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La Coupe de l'America en eaux troubles. A qui la faute?

"Les gens veulent voir sur l'eau si la technologie suisse est meilleure que l'américaine", dit Bertarelli
"Les gens veulent voir sur l'eau si la technologie suisse est meilleure que l'américaine", dit Bertarelli
La Coupe de l'America s'enlise dans les conflits juridiques. A force de décocher accusations et communiqués au visage de l'autre, les deux syndicats Oracle et Alinghi ont totalement noyé le poisson. A qui la faute de ce blocage ?

A moins d'être passionné d'affaires juridiques, difficile de
suivre l'évolution du litige qui oppose Alinghi, détenteur de la
Coupe de l'America, et BMW Oracle, son challenger américain. De
recours en justice en appels, de mises en cause en professions de
foi, d'arguments en démonstrations, la 33e édition du plus vieux
trophée de l'histoire du sport s'est invitée dans une cour d'école
pathétique, où règne la loi du «c'est celui qui dit qui est».



A force de décocher accusations et communiqués au visage de
l'autre, les deux syndicats ont totalement noyé le poisson. A qui
la faute de ce blocage ? Qui endosse le rôle du méchant de ce récit
mouvementé ? Qui a conduit le monde de la Cup dans cette impasse,
et qui est responsable de l'impossibilité d'en sortir ?

C'est d'la triche

«Le Protocole empoisonné élaboré
par Alinghi est le point de départ de toute l'affaire
»,
affirme, à raison, Russell Coutts, l'homme qui avait mené les
Genevois au sacre en 2003 et qui préside désormais à la destinée de
BMW Oracle. Un point sur lequel semble régner une certaine
concorde, même sur les bords du Léman.



La ligne d'attaque du syndicat américain est claire: Alinghi a
voulu tricher et continue de le faire. Florilège. «Ils ont créé
leur propre panel d'arbitrage pour faire valider le fantoche yacht
club espagnol. Cet été encore, Alinghi a passé un accord secret
avec la Fédération internationale de voile qui permet de conserver
le contrôle sur les règles et les officiels de course. Ernesto
Bertarelli a changé les règles pour donner à son équipe tous les
avantages. S'il n'avait pas agi de la sorte, nous n'en serions pas
là.
» Coutts est catégorique.



«Je suis le mauvais garçon dans un film hollywoodien»,
ironise Bertarelli. La défense s'appuie sur un axiome: le
challenger fait tout pour gagner la Coupe en justice car il a peur
d'affronter les Genevois sur l'eau. «C'est absolument
fau
x, rétorque Coutts. Ce sont des allégations ridicules.
Si vous dites cela aux membres de l'équipe, vous aurez en retour
une réponse très directe. Croyez-moi !
»

T'as qu'à venir, toi !

Dernier objet en date de la discorde, le choix d'Alinghi de
régater aux Emirats Arabes Unis, un site jugé par les Américains
trop proche de l'Iran et trop méconnu. «Ceux qui critiquent
aujourd'hui Ras Al Khaimah sont les mêmes qui critiquaient Valence
en 2007. Et maintenant, ils veulent y retourner, avance Bertarelli.
Nous avions proposé Valence pour mai 2009, Oracle a refusé car il
voulait régater en février, sachant que nous n'étions pas prêts.
Et, maintenant, c'est Oracle qui veut repousser la date.»



Aucune solution à ce conflit n'est possible sans que les deux
milliardaires aux commandes ne trouvent enfin un terrain d'entente.
Et la mauvaise foi de poursuivre son oeuvre. Russell Coutts:
«Est- ce que je regrette ce qui s'est passé ? Oui. Avons-nous
essayé d'élaborer une solution avec Alinghi ? Oui. Souvenez-vous,
l'an dernier, Ernesto Bertarelli et Larry Ellison se sont
rencontrés une fois. Ernesto n'a jamais voulu une deuxième
entrevue.»




Réponse. «Je suis allé deux fois à San Francisco voir Larry
Ellison. J'ai l'impression que c'est toujours à moi de me déplacer.
Le monde ne commence pas à New York et ne finit pas à San
Francisco. L'issue du conflit ? Que Larry vienne ici, à Ras Al
Khaimah, pour discuter.»

C'est qui le plus fort ?

Finalement, le seul point
qui réunit les suffrages dans ce dossier, pour les marins que sont
Bertarelli et Coutts, est la nécessité de sortir des tribunaux pour
en découdre sur l'eau. «Les deux équipes ont construit des
bateaux incroyables et le public mérite de les voir naviguer, de
voir de quoi ils sont réellement capables
», explique
Coutts.



Pour une fois, Bertarelli est du même avis. «Le monde entier
veut voir s'affronter ces deux bateaux. Le monde entier veut savoir
si le trimaran aura le dessus sur le catamaran, si la technologie
suisse est meilleure que la technologie américaine.
»



Prochain épisode de ce festival de thèses-antithèses, le 27
octobre, à la Cour de New York, qui doit statuer sur la plainte
américaine concernant Ras Al Khaimah. Avec, n'en doutons pas, un
appel déposé quelque soit la décision de justice. Cette histoire
a-t-elle une fin ? «Oui, assure Coutts. Si nous gagnons, Larry
Ellison a promis de placer les aspects sportifs entre les mains
d'une organisation indépendante réellement neutre.
» On parie
qu'Alinghi trouverait à redire sur la neutralité et l'indépendance
de cette organisme ?



si/ag

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La sécurité des Emirats en cause

Coeur proclamé du dernier désaccord en date entre BMW Oracle et Alinghi, le manque de sécurité dont souffrirait un équipage américain contraint de régater dans le Golfe persique, à 130 km des côtes iraniennes, est comme il se doit réfuté avec ferveur tant par le defender genevois que par les autorités locales. Zoom sur un pays qui passe, normalement, pour être prospère et stable.

Les Emirats Arabes Unis sont une fédération de sept émirats (Abou Dabi, Dubaï, Ajman, Fujaïrah, Charjah, Oumm al Qaïwaïn et, bien sûr, Ras Al Khaimah, à 100 km au nord-est de Dubaï). Chacune de ces entités possède une famille royale propre, dont le plus haut représentant siège au Conseil suprême, organe supérieur de l'Etat fédéral. De facto, le président est toujours le Cheik d'Adou Dabi, capitale du pays, et le vice-président celui de Dubaï. Soit les membres des dynasties qui représentent les deux émirats producteurs de pétrole, dont est dépourvu Ras Al Khaimah.

14,4 milliards
L'or noir est la source de plus d'un tiers du PIB du pays, troisième exportateur mondial après l'Arabie saoudite et l'Iran (environ 10% des réserves mondiales). De par leur stabilité, les Emirats Arabes Unis sont d'ailleurs, et depuis longtemps, un partenaire commercial privilégié des Etats-Unis, qui y ont exporté pour 14,4 milliards de dollars de produits en 2008, soit plus que partout ailleurs au Moyen-Orient.

«Près de 40% du pétrole acheminé par bateaux passe par le Golf persique, insiste avec le sourire Ernesto Bertarelli. De plus, Russell Coutts y organise chaque année une étape de son circuit RC44 avec la participation d'un équipage d'Oracle...» La prochaine épreuve du tour se tiendra en effet à Dubaï du 25 au 29 novembre.

180 000 Américains
Très prolixe sur le sujet, le boss d'Alinghi embraie encore, dans un humanisme très lyrique. «Pour faire un monde de paix et d'amitié, il ne faut pas envoyer des soldats et des armes. Mais des sportifs. C'est ce que je fais. Quand je lis l'Acte de Donation, il y est fait mention de compétition amicale entre pays. J'aime les Etats-Unis, où j'ai vécu plusieurs années. Ils sont un symbole de démocratie et de paix, leur président vient de recevoir le Prix Nobel. A Larry Ellison de venir ici promouvoir cela avec moi.»

Ainsi, les Emirats Arabes Unis semblent être suffisamment sûrs pour le commerce, mais pas pour la voile. Les 180 000 Américains qui y vivent et la proximité d'une importante base militaire US au Bahreïn, à quelques centaines de kilomètres de RAK, n'y changent apparemment rien. Ni les nombreuses publicités «Oracle» que l'on voit dès l'atterrissage à Dubaï.