RTSsport.ch: Comment ressort-on d’une telle course?
DOMINIQUE WAVRE: Extrêmement bien car cela s’est, dans l’ensemble, très bien passé pour moi.
BERNARD STAMM: Je n’ai pas encore "atterri". J’ai ramené le bateau à sa base puis je suis rentré chez moi quelques heures pour repartir. Une page s’est tournée. Il faut maintenant essayer de reconstruire la suite le plus rapidement possible et se reconcentrer sur l'avenir. Ce n’est pas facile.
Wavre: "Les gens se passionnent pour ce que l'on est"
RTSsport.ch: Comment vit-on l’arrivée aux Sables d’Olonne où vous avez été accueillis quasiment comme des Dieux vivants?
DOMINIQUE WAVRE:
Cette rentrée à terre a été très sympa. On est ovationné, on n’est pas des Dieux vivants (rires). C’est assez symbolique. On est parti de ce même endroit pour le retrouver environ 3 mois plus tard en ayant bouclé la boucle. Les gens se passionnent pour ce que l’on est, pour nos bateaux, nos aventures.
Que l’on gagne ou non, l’accueil des gens est plus ou moins le même pour chaque navigateur. Ils estiment, à raison, que celui qui a passé un mois de plus en mer que le vainqueur, a vécu autant de difficultés voire plus. Même si en compétition ce n’est pas LE champion, les gens estiment qu’il a une personnalité, un vécu qui mérite malgré tout d’être célébré.
BERNARD STAMM: Tant que le bateau avance, on est toujours concentré histoire de ne pas casser le matériel… Les gens sont là, ils font la fête… Ca fait chaud au cœur de voir toute cette foule. On revoit plein de gens qu’on n’a pas vus depuis longtemps, d'autres qu’on n’a jamais vus (rires). Ca fait plaisir de savoir que des gestes normaux de marin sont soutenus et appréciés de la sorte.
Stamm: "La mer est un endroit où l'on n'est pas chez soi"
RTSsport.ch: Vous sentez-vous mieux sur la terre ferme ou en mer?
DOMINIQUE WAVRE : C’est très différent. Je suis quelqu’un d’assez sociable. Donc, je ne me sens pas trop mal à terre (rires) mais c’est vrai qu’en mer on jouit d’une liberté extraordinaire. Toutes les décisions que l’on prend dans notre bateau sont sanctionnées immédiatement par la mer. Ce n’est pas l’entourage qui vous juge, vous condamne ou qui vous apprécie… Là, c’est directement la mer et le bateau qui sanctionnent. On obtient des réponses immédiates aux questions que l’on se pose.
BERNARD STAMM: Il faut qu’il y ait la mer ou en tout cas l’eau. En mer, je me sens bien. C’est tout de même un endroit où l’on n’est pas chez soi. C’est un endroit où l’on est toléré.
Une page s’est tournée. Je suis soulagé d’être arrivé. Le Vendée Globe est un tour du monde sans assistance, sans escale, sans arrêt… Du coup, tous les ennuis que l’on peut rencontrer dès le départ on les porte jusqu’au bout. Là, c’est sympa de pouvoir remettre les compteurs à zéro.
RTSsport.ch:
Combien de temps pour récupérer d’une pareille aventure?
DOMINIQUE WAVRE: Physiquement, cela va très vite. En quasiment 48 heures, on retrouve le sommeil et un rythme normal. Pour le reste, on m’a fait des analyses de sang pour savoir s’il y avait des petits manques physiologiques. Sinon, on a un peu mal aux mains. Ce sont un peu des battoirs de paysan (rires). En dehors de ça, on se remet très vite.
Il faut comprendre qu’il faut être en forme pour pouvoir régater. Donc on se maintient en forme quasiment jusqu’à la ligne d’arrivée. Il n’y a pas de raison que l’on soit complètement démoli à l’arrivée. Je suis arrivé fatigué, c’est clair. Mais d’un autre côté, quand on voit l’accueil qu’on nous réserve aux Sables d’Olonne, il y a une euphorie qui nous fait tenir. Après, il y a un bon repas avec un bon coup de rouge, une bonne nuit de sommeil.
