va bien se réduit à trois mois dans les moments difficiles. Lors d'une crise, on navigue à la semaine. Je serai fixé fin février.