BERNARD STAMM : Physiquement, cela va prendre quelques mois pour se remettre complètement. Physiologiquement, j’ai changé. Mentalement, cela ira beaucoup plus vite.
Wavre: "Peur, non. Mais j'ai stressé 2-3 fois"
RTSsport.ch: Avez-vous eu peur pendant ce Vendée Globe?
DOMINIQUE WAVRE : Peur non, mais j’ai été stressé 2-3 fois dans le gros temps ou lorsque j’ai eu par moment des soucis avec le pilote automatique.
BERNARD STAMM : On a toujours un peu peur, mais ce n’est jamais de la peur-panique. La peur est un fusible pour ne pas aller trop loin. Tout le monde a peur. Quand on ferme la porte, on a peur de se coincer les doigts dans la porte. C’est ce genre de peur-là. Je n’ai jamais craint pour ma vie…
On essaie de préparer la course au mieux. Quand on est fatigué, on est forcément sujet à commettre plus d’erreurs. Mais ce n’est pas pour autant qu’on a plus peur.
RTSsport.ch: Votre meilleur souvenir?
DOMINIQUE WAVRE : C’est un peu paradoxal mais je dirais que c’est le jour de l’arrivée car c’est là qu’il y a la chaleur humaine la plus forte. Autrement, le départ était sympa aussi car les conditions étaient bonnes et qu’en plus j’avais pris un bon départ.
BERNARD STAMM : L’arrivée.
RTSsport.ch: Votre pire souvenir?
DOMINIQUE WAVRE : Il n’y en a pas eu. C’était plutôt lors de mon précédent Vendée Globe il y a 4 ans lorsque j’avais perdu ma quille. Là oui, j’avais vécu des moments difficiles. Sur ce Vendée-ci, j’ai pu rester sur une humeur assez égale et prendre les choses avec philosophie.
BERNARD STAMM: Il n’y en a pas eu autant que ça. En haut du mât, on se fait bien « massacrer ».
Stamm: "Je savais qu'il me manquait du temps pour faire plus de tests sur le bateau"
RTSsport.ch: Que ressent-on en mer? De la liberté?
DOMINIQUE WAVRE: C’est assez paradoxal car on est dans un tout petit bateau, dans un petit espace. Cela pourrait être ressenti par certains comme une prison. D’un autre côté, c’est une liberté extraordinaire car on prend soi-même des décisions et l’on en supporte soi-même les conséquences. C’est quelque chose de fabuleux car à terre on n’a pas ça. C’est un contraste entre les deux. Et comme l’on sait que c’est pour une période de temps limité, ça modifie un peu le comportement.
RTSsport.ch: On dispute le Vendée Globe pour le gagner ou pour le finir?
DOMINIQUE WAVRE : A priori, on a toujours une idée de victoire derrière la tête. En particulier avec le Vendée Globe, qui dure 3 mois et pendant lesquels tout peut se passer. Cette année, il y en a 2 qui sont partis devant qui n’étaient rattrapables par aucun de la flottille. Mais les avaries ou le jeu des stratégies météo peut nous faire recoller avec la tête ou perdre du temps. Le Vendée Globe est une course paradoxale car on a toujours une petite possibilité de victoire.
La différence des bateaux ? Cela joue énormément. C’est un sport mécanique. Si vous partez avec une voiture qui a 3-4 ans et une autre qui n’a qu’une année, les choses ne sont pas tout à fait les mêmes. D’un autre côté, on peut pallier à un certain nombre d’inconvénients techniques par de l’expérience, en menant parfaitement son bateau sans faire d’erreur de manœuvres… On est content du résultat.
BERNARD STAMM : Moi, j’ai clairement participé au Vendée Globe dans l’idée de le gagner… Mais bon, pour le gagner, il faut le finir (rires). Cette épreuve est une grosse aventure.
Si j’ai la certitude de ne pas pouvoir gagner, je ne pars pas. Je savais qu’il me manquait du temps de tests, d’essais sur le bateau. Je savais que ce n’était pas idéal. Par contre, je pensais que j’avais réuni ce qu’il fallait pour gagner le Vendée Globe. C’est pour cela que je suis parti.
Propos recueillis par Miguel Bao @migbao
Wavre: "Pour moi, il n'y a rien de solitaire"
RTSsport.ch: Vendée Globe, une course sans escale et en solitaire. Avec tous les moyens de communication dont vous disposez… En solitaire, vraiment ?
DOMINIQUE WAVRE: Cela dépend ce que l’on appelle « solitaire ». Pour moi, il n’y a rien de solitaire. Quelqu’un qui se retrouve seul à l’hôpital sans aucune visite ou un SDF qui n’a personne pour s’occuper de lui… Ca, c’est de la véritable solitude.
Nous on va dire qu’on est dans une espèce de solitude "encadrée" parce qu’on peut prendre le téléphone, on se filme. On sait qu’il y a des écoles qui nous suivent. Il y a des gens qui se connectent tous les matins pour savoir ce que l’on a dit lors de la vacation, connaître notre position. On sait qu’il y a 500'000 personnes qui font la régate en virtuel et qui ont donc forcément une petite pensée pour nous.
« Solitude » c’est un très mauvais mot dans notre cas. On est solitaire dans les ennuis quand on en a. On est aussi solitaire quand on est au milieu de l’Océan et que tout d’un coup il faudrait avoir un coup de main. Mais en dehors, on est tout sauf solitaire. C’est vécu comme une activité que l’on fait seul. C’est une nuance.
BERNARD STAMM: Ce n’est pas le téléphone qui tourne la manivelle. Quand il faut lever la voile, on sent bien que l’on est tout seul. Parler à quelqu’un peut être un soutien. Par contre quand on raccroche le téléphone, on sent vite que l’on est tout seul.
"IL Y A DE PLUS EN PLUS DE CARGOS"
RTSsport.ch: Vous avez fait le tour du monde à plusieurs reprises. Comment se porte la mer?
DOMINIQUE WAVRE: Ce qui me frappe c’est qu’il y a de plus en plus de cargos et qu’il n’y a pas moins de pêcheurs. Autrement, dans le grand sud, Océan Indien, Océan Pacifique, il n’y a aucune pollution. Ce sont des endroits de la planète qui sont déserts. C’est magnifique.
En Atlantique Nord, je pense qu’il n’y a en tout cas pas plus de pollution. Dans l’Atlantique Sud, j’en ai trouvé un petit peu plus. Ce sont des pays qui sont moins conscients de la lutte pour l’environnement que l’Europe. Je pense à l’Afrique ou à l’Amérique du Sud, qui sont plus laxistes de manière générale sur cette thématique.
BERNARD STAMM: Au niveau des déchets qui sont en mer, j’ai l’impression que la situation s’est améliorée. Je pense qu’il y a une prise de conscience qui a été faite ces dernières années. C’est évident que les émissions de CO2 causent un tort terrible à la terre. Mais au niveau déchets ce n’est pas pire.
Une chose est sûre : je pense faire partie d’une génération qui a été mal éduquée. On pensait que l’Océan était capable de tout digérer. Ceci n’est évidemment pas vrai. Je pense que la nouvelle génération ne réfléchit heureusement plus comme ça.
"Dans l'immédiat, on va s'occuper du bateau"
RTSsport.ch: La suite pour vous, c’est…?
DOMINIQUE WAVRE: Dans l’immédiat, on va s’occuper du bateau. Il n’y a pas eu d’avaries majeures mais tout de même une série de petits bobos qu’il faut soigner pour le remettre en état de naviguer. Et puis après, je ne sais pas. Il faut d’abord que je digère tout ce que l’on a vécu pratiquement depuis 3 ans avec Mirabaud.
BERNARD STAMM: L’avenir, c’est remettre le bateau en état. Il était parti au Vendée Globe en n’étant pas tout à fait mature. Là, on doit le terminer complètement et puis le préparer en vue de la Jacques Vabre (départ le 3 novembre 2013 au Havre